La coopération entre médecins et infirmières demande du temps avant d’en percevoir les effets positifs. Les conditions d’exercice sont également déterminantes. C’est ce que montre le dispositif expérimental Asalée.
Initié en 2004 à titre expérimental, le dispositif de coopération entre médecins généralistes et infirmières « action de santé libérale en équipe » (Asalée) concerne aujourd’hui 700 infirmières et 3 000 médecins. Bénéficiant de financements spécifiques du ministère de la Santé et de l’Assurance maladie, il a plusieurs objectifs : améliorer la qualité de prise en charge des patients souffrant de maladies chroniques et sauvegarder du temps médical grâce à l’éducation thérapeutique (ETP) et à une délégation d’actes des médecins vers les infirmières.
Dans sa publication de février, l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) donne les résultats de l’évaluation qu’elle a menée sur l’impact du dispositif, à partir de données datant de 2015 et relatives à 1?065 binômes de médecins généralistes et d’infirmières Asalée. Trois classes de binômes se distinguent. La classe 1 (38 % des effectifs) regroupe les binômes les plus anciens dans le dispositif et dont l’activité est la plus intense. La classe 2 (44 %) est caractérisée par des binômes en phase de croissance, entrés plus récemment et présentant une activité intermédiaire. La classe 3 (18 %) est surtout constituée de binômes en construction, avec moins de deux ans d’expérience dans Asalée et l’activité dans le dispositif la plus faible.
Le contexte et la mise en œuvre du dispositif Asalée sont très hétérogènes entre les trois classes de binômes médecins généralistes-infirmières Asalée. « L’intensité de l’activité (éducation thérapeutique, réalisation d’actes dérogatoires) est déterminante et constitue le premier facteur distinctif », indiquent les auteurs de l’étude de l’Irdes. D’autres déterminants émergent, au premier rang desquels les modes d’exercice et le temps d’activité des infirmières, la nature et l’intensité de la coordination et des échanges entre médecins et infirmières, et leur ancienneté dans le dispositif.
Dans la classe 1, les infirmières sont plus nombreuses que dans les autres classes à travailler à temps plein, avec une forte activité d’ETP et d’actes dérogatoires. Elles exercent en outre plus fréquemment dans un seul cabinet, le plus souvent pluriprofessionnel, de grande ou moyenne taille, dans des espaces périurbains et les marges rurales. Les binômes de la classe 1 font part de la fréquence élevée de leurs échanges, de longs temps de présence simultanée, alors que ceux des classes 2 et 3 les déclarent moins fréquents. Si les perceptions des apports d’Asalée sont positives dans la classe 1, tant pour les médecins généralistes que pour les infirmières, elles le sont moins dans la classe 2 et encore moins, voire pas du tout, dans la classe 3.
Dans les deux dernières classes, les principales différences sont organisationnelles et liées à l’implantation géographique. Les généralistes travaillent avec une seule infirmière dans la classe 2, mais avec plusieurs dans la classe 3, dont les cabinets sont majoritairement localisés dans les zones rurales. Les infirmières de la classe 2 disposent d’un appui plus fort (bureau dédié ou partagé avec un médecin, rôle du secrétariat) alors que celles de la classe 3 sont plus souvent sans local ou doivent le partager avec un autre professionnel de santé. Enfin, les infirmières de la classe 3 ne travaillent pour Asalée qu’à temps très partiel (14 heures par semaine contre 27 heures pour la classe 2), sous un statut plus fréquemment libéral (28 % contre 10 % dans la classe 2), et pratiquent le plus souvent une autre activité infirmière en dehors du dispositif Asalée (91 % contre 28 % dans la classe 2). Les caractéristiques mises en évidence dans cette classe 3, qui s’éloignent d’ailleurs du modèle historique d’Asalée (infirmière salariée à temps plein, chaque médecin travaillant avec une seule infirmière), ne semblent donc pas favoriser la coopération ni la délégation des tâches.
Ces résultats, même s’ils présentent des limites liées à la temporalité des données, montrent que « la mise en œuvre du dispositif demande du temps et ne s’opère pas de façon homogène entre les binômes de médecins généralistes et d’infirmières », notent les auteurs de l’étude. Les contextes d’exercice et d’activité des infirmières font partie des conditions d’amélioration de la coopération, de même que l’intensification des échanges formels et informels entre infirmières et médecins.