Dans les prochains jours, la Haute Autorité de santé va remettre à la ministre de la Santé l’avis qui lui a été demandé sur « le bien-fondé des conditions de prise en charge et du remboursement des médicaments homéopathiques ». Depuis plus d’un an, les anti- et les pro-remboursement s’affrontent.
Jean Sibilia : Je suis pour le déremboursement de toute molécule qui n’a pas prouvé son efficacité. C’est un arbitrage médico-économique qui n’est pas propre à l’homéopathie. En revanche, il n’y a pas de raison de ne pas rembourser la consultation. Je veux rappeler que l’homéopathie est exercée par des médecins. Et nous pouvons parfaitement comprendre leur prise en charge holistique du patient. Je ne suis ni pour ni contre l’homéopathie. Je prends un peu de hauteur, car il manque de la sagesse à ce combat où la seule victime est le patient ! Et je mets ici dos à dos les deux parties, et notamment les « anti-FakeMed » qui sont les agresseurs. Je pense qu’il faut beaucoup d’humilité, une bonne connaissance de ce qu’est le soin, et de l’ouverture d’esprit dans le domaine de la santé. L’arrogance de la science a souvent eu des conséquences regrettables.
Matthieu Calafiore : Contre évidemment. Il s’agit de ne pas cautionner une thérapeutique qui n’a pas fait preuve scientifiquement. Pour le patient, un raccourci se fait : c’est remboursé, donc efficace. Or ce n’est pas le cas ici. Et puis, cela voudrait dire que l’on peut dépenser l’argent public, celui des impôts des citoyens, pour rembourser tout ce qui « fait du bien ». Si l’on réfléchit ainsi, on peut vite dériver. Pourquoi alors ne pas dire que la gemmothérapie, à savoir le fait de poser des pierres sur le corps, est efficace, donc remboursée ? Je suis également contre son enseignement à l’université. Ce n’est pas une médecine, cela s’apparente à des croyances. Comment enseigner aux étudiants d’un côté la lecture critique d’articles scientifiques, c’est-à-dire décrypter le vrai du faux, et de l’autre l’homéopathie qui, par son principe de dissolution à l’extrême, ressemble plus à une pratique ésotérique ?
J. S. : Si 50 à 80 % de la population utilise l’homéopathie, il doit effectivement y avoir une raison. Prendre un médicament présumé sans risque est une façon de prendre en main sa santé. C’est dans l’air du temps : on veut manger mieux, avoir une meilleure hygiène de vie. C’est passionnant pour un universitaire de chercher les déterminants psychosociaux qui mènent à l’homéopathie. Essayons donc ensemble de comprendre ce qui est utile ou pas, de discerner le vrai du faux, dans une démarche citoyenne et universitaire. Les zones d’incertitudes en médecine sont nombreuses. A-t-on démontré scientifiquement les théories de Freud ? Il y a des choses qu’on ne comprend pas et qui ne sont pas prouvées. Plutôt que de conclure immédiatement qu’elles n’ont pas d’intérêt, vérifions avec rigueur et une méthodologie adéquate ce qui est utile au citoyen et patient. Nous pourrons ainsi déterminer l’apport de l’homéopathie et autres médecines non conventionnelles.
M. C. : Je pense que cela marche parce que les praticiens passent plus de temps avec leurs patients ; c’est l’écoute qui marche. Les patients se sentent plus entendus. Ils ont l’impression qu’ils n’ont pas besoin de médicaments pour guérir. Il est vrai que trop de confrères répondent à une plainte par un médicament, et on doit arrêter de le faire. Je ne suis pas pour l’interdiction de l’homéopathie, car les patients font ce qu’ils veulent. Des études montrent d’ailleurs qu’ils continueront à l’utiliser en cas de déremboursement. Je remets en cause le fait de dire que ce qu’il y a dans ces granules fonctionne. On ne fait que mentir. Or, d’un point de vue éthique, on doit toujours la vérité au patient.
J. S. : En tant que rhumatologue, je peux témoigner qu’il y a des douleurs chroniques et des déséquilibres immunologiques pour lesquels on n’a pas de résultat avec les thérapeutiques conventionnelles. C’est là que les thérapies non conventionnelles ont leur place. Si la pratique homéopathique contribue à réduire la consommation de médicaments anti-inflammatoires, tant mieux. Je prescris des anti-inflammatoires qui sont efficaces certes, mais qui ont des effets secondaires : complications digestives et rénales notamment. Rappelons que le médicament peut être étudié sur deux champs : bénéfice/risque et coût/efficacité.
M. C. : Cette étude nous apprend une chose intéressante : les anti-inflammatoires au long cours dans une lombalgie chronique, ça ne marche pas. Il faut donc les arrêter et prendre en considération des thérapeutiques non médicamenteuses, comme la kinésithérapie ou l’école du dos, qui est une méthode enseignée par les kinésithérapeutes et les médecins. Nous devons également écouter le patient afin de déterminer si le mal de dos cache autre chose. Cela nous apprend aussi qu’on a parfois besoin de temps pour parvenir à guérir. Il faut qu’en tant que médecin, nous ayons ce discours de vérité envers les patients. Mais il faut aussi leur dire que l’on entend leur souffrance et qu’on la prend en considération. Les homéopathes prennent ce temps, mais peut-être que le montant de la consultation y est pour quelque chose. Le nôtre est mal adapté pour ce cas de figure, surtout avec le paiement à l’acte.
Le taux de remboursement des médicaments homéopathiques était passé de 65 à 35 % en 2003. Aujourd’hui, ils risquent le déremboursement. Tout commence en mars 2018 quand 124 professionnels de santé dénoncent, dans une tribune du Figaro, la pratique, entre autres médecines non conventionnelles, de leurs pairs homéopathes en la taxant de « dangereuse »et « ésotérique ». Les « anti-FakeMed » sont nés. Le Syndicat national des médecins homéopathes riposte en juillet par une assignation devant le Conseil de l’Ordre de certains d’entre eux pour « non-confraternité » et « non-respect du Code de déontologie ».