Cahier de formation
Savoir faire
Dans un contexte de repérage précoce ou de troubles installés d’un TCA de type anorexie, l’Idel peut aider à la prise de conscience du trouble mais aussi accompagner le patient et sa famille en leur apportant des informations utiles à la compréhension de la maladie, à la manière de la prendre en charge et à l’orientation à suivre pour sortir de l’impasse de l’AM.
Cet outil tangible peut être utilisé par les Idels afin de matérialiser, par un chiffre ou une courbe, l’anormalité du poids de l’anorexique par rapport à l’état de corpulence normal officiellement admis pour une personne de son âge. C’est un outil qui peut être particulièrement utile pour lui faire prendre conscience objectivement et sans long discours que celle qu’elle voit « grosse » est en fait extrêmement maigre. Il décrit également la marge de progression et permet, en le mettant à jour régulièrement, de valoriser les résultats du travail accompli pour restaurer son état nutritionnel et récupérer un poids de confort.
« Les Idels sont tout à fait aptes à écouter les ressentis corporels, les inquiétudes et les peurs suscitées par l’alimentation chez ces patientes, indique Flore Danchin, diététicienne au service de psychiatrie de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Lille. Elles ont les connaissances pour comprendre et expliquer au malade et à sa famille les limites physiologiques et les conséquences de la dénutrition sur les organes digestifs. » Par exemple, lorsque les patientes disent se sentir très vite rassasiées, mettre beaucoup de temps à digérer ou encore avoir le ventre ballonné, les Idels peuvent leur expliquer que moins elles mangent, plus leur estomac diminue de volume, ce qui induit un effet mécanique sur la satiété, un ralentissement de la vidange gastrique et une stagnation du bol alimentaire dans l’intestin, qui entraîne une fermentation, des gaz et des ballonnements. Ainsi, les patientes sont en mesure d’entendre que ces effets indésirables peuvent s’estomper grâce à une alimentation équilibrée et régulière et que la renutrition va avoir un effet direct sur l’efficacité de leur tube digestif à la faveur d’une meilleure digestion. « De la même manière, poursuit la diététicienne, lorsque les patientes disent “Il faut que je mange mais je n’ai jamais faim…”, il est important de leur dire que la sensation et la régulation de la faim n’apparaissent que lorsque l’IMC se situe au-delà de 16, et qu’en deçà elles ne ressentent pas vraiment la faim, car il y a une sur-signalisation de la sensation de satiété chez les anorexiques. Mais il faut surtout insister sur le fait que ne pas avoir faim ne signifie pas ne pas avoir de besoins. Il faut donc travailler sur cette notion de besoins. Par exemple en expliquant que les matières grasses qu’elles ont bannies de leurs repas sont indispensables au fonctionnement du cerveau et à la protection des organes. » Au-delà de la compréhension des troubles, ces explications factuelles et sans jugement sont importantes, car elles vont permettre d’établir une relation de confiance qui servira la construction de l’alliance thérapeutique.
Les soignants (comme le font souvent les parents) peuvent vouloir aller trop vite et risquer d’agir en contradiction avec les attentes et les motivations des patients. « Avoir trop d’attentes par rapport à ce que le patient anorexique est en mesure de faire, ou tenter de le motiver à changer de comportement lorsqu’il est en pleine période de “lune de miel”, peut être totalement contre-productif, car il va soit se décourager, soit rester totalement indifférent », explique le Dr Pommereau. En ville comme à l’hôpital, les soignants ne doivent pas craindre d’aller doucement et doivent accepter de ne pas pouvoir ou de ne pas parvenir à aider le patient. Si ce dernier n’adhère pas, mieux vaut ne pas se braquer, attendre qu’il soit dans de meilleures dispositions ou passer la main car, à domicile comme à l’hôpital, il faut respecter le rythme du patient, être à l’écoute et surtout ne pas rester seul. Une école de la patience qu’il importe de communiquer aux parents, car l’incompréhension et l’impuissance qu’ils ressentent sont souvent génératrices de conflits, de remarques et de réactions inappropriées qui se cristallisent en particulier au moment des repas. Ceux-ci deviennent vite des cauchemars, « des scènes de combat ponctuées des sempiternelles injonctions “Il faut que tu manges pour vivre”, “Tu ne vas pas tenir si tu ne manges rien”, tandis que l’anorexique trie, découpe, observe, sent, écrase, attend que ça refroidisse et mâchouille interminablement pour gagner du temps »(2).
L’AM est une maladie cataclysmique pour la famille, expliquent tous les spécialistes. « Les familles ont honte, ont peur de cette maladie qui détruit bien plus que la seule patiente, mais tout l’environnement », confirme Bruno de Beaurepaire, ex-président de la Fédération nationale des associations TCA (FNA-TCA). « Comment assumer d’avoir un enfant avec un tel mal-être ? Pour beaucoup de parents, cette maladie renvoie directement à leur propre échec éducatif et ils ont tendance à culpabiliser, à penser et à dire que tout est de leur faute. »(2) Ce sentiment d’échec et de culpabilité a longtemps été entretenu par leur mise à l’écart de la prise en charge, comme le suggérait la théorie de Charcot (lire l’encadré, p. 43). Aujourd’hui, l’approche familiale de l’AM a beaucoup évolué et la Haute Autorité de santé (HAS) recommande d’aider la famille à tenir une fonction soutenante dans la prise en charge afin de ne pas se centrer uniquement sur les symptômes alimentaires et d’appréhender globalement les difficultés du patient(1). Ainsi que le souligne le Dr Pommereau, cette approche familiale du traitement est aujourd’hui courante dans les services spécialisés dans les TCA : « Nous sommes aujourd’hui convaincus que l’on ne peut pas aider un anorexique sans mettre à contribution ses parents. » Il arrive parfois que, par peur d’être jugés, les parents refusent de s’impliquer. « Cela complique la prise en charge et nous nous employons dans ce cas à les rassurer en insistant sur le fait qu’ils ne sont ni toxiques ni insuffisants (voir le témoignage de Barbara Leblanc, p. 46), mais qu’ils sont en difficulté et en détresse, précise le psychiatre. Nous leur expliquons que les liens parents-enfant ont été altérés par des souffrances et des blessures, et que nous avons besoin de leur aide pour mieux les appréhender. Parallèlement, il est aussi important de les prendre en charge eux-mêmes et de les orienter si nécessaire vers une prise en charge individuelle pour les amener à pacifier leurs relations à la psychologie et leur permettre de mieux s’investir dans l’alliance thérapeutique. »
Parce qu’elles bénéficient d’une proximité et d’une écoute privilégiée à domicile, les Idels peuvent relayer ce discours rassurant et soutenant auprès des familles et les encourager dans un premier temps à consulter leur médecin traitant ou, si les troubles ont déjà des retentissements somatiques importants, leur suggérer d’envisager une consultation dans un service spécialisé dans les TCA. À ce titre, elles peuvent communiquer aux familles et/ou au médecin les références de l’annuaire national des centres de soins TCA(3) susceptibles de prendre en charge leur enfant de manière adaptée à proximité de chez eux. « Compte tenu du délai parfois long entre le moment où elles prennent conscience de leur maladie et celui où elles acceptent une prise en charge, il est important que les patients et les familles sachent qu’il existe des centres de soins spécifiques à ces troubles pour pouvoir, le moment venu, aller directement là où la prise en charge sera optimisée », insiste Flore Danchin. Les Idels pourront également inciter les parents et la fratrie à participer aux groupes de parole et aux médiations familiales (thérapie familiale, entretiens familiaux) proposés par ces équipes. « Ces séances vont leur permettre d’exprimer et de partager avec d’autres parents leur détresse et leur désarroi, de mieux comprendre de quoi ils souffrent et de réinvestir progressivement une fonction soutenante pour leur enfant, commente le Dr Pommereau. Les parents vont aussi apprendre que le trouble alimentaire n’est que la partie visible de l’iceberg et que si leur enfant doit manger pour reprendre du poids, cela ne sera bénéfique que si un travail de fond est réalisé avec eux sur les problématiques sous-jacentes et plus complexes qui ont contribué à l’expression de ce symptôme. »
Que ce soit vis-à-vis des patients ou des familles, les Idels sont bien placées pour reconnaître leur souffrance, les encourager à demander de l’aide, les orienter si l’aide apportée n’est pas adéquate, les aider à consolider de nouveaux repères et à tourner définitivement la page de l’anorexie en s’appuyant sur ce qui fait désormais sens dans leur vie. Une quête primordiale car, comme le souligne Nathalie Maciel(4), ancienne anorexique, « la force mentale qu’elle mobilise pour se détruire, l’anorexique l’utilise aussi à se reconstruire dès qu’elle a trouvé du sens à sa vie. Dès que les rencontres que nous faisons sur le chemin de la guérison font sens, dès que les activités mises en place font sens, dès que les relations que nous renouons avec notre entourage reprennent sens, tout commence à devenir plus léger, se nourrir devient plus facile, les accès de boulimie s’espacent et sont moins douloureux et, au fil du temps, grâce aux efforts que nous faisons, au soutien que nous recevons et aux projets que nous concevons, nous arrivons à retrouver une vie, de la gaieté, de la joie et du bien-être ».
(1) HAS, « Anorexie mentale : prise en charge », Recommandations de bonne pratique, juin 2010 (consulter le lien bit.ly/2H9uRYf).
(2) Extrait de Anorexie, 10 ans de chaos, Barbara Leblanc, Éditions En volume, 2015.
(3) Fédération française Anorexie Boulimie (FFAB), annuaire national des centres de soins - Troubles du comportement alimentaire, 2017 (consulter le lien bit.ly/2SBFIMu).
(4) Nathalie Maciel, La balance du vide, Dorval éditions, 2007.
Madame M. vous a sollicitée pour une réfection de pansement postopératoire. Vous arrivez à l’heure du petit déjeuner. Une grande tension règne entre la patiente et sa fille, car cette dernière refuse, comme chaque matin, toute nourriture avant de partir au lycée. Au cours du soin, elle vous fait part de son inquiétude, car sa fille mange peu et a, depuis quelques semaines, perdu beaucoup de poids. De plus, elle soupçonne sa fille de se faire vomir et se culpabilise de son impuissance, car elle ne comprend pas ce qui lui arrive et ne sait pas ce qu’elle doit faire.
Vous lui indiquez qu’elle a eu raison de vous en parler, que son inquiétude est légitime, car il s’agit probablement d’un TCA. Vous la rassurez en lui indiquant qu’il existe des prises en charge spécialisées et lui proposez, comme vous connaissez bien la famille, de prendre un moment pour parler avec sa fille et voir comment vous pouvez l’aider.
Détection des TCA - Test rapide SCOFF (1, 2)
1. Vous êtes-vous déjà fait vomir parce que vous ne vous sentiez pas bien « l’estomac plein » ?
2. Craignez-vous d’avoir perdu le contrôle des quantités que vous mangez ?
3. Avez-vous récemment perdu plus de 6 kilos en moins de 3 mois ?
4. Pensez-vous que vous êtes trop gros (se) alors que les autres vous considèrent comme trop mince ?
5. Diriez-vous que la nourriture est quelque chose qui occupe une place dominante dans votre vie ?
Analyse du résultat : deux réponses positives ou plus révèlent un possible trouble du comportement alimentaire et donc la nécessité de consulter un professionnel de la santé.
(1) Luck AJ et al., “The SCOFF questionnaire and clinical interview for eating disorders in general practice: comparative study”, BMJ, October 2002, 325, pp.755-6.
(2) Garcia FD et al., “Detection of eating disorders in patient: validity and reliability of the French version of the SCOFF questionnaire”, Clinical Nutrition, April 2011, vol.30, issue 2, pp.178-181.
Source : Obécentre (consulter le lien bit.ly/2TngKF3).
Barbara Leblanc, auteure de l’ouvrage Anorexie, 10 ans de chaos
À son amie Gaëlle qui lui demande si sa famille est une des causes de sa maladie, voici ce que Barbara Leblanc répond : « Même s’il est absolument certain que chaque anorexique porte en elle le poids de sa famille, de son vécu, de son ressenti face à des décisions ou des moments partagés, je reste persuadée que la famille peut davantage être un soutien dans la guérison de l’anorexique qu’un frein. Pour moi, personne n’est responsable de ma maladie. Il faut arrêter de culpabiliser les proches des malades en leur faisant peser le poids de la pathologie sur les épaules sous prétexte qu’ils ont éduqué leur fille de la sorte ou qu’ils ont traité leur épouse ou leur mère de telle autre manière. Chacun fait ce qu’il peut face à une personnalité sensible comme peut l’être une anorexique. (…) Pourquoi faut-il à tout prix trouver un responsable ? Une erreur selon moi, et pour le Pr Philippe Jeammet aussi. Pour lui, “la voie de la culpabilisation de la famille (…) n’est pas la bonne. La famille n’est pas la cause de la maladie. Aucune personne impliquée de près n’est responsable. Ni les parents, ni la malade, ni les frères et sœurs. Ils sont toujours concernés par les modes d’expression de ce trouble, par les réponses qu’ils tentent d’apporter et par le sens que les difficultés peuvent prendre. Mais ils ne sont pas coupables de la maladie de leur proche”. »