MULTIDISCIPLINARITÉ
SUR LE TERRAIN
REPORTAGE
Labellisé par le Comité international olympique (CIO) en décembredernier, le centre médical de l’Institut national du sport, de l’expertiseet de la performance (Insep) obtient une reconnaissance mondiale.Un lieu d’exception pour l’élite du sport français.
Implanté sur 28 hectares à l’est de Paris, l’Insep est un village, et le centre médical en est le cœur. Dans les couloirs, tout le monde se croise et se tutoie. « Certains n’ont que 12-13 ans quand ils arrivent ici, et on les suit souvent pendant de nombreuses années. Forcément, ça crée des liens », confient Christine Morlet et Isabelle Dounias, respectivement dix et douze ans de maison. Avec leur collègue Pascale Raboisson, elles sont les trois infirmières détachées par le ministère pour suivre les quelque 800 athlètes inscrits à l’Insep, dont presque la moitié en internat. « Les deux tiers passent tôt ou tard entre nos mains », complète le kinésithérapeute Arnaud Maurier.
Très affairé dans le gymnase qui sert de salle de rééducation, Arnaud Maurier termine les réglages du siège isocinétique où a pris place Djazz Chambertin, 21 ans. Joueuse de handball à l’OGC Nice, elle est suivie pendant près de quatre mois pour rétablir ses ménisques et ses « croisés », comme elle dit. Le siège -?la salle en compte trois, pour un coût de 70 000 euros pièce - est connecté à un ordinateur. Lorsque Djazz pousse la jambe en extension, des capteurs vont mesurer une chute de force à un moment précis lors du mouvement : c’est la zone angulaire où se situe la douleur, et donc la lésion. « L’isocinétique permet à la fois de rééduquer et de faire des tests afin d’enregistrer des données qui serviront ensuite de repères pour retrouver les capacités physiques initiales. On est plus précis qu’avec la rééducation manuelle », explique Arnaud Maurier.
Souvent surnommée « la fabrique à champions », l’Insep accueille des sportifs de haut niveau, pas nécessairement professionnels à proprement parler, même s’ils exercent leur discipline à temps plein. Il peut s’agir par exemple de militaires détachés pour représenter l’armée dans les compétitions, d’étudiants en école de kiné, ou encore sous contrat avec une ville ou un club. Ils ont une double vie, et la sportive s’arrête au cours de la trentaine, pour les plus âgés. D’où la mission clé de l’Insep : lier le projet sportif à un projet d’étude, une sorte d’assurance vie quand le corps dit stop, ce qui arrive tôt ou tard.
Tous ici sont conscients qu’une carrière peut se briser du jour au lendemain. Gaëtan Mittelheisser, badiste de 25 ans, est à l’Insep depuis huit ans et étudie en école de kinésithérapie en parallèle. Il attend sa femme, Audrey, examinée par le dentiste. Le couple à la ville l’est aussi sur le terrain : ils sont champions de France en double en 2016 ; lui est en outre médaillé d’argent aux Jeux européens de 2015. Mais depuis son titre, il enchaîne les tuiles. « Je suis très sujet aux blessures, je ne sais pas pourquoi. Pour un sportif, ce n’est pas bon : ça veut dire baisse de rémunérations, éventuellement fin des contrats », dit-il aujourd’hui en pleine possession de ses moyens.
Quand le corps vaut de l’or, le suivi médical fait partie intégrante du quotidien. « On note une recrudescence de pathologies de hanche chez les pongistes, constate Sébastien Le Garrec, responsable du pôle médical de l’Insep. C’est un sport que l’on commence jeune, vers 10-11 ans, et la charge d’entraînement peut modifier la croissance de leurs hanches. À 30 ans, elles sont délabrées. »
Pousse-t-on la machine trop loin ? « Il nous est arrivé de dire : « Stop, on va trop loin. » C’est rare, mais il arrive que l’on doive mettre un terme à une carrière de haut niveau », admet Sébastien Le Garrec. Également médecin de l’équipe de France de natation, il pense à cette nageuse, porteuse d’anomalie cardiaque détectée après plusieurs années, obligée de mettre un terme à sa carrière. Il s’étonne aussi du cas d’une joueuse de water-polo victime d’un problème de hanche à 15 ans. « Le chirurgien proposait de l’opérer pour qu’elle puisse continuer. J’ai rétorqué que la solution était peut-être de changer de sport ! »
L’entraînement, qui se compte en dizaines d’heures par semaine, et la densité du calendrier des compétitions sont tels que rien n’est laissé au hasard. « On jongle en permanence entre le calendrier des compétitions et la santé de nos athlètes, dont nous sommes garants, poursuit le médecin. Les entraîneurs ont désormais bien compris que perdre du temps, c’est parfois en gagner. On protège aussi l’athlète de lui-même : il est parfois très pressé de reprendre, alors on le freine. D’un autre côté, on évite que nos sportifs soient au repos complet. En cas d’entorse à la cheville, on travaillera le gainage et le cardio. »
Pour faire face à ces enjeux qui engagent leur santé, les insépiens sont donc chouchoutés : 80 personnels médicaux (30 médecins, dont 10 à temps plein) et paramédicaux (dont 15 kinés…) composent une pléthorique équipe en blouse blanche dont les infirmières incarnent à la fois le pivot et les avant-postes. Est-ce d’ailleurs un hasard si leur bureau est situé juste en face de celui du chef de pôle ? Elles assurent notamment le service médical réglementaire (SMR) une fois par an pour chaque athlète ou les tests d’effort. À la fois soignantes et confidentes, ce sont elles qui apportent la première réponse au sportif puis qui l’orientent. « Nous dispensons des soins classiques à un public atypique : jeune et en super bonne santé », résume Isabelle Dounias. « On ne peut qu’être admirative. Ils ont des journées à rallonge, passent leur bac en même temps [100 % de réussite, 73 % de mentions, ndlr]. Ils ont un mental d’acier malgré la fatigue, qui peut causer des blessures », ajoute Christine Morlet.
La particularité de l’Insep est qu’il regroupe dans un même lieu tout ce panel de généralistes et spécialistes : cardiologue, radiologue, rhumatologue, chirurgien orthopédiste, professeur physiologiste… Lamia Naloufi, coureuse de fond croisée dans le cabinet du chirurgien-dentiste Jean-Luc Dartevelle, explique : « L’année dernière, j’ai souffert d’inflammations. J’ai consulté tous les spécialistes : kinés, podologue… À la même époque, j’avais un très gros abcès sous une dent. C’est seulement après l’avoir traité que mes problèmes ont disparu. » La gynécologue Carole Maître est présente deux jours par semaine. Elle aussi travaille beaucoup sur la prévention. « Chez la sportive, il peut y avoir des conséquences à une dépense énergétique importante. Le fonctionnement de l’axe de reproduction est ralenti si la dépense n’est pas compensée par les apports. Mais cela n’a pas d’impact sur la fertilité », assure-t-elle.
Autre atout de l’Insep : la salle de cryothérapie, avec un équipement technologique qui vient d’être rénové pour 255 000 euros. « La cryo est l’un des outils qui subliment l’Insep », estime Adrien Revault, en master 2 Staps et stagiaire à l’Insep. Avec Jean-Robert Filliard, directeur adjoint du pôle médical, qui a porté ce projet, il travaille sur les modalités de récupération des sportifs de haut niveau en comparant la técarthérapie et la cryothérapie.
Cobaye de ses propres recherches, il se dévêt et entre dans un sas à - 110 °C où il reste trois longues minutes. Pendant ce temps, de l’autre côté de la vitre, Jean-Robert Filliard explique le principal intérêt de la cryothérapie : la récupération. « L’exposition au froid extrême va générer deux effets principaux : un effet anti-inflammatoire, c’est-à-dire que la température cutanée va diminuer de 15 à 20 degrés, et un effet antalgique, avec un ralentissement de la conduction nerveuse qui engendre une baisse de la sensation de douleur. En cas de dommages musculaires, le sportif se sentira bien mieux après son entraînement. » Adrien ressort dans un nuage blanc et épais. « Mes cils commençaient à geler et j’avais une barre au front », dit-il, avec la chair de poule, marqueur de la vasodilatation. Les retours sont unanimes : on dort beaucoup mieux le soir venu. La cryothérapie remédie en outre aux pathologies rhumatismales (fibromyalgie…) ou neurologiques (sclérose en plaques…), des séances sont d’ailleurs prescrites à des personnes extérieures à l’Insep.
Isocinétique, cryothérapie, balnéothérapie, hydrojets massants, IRM type DXA… L’escarcelle technologique de l’Insep est bien fournie. Elle sert aussi à nourrir les travaux du pôle recherche. C’est tout cela qu’est venu récompenser, en décembre dernier, le label décerné par le CIO. Partagé par dix autres centres dans le monde, il est pour le Dr Le Garrec « une reconnaissance scientifique mondiale qui va créer de l’émulation au niveau de la recherche sur la prévention des blessures et apporter un support financier ».