L'infirmière Libérale Magazine n° 357 du 01/04/2019

 

NÈGOS CONVENTIONNELLES

ACTUALITÉ

Adrien Renaud  

Les négociations conventionnelles entre les Idels et l’Assurance maladie ont débouché sur un avenant signé par deux des trois syndicats représentatifs. Au menu : de nouvelles dispositions pour réguler la démographie de la profession et, surtout, 365 millions d’euros de revalorisations et de nouveaux actes.

Trente-cinq : c’est le nombre de réunions qu’il aura fallu, d’après le décompte effectué par Ghislaine Sicre, présidente du syndicat Convergence infirmière (CI), non signataire à la dernière minute, pour aboutir à un avenant à la convention qui régit les relations entre l’Assurance maladie et les Idels. Un texte qui ne contient probablement pas des avancées proportionnelles à la longueur de sa gestation : vingt mois se sont écoulés depuis la réunion de lancement en juillet 2017 (lire l’encadré). Mais il constitue, d’après les signataires, le maximum que les Idels pouvaient arracher à l’Assurance maladie.

« Nous avons été jusqu’au bout de ce que nous pouvions obtenir, même si les esprits chagrins diront que nous n’avons pas obtenu assez », résume Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). « On peut regretter l’étalement de certaines mesures, mais nous pensons avoir réussi à mettre en avant nos compétences propres », estime pour sa part Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). CI a finalement refusé de signer arguant que « les infimières ne sont pas des variables d’ajustement ».

Un nouveau zonage

Au-delà des discours syndicaux, que faut-il retenir de l’avenant signé le 29 mars ? Ce dernier comprend des mesures concernant trois grands thèmes. La régulation démographique tout d’abord, qui est probablement le domaine le moins polémique. Les partenaires conventionnels ont entériné l’adoption d’un nouveau zonage fondé sur l’accessibilité potentielle localisée (APL), qui tient compte non pas uniquement du nombre de professionnels par habitant, mais qui intègre des éléments plus complexes tels que le niveau d’activité des soignants ou la structure démographique de la population. Ce nouveau zonage « va restreindre de nouvelles zones au conventionnement sur les territoires où les besoins en soins sont largement couverts et permettre de majorer les aides financières au maintien et à l’installation dans les zones très sous-dotées en infirmiers », se sont réjouis les trois syndicats négociateurs dans un communiqué commun annonçant qu’un accord avait été trouvé. Voilà qui devrait adoucir certaines tensions entre professionnels, même si le problème des Idels s’installant dans une commune voisine d’une commune surdotée pour y exercer n’est pas tout à fait réglé.

Une kyrielle de nouveaux actes

Mais l’enjeu principal du texte conventionnel concerne les deux autres thèmes qu’il couvre, notamment parce qu’il y est question de l’aspect financier : la révision de la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) d’une part, et la prise en charge de la dépendance d’autre part. Pour ces deux sujets, l’avenant prévoit des mesures nouvelles correspondant à une enveloppe globale de 365 millions d’euros sur les trois prochaines années.

Parmi les nombreux actes créés, on peut citer le bilan initial de plaies, qui bénéficie d’un tarif assez important : il sera coté en AMI11 (34,70 euros). Un nouvel acte d’accompagnement à la prise médicamenteuse en vue du maintien à domicile sera lui coté en AMI5,1 (16 euros). On peut également noter de nouveaux actes tels que le retrait des sondes urinaires et des drains de Redon, ou encore les actes de télésoin.

D’autres actes, initialement inclus dans des forfaits, seront externalisés. « Aujourd’hui, quand je vais faire un soin d’hygiène et que je dois aussi faire des soins du diabétique, tout est inclus dans le forfait hygiène, détaille Ghislaine Sicre. Demain, je pourrai comptabiliser le soin d’hygiène plus les soins du diabétique en second acte. ». Mais ça ne lui a pas suffi…

Une ribambelle de revalorisations

L’avenant conventionnel ne se contente pas de créer de nouveaux actes infirmiers, il revalorise également des actes existants : certains pansements passent par exemple de la cotation AMI2 (6,30 euros) à la cotation AMI3 (9,45 euros). La préparation médicamenteuse pour les patients atteints de troubles psychiatriques voit quant à elle son tarif augmenter de 20 %. Et surtout, cet acte est étendu aux patients atteints de troubles cognitifs, ce qui en élargit considérablement la portée.

Il est également prévu que les prises de sang dérogent au fameux article 11b de la NGAP, qui stipule que lorsqu’un infirmier effectue plusieurs actes chez un même patient, le deuxième est coté à 50 % de sa valeur et les actes suivants ne sont pas cotés. « Sur certaines prises de sang, on se retrouvait parfois à perdre de l’argent, ce qui était profondément injuste, note Catherine Kirnidis. Nous pourrons désormais cumuler les prises de sang avec tout autre acte. »

Habemus BSI !

Le troisième grand chantier de ces négociations conventionnelles, la prise en charge de la dépendance, se traduit par une naissance attendue depuis plus de dix ans : celle du bilan de soins infirmiers (BSI), qui remplace enfin la démarche de soins infirmiers (DSI). Les patients seront classés en trois catégories en fonction de leur niveau de dépendance, et à chacune de ces catégories correspondra un forfait versé à l’infirmière. Ce qui n’empêchera pas cette dernière de cumuler le forfait BSI avec certains actes techniques.

« Cette mesure va permettre à la profession de s’affranchir de la notion de temps dans la réalisation des soins, source actuellement de très nombreux contrôles et indus opérés par l’Assurance maladie », se sont félicités les trois syndicats dans le communiqué commun déjà cité. Il faut toutefois noter que le BSI n’entrera que très progressivement en vigueur : il sera d’abord appliqué aux patients âgés de plus de 90 ans en 2020, puis étendu par tranches d’âges successives pour une mise en place complète en 2023. Cette approche par vagues s’appliquera également aux créations de nouveaux actes et autres revalorisations, dont les premières entreront en vigueur au mois de décembre 2019.

Reste la question du bilan financier de ces négociations. Un coup de pouce de 365 millions d’euros sur trois ans représente une augmentation moyenne de chiffre d’affaires de 1 042 euros par personne et par an pour les 116 800 Idels qui exercent actuellement en France. À chacun de juger si ce résultat est à la mesure des attentes de la profession.

DEUX ANS DE REBONDISSEMENTS

Lorsque les négociations conventionnelles ont débuté, le 12 juillet 2017, l’Assurance maladie avait élaboré un calendrier prévisionnel des réunions fixant la date de signature de l’avenant au 21 novembre suivant. Quatre mois et demi, cela semblait amplement suffisant pour régler la question. Sauf qu’il n’en a rien été. Les partenaires se sonten effet rapidement aperçus que les sujets sur la table étaient bien plus complexesqu’ils ne l’avaient anticipé.

Résultat, un avenant a bien été signé en novembre 2017, mais il s’agissait avant toutd’un avenant dit « technique », permettant de compenser la hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) voulue par le gouvernement, entérinant une petite haussede la majoration pour les actes effectués les dimanches et jours fériés, et prévoyant surtout un nouveau calendrier de négociations. Cette fois, juré, craché, tout serait terminé en juin 2018. Hélas ! Les discussions ont de nouveau pris du retard.

En juillet 2018, déçus par les propositions financières de l’Assurance maladie, les trois syndicats annonçaient avec fracas qu’ils refusaient de « poursuivre la mascarade » et qu’ils quittaient la table des négociations. Le dialogue n’a repris qu’à la fin de l’année 2018, pour aboutir à l’avenant de mars… Et l’histoire n’est pas encore tout à fait finie :des sujets tels que la chimiothérapie orale ont été volontairement laissés de côté.La convention est décidément un éternel recommencement !

LES NON-PARTICIPANTS APPLAUDISSENT DU BOUT DES DOIGTS

L’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil) n’a pas participéaux négociations conventionnelles : jugée non représentative à l’issue des dernières élections professionnelles, elle a dû observer les discussions depuis le banc de touche. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un avis. « Il y a de belles avancées », commente Elisabeth Maylié, présidente du syndicat. Cette dernière estime toutefois que les365 millions promis ne se retrouveront pas intégralement dans la poche des Idels. Certaines dispositions présentées comme des avancées, comme par exemple l’intégration des patients atteints de troubles cognitifs dans l’acte de préparation médicamenteuse, ne sont en effet, selon elle, qu’une validation de pratiques existantes. La syndicaliste reconnaît tout de même que si elle avait participéaux négociations, elle aurait probablement signé le texte. « Mais j’aurais exigéque l’on se remette aussitôt autour de la table », ajoute-t-elle.

Trouvera-t-on une réaction plus hostile à l’accord du côté de l’Union nationaledes Idels (Unidel), qui a accueilli des commentaires extrêmement négatifs sursa page Facebook au moment de la signature de l’avenant ? Pas vraiment. « Nous avons relevé de nombreux points positifs », commente Marieke Motto, présidente de cette association asyndicale. Cette dernière porte notammentau crédit de l’accord les différentes revalorisations. « Nous regrettons toutefoisque cet avenant ne reconnaisse pas notre rôle d’éducation et de prévention », déplore-t-elle. Marieke Motto et Elisabeth Maylié s’entendent également sur un point : les trois organisations représentatives n’étaient pas dans la meilleure des positions pour négocier. « Le très faible taux de syndicalisation crée avec l’Assurance maladieun rapport de force qui n’est pas très agréable », analyse la présidente de l’Onsil.Une donnée qui ne changera malheureusement pas fondamentalement de sitôt.

Entretien

Nicolas Revel : « Un avenant complet, ambitieux et structurant »

Le directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), Nicolas Revel, revient pour L’Infirmière libérale magazine sur les vingt mois qu’il vient de passer à négocier avec les Idels. Un bilan qu’il juge largement positif.

Avant l’ouverture des négociations conventionnelles, vous nous aviez affirmé que les discussions aborderaient « tous les sujets », « sérieusement, en profondeur ». Promesse tenue ?

Nicolas Revel : L’ambition de l’Assurance maladie était d’aboutir à un avenant structurant qui devait permettre de mieux valoriser le rôle et les compétences des infirmières. C’est pourquoi nous avons d’emblée indiqué que nous n’irions pas sur des revalorisations de lettre clé par exemple. Notre ambition visait à orienter les marges d’investissement vers de nouveaux actes ou interventions afin de renforcer la place des infirmières dans la prise en charge des patients. Une fois ceci posé, je pense que nous avons pu ouvrir tous les sujets, et il y en avait beaucoup.

La négociation a en effet été exceptionnellement longue…

N. R. : Oui, et je sais que certains ont pu à un moment donné se poser la question de savoir si l’Assurance maladie ne cherchait pas à gagner du temps. Cela n’a jamais été le cas. Sur certains sujets, et particulièrement la généralisation du BSI, nous avions un travail technique à mener pour exploiter le bilan de la phase d’expérimentation, et définir un modèle de tarification. Cela a pesé sur la durée de négociation. Mais à la fin des fins, je crois que nous aboutissons à un avenant complet, ambitieux et structurant.

Les ambitions de l’Assurance maladie semblent pourtantà géométrie variable : 365 millions de revalorisations pour 117 000 Idels cette année, contre 1,3 milliard pour 106 000 médecins en 2016 et 1,2 milliard pour 35 000 dentistes en 2018…

N. R. : Cette présentation est fausse. Pour les dentistes, une grande partie de l’investissement va à la solvabilisation du reste à charge zéro, et n’entre donc pas dans la poche des praticiens. Une autre partie va certes à la revalorisation des soins conservateurs, mais les dentistes subiront aussi les effets du plafonnement des actes prothétiques. Le vrai solde en faveur des dentistes se situera entre 250 et 300 millions d’euros. Par ailleurs, il faut mettre les revalorisations en regard du niveau des honoraires des professionnels, et non de leurs effectifs. Pour les médecins, les honoraires totaux se situent autour de 21 milliards par an, et l’investissement de 2016 représentait environ 5 % de ce montant. Pour l’avenant que nous venons de signer avec les infirmières, nous sommes à peu près dans les mêmes proportions. Il n’y a pas deux poids, deux mesures !

Au-delà des aspects financiers, quelles sont selon vous les mesures les plus structurantes de cet avenant ?

N. R. : Le BSI est un élément central. Il médicalise l’intervention de l’infirmière, qui évaluera précisément la charge en soins. Mais il ne résume pas à lui seul le caractère structurant de l’avenant. Celui-ci crée également des actes nouveaux qui valorisent la place de l’infirmière, notamment dans le suivi post-hospitalisation (retrait des sondes urinaires, suivi postopératoire…), le suivi des patients polymédiqués, celui des plaies…

Certaines voix se sont élevées pour regretter l’absence de mesures élargissant le champde compétences des infirmières…

N. R. : Nous travaillons dans le cadre juridique existant. Le jour où le législateur crée de nouvelles délégations, nous en définissons la valorisation. On ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs et deviner ce qui va être voté.

Le statut des IPA [infirmières de pratique avancée, ndlr], lui, est voté. Et pourtant, la question du modèle économique de celles qui exerceront en libéral n’a pas été abordée lors de ces négociations.

N. R. : C’est effectivement un sujet, et nous avions proposé de l’aborder. Les syndicats nous ont fait observer qu’il fallait commencer par finaliser l’accord concernant les infirmières qui ne sont pas en pratique avancée. Mais nous allons le plus rapidement possible ouvrir la question de la valorisation des IPA qui souhaiteront exercer dans un cadre libéral. Je souhaite le faire assez vite, parce que des IPA sortiront de l’université dès la rentrée prochaine, et il nous appartient de leur apporter des conditions de rémunération en conséquence.

Les syndicats et vous-même êtes donc appelés à vous revoir régulièrement ?

N. R. : Nous n’avons jamais dit que plus rien ne se passerait avant 2022-2023, qui est la date d’échéance de cette convention. Nous serons amenés à enrichir le texte de toutes les avancées qu’il nous apparaîtra souhaitable d’intégrer.

Propos recueillis par Adrien Renaud