L’Assurance maladie et les syndicats infirmiers sont en train de négocier la prise en charge d’actes de télémédecine. En attendant, certaines expérimentations offrent la possibilité à des Idels de franchir le pas.C’est le cas d’idomed, qui permet à Pierre Guérin, Idel à Paris, de pratiquer depuis un an des actes de téléconsultation.
En arrivant chez Serge, son patient atteint d’une sclérose en plaques, Pierre sort sa tablette. Il se connecte à l’application idomed et entre un code, reçu sur son téléphone, afin d’ouvrir une session sécurisée. Avant de commencer la téléconsultation, il prend la tension de son patient, qu’il transmet au médecin généraliste traitant, via le tchat de l’application. « Il dispose ainsi des informations nécessaires à l’échange », explique Pierre, avant d’ajouter : « Aujourd’hui, il s’agit d’une consultation de suivi, dont le but est de réévaluer et renouveler l’ordonnance de Serge. » Atteint d’une maladie neurodégénérative et habitant au premier étage d’un immeuble doté d’un seul petit ascenseur, il ne peut plus se déplacer. « Lorsque j’ai commencé à le prendre en charge, son médecin traitant ne faisait pas de visite à domicile, rapporte Pierre. Je lui ai proposé de changer de praticien afin de travailler avec notre cabinet, Ipso, et de bénéficier d’un suivi mixte comprenant visites et téléconsultations. » Depuis un an, ce suivi est mis en place. Pierre vient deux fois par semaine, le médecin se déplace si besoin ainsi qu’en cas de problème aigu, et tous les mois, un suivi est réalisé grâce à la téléconsultation. Entre-temps, Pierre peut communiquer avec le médecin via le tchat sécurisé. Installé à la table de son salon, dans son fauteuil roulant, Serge voit apparaître le médecin en plein écran sur la tablette posée en face de lui. La téléconsultation peut commencer. Le praticien lui demande comment il se sent, comment se déroule la prise de son traitement, s’il le tolère bien. « Avant, c’était une expédition pour me déplacer, témoigne Serge, satisfait de rester chez lui pour son renouvellement d’ordonnance. La téléconsultation a tout changé, et cela ne me dérange pas de parler au médecin par l’intermédiaire d’une caméra. » Fin de la séance, la téléconsultation a duré cette fois-ci une dizaine de minutes.
Face à l’augmentation des besoins en soins à domicile, liée notamment à la hausse du nombre de personnes dépendantes et au manque de médecins généralistes, les fondateurs d’idomed ont décidé de concentrer leur solution sur les professionnels de santé déjà présents chez les patients quotidiennement, à savoir les Idels. « Ce sont eux qui assument le plus de responsabilités dans le suivi des patients », observe Vincent Lambert, cofondateur d’idomed. Et de poursuivre : « Ils jouent un rôle fondamental dans l’amélioration de l’accès aux soins des personnes à domicile, et la télémédecine peut les y aider. » Pour développer la solution, les fondateurs se sont basés sur trois principes. Tout d’abord, se concentrer sur le couple infirmier-médecin traitant. Puis développer des solutions favorisant une prise en charge globale qui corresponde à une approche centrée sur le patient et non sur une pathologie précise, car la personne âgée est souvent polypathologique. Enfin, offrir des solutions permettant aux équipes déjà en place de s’en saisir dans le cadre de leur pratique, plutôt que d’inventer de nouvelles organisations qui s’imposeraient à eux.
Deux outils sont développés. Tout d’abord l’application idomed, qui sert de messagerie sécurisée instantanée, de type WhatsApp. Elle facilite le partage d’informations entre les Idels et le médecin traitant. « Avec l’application, ils peuvent partager des dossiers, des ordonnances, des photos, souligne Vincent Lambert. L’Idel a aussi la possibilité de poser des questions au médecin afin d’obtenir un téléavis. » Idomed propose aussi un service de téléconsultation. « Nous fournissons une tablette et un stéthoscope connecté, un objet plébiscité par les médecins qui voient un réel intérêt à la possibilité de détecter un problème cardiaque ou pulmonaire au cours d’une téléconsultation », fait savoir Vincent Lambert. Pour cela, rien de plus simple, l’Idel connecte le stéthoscope à la tablette par Bluetooth, puis le positionne sur le patient pour réaliser une auscultation cardio-pulmonaire en direct.
L’expérimentation d’idomed a débuté en mars 2018 dans le cadre du programme Personnes âgées en risque de perte d’autonomie (Paerpa). « L’agence régionale de santé Île-de-France nous soutient, avec l’implication d’Idels et d’infirmières de services de soins infirmiers à domicile », indique le cofondateur. Les Idels sont rémunérés 29 euros par téléconsultation par idomed, jusqu’à la fin de l’expérimentation en mars 2019. Les médecins peuvent quant à eux coter la téléconsultation depuis septembre 2018.
Avoir recours aux nouvelles technologies est apparu comme une évidence pour Pierre, même si sa rencontre avec idomed a été le fruit du hasard, quelques mois après l’ouverture de son cabinet à Paris. Avant de devenir Parisien, il a exercé dans un hôpital local, en soins palliatifs, dans la Manche d’où il est originaire, puis en rééducation, de nuit. Il décide ensuite de tout quitter pour la Savoie en 2012. « Initialement, je voulais faire une saison d’hiver à la montagne, mais une fois à Chambéry, je m’y suis plu et j’ai trouvé un poste en oncologie-hématologie à l’hôpital. J’aime le relationnel dans ces soins, prendre le temps de répondre aux demandes des patients. Dans notre société actuelle, on a peur de la mort, on la met de côté, alors qu’il s’agit d’un moment aussi important que la naissance. Elle doit être la plus douce et paisible possible. » Après un peu plus d’un an dans le service, Pierre se lance dans le libéral – exercice qu’il a découvert lors d’un stage – afin d’avoir des horaires plus flexibles et rentrer facilement voir sa famille en Normandie. « J’ai exercé dans un cabinet avec cinq Idels qui m’ont appris les bases de l’exercice libéral, formé à la nomenclature, la gestion, la facturation. Nous étions très bien organisés, cela m’a vraiment plu. » Pierre reste jusqu’en 2015 en Savoie, jusqu’à sa rencontre avec son conjoint. Il prend alors la décision de le suivre à Paris. Après quelques remplacements, il ouvre son propre cabinet en janvier 2017 pour y travailler à sa manière, avec la rigueur qu’il a acquise. Il se fait connaître des médecins, des pharmaciens, des hôpitaux, des associations de patients. C’est de cette manière que Vincent Lambert, cofondateur d’idomed, le repère. « Monsieur Lambert m’a contacté pour me présenter son projet, raconte Pierre. Il était à la recherche d’Idels pour faire des tests de téléconsultation. » Et de poursuivre : « Je regarde toujours vers le futur et j’aime les gadgets, je suis très connecté. Du coup, j’ai accepté. J’ai tout de suite accroché, car les problématiques exposées par Vincent me parlent, notamment le manque de médecins à Paris. Sa solution replace le patient au centre du soin. » En décembre 2017, il s’installe dans le cabinet médical Ipso, dont il devient associé. Ce cabinet regroupe des professionnels libéraux qui cherchent à développer de nouveaux modèles d’organisation pour améliorer l’accessibilité aux soins. C’est dans ce cadre qu’ils ont développé des outils de téléconsultation avec idomed. La téléconsultation n’a lieu que si l’infirmier et le médecin traitant ont un patient en commun. « La mise en place est donc progressive », conclut l’Idel, assurant que l’ensemble des patients et des professionnels de santé en sont satisfaits.
→ « J’ai participé au montage du projet idomed pour donner mon point de vue de médecin généraliste. Et depuis environ six mois, je réalise des actes de téléconsultation. Ce n’est pas évident de développer cette pratique avec les Idels car, contrairement aux médecins, ils ne sont pas rémunérés pour le faire, sauf dans le cas d’expérimentations. Cette pratique facilite les interactions entre médecin et infirmier et, de fait, la prise en charge conjointe est plus efficace. Sur le tchat, nous pouvons échanger de façon sécurisée par écrit, nous transmettre des documents, envoyer des ordonnances. L’avantage, c’est que l’infirmier, présent régulièrement chez son patient, peut transmettre au praticien les informations importantes, ce qui simplifie le travail. Il faut dire aussi qu’une téléconsultation à trois, avec le patient, est plus pratique à organiser qu’une visite conjointe à domicile. Mais attention, en aucun cas la téléconsultation ne doit la remplacer. »