L'infirmière Libérale Magazine n° 355 du 01/02/2019

 

ADDICTIONS

ACTUALITÉ

Lisette Gries  

Les professionnels de l’addictologie déplorent un hiatus entre le diagnostic posé par le Plan national contre les addictions et les pistes d’actions envisagées, pas assez concrètes pour répondre à leurs attentes.

Le 8 janvier, la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) a publié son Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022(1). D’abord annoncée pour mars 2018, la parution de ce plan a été repoussée une première fois par un délai accordé par l’Élysée à la filière viticole pour apporter ses contributions, puis par une opposition des professionnels de santé. Au final, la Mildeca livre un document qui s’organise autour de dix-neuf objectifs, regroupés dans six axes principaux : la prévention, les conséquences des addictions, la lutte contre les trafics, la recherche, la coopération internationale et la répartition des moyens sur le territoire.

Protéger les plus vulnérables

Le défi est de taille, « dans un contexte où la France compte chaque jour 13 millions de fumeurs de tabac, 5 millions de consommateurs d’alcool quodidien et 700 000 usagers de cannabis ». Dès l’introduction, Édouard Philippe rappelle d’ailleurs que « chaque année, le tabac et l’alcool sont responsables du décès respectivement de 73 000 et de 49 000 personnes ». La Mildeca préconise ainsi de protéger les plus jeunes, dès la vie utérine, en combattant l’alcoolisation fœtale. Les adolescents, dont le cerveau est plus vulnérable à la toxicité des différents produits psychoactifs, doivent aussi faire l’objet d’une attention particulière. Le rapport recommande par exemple de véhiculer un discours clair sur les risques des conduites addictives et de renforcer l’interdiction de vente d’alcool et de tabac aux mineurs. Concernant la prise en charge des personnes dépendantes, le plan prévoit que la formation en addictologie des soignants de premier recours soit renforcée, et que des parcours de soins structurés et accessibles soient développés.

Lobby des alcooliers

Les représentants des professionnels de l’addictologie pointent un décalage entre l’analyse, jugée pertinente, et « la faiblesse des actions proposées », comme l’exprime la Fédération française d’addictologie (FFA) à l’agence APM news. « Nous attendions un calendrier précis, des objectifs chiffrés, des moyens détaillés », regrette le Dr Bernard Basset, vice-président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa), interrogé par L’Infirmière libérale magazine. Autre point d’agacement des professionnels : le volet « alcool ». « On est dans la maigreur absolue, il n’y a rien de concret, déplore le Dr Basset. Nous proposons des mesures efficaces comme l’introduction d’un prix minimum pour décourager les jeunes, à l’instar de l’Écosse et de l’Irlande, ou encore l’établissement d’une fiscalité indexée sur le degré d’alcool. Mais l’action du lobby des alcooliers a été encore plus spectaculaire qu’à l’accoutumée. » En janvier, une dizaine d’addictologues ont publié une tribune dans le quotidien Le Monde pour dénoncer « la démission gouvernementale » face à l’alcool. Enfin, si le discours concernant les risques du cannabis apparaît comme équilibré, sa contraventionnalisation laisse les professionnels dubitatifs. « La légalisation et son contrôle sont la seule solution pour mettre fin à l’économie souterraine et pour disposer des outils classiques de lutte contre la dépendance », estime le Dr Basset.

(1) https://bit.ly/2FEX0Xj.

(2) https://bit.ly/2FgrFKi.

LES PROPOSITIONS DU CESE

Dans un avis du 9 janvier(2), le Cese (Conseil économique, social et environnemental) propose des solutions contre le tabagisme et la consommation excessive d’alcool, dont il souligne le poids économique et social. Pour une prise en charge mieux adaptée aux besoins des usagers, le Cese recommande de donner « toute sa place au baclofène dans la lutte contre l’addiction à l’alcool » et d’inclure la cigarette électronique parmi les aides au sevrage tabagique. Il préconise aussi de mieux accompagner les femmes et les jeunes consommateurs. Le Conseil propose également de créer des zones sans publicité pour l’alcool près des établissements de formation, et d’instaurer un prix minimal pour les boissons alcoolisées. Enfin, il souhaite une meilleure sensibilisation des soignants, associations et patients à la diversité des solutions de réduction des risques. « L’organisation du maillage territorial des dispositifs de soins et d’accompagnement en addictologie » devrait en outre être intégrée aux missions des ARS, selon l’avis.

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