L'infirmière Libérale Magazine n° 357 du 01/04/2019

 

PROJET DE LOI SANTÉ

ACTUALITÉ

Véronique Hunsinger  

L’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 26 mars, le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, qui contient plusieurs dispositions intéressant directement les Idels.

Si l’objectif général du projet de loi porté par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, est de dégager davantage de temps médical, un certain nombre d’articles de ce texte concernent directement ou indirectement les Idels. La mesure la plus emblématique du projet de loi est la suppression du numerus clausus pour les études de médecine, qui est censée permettre la formation de 20 % de médecins supplémentaires par an. Cependant, les députés ont admis quelques nouveaux partages de compétences des médecins avec les pharmaciens et les infirmières. L’Assemblée nationale a ainsi adopté un amendement autorisant les infirmières à adapter la posologie pour certains traitements figurant sur une liste qui sera fixée par la ministre, après avis de la Haute Autorité de santé (HAS) et dans le cadre d’un protocole. « Cette adaptation ne peut avoir lieu que sur la base des résultats d’analyses de biologie médicale, sauf en cas d’indication contraire du médecin, et sous réserve d’une information du médecin traitant désigné par le patient », précise le projet de loi dans sa version adoptée en première lecture. Un autre amendement porté par des députés infirmiers a été adopté, celui permettant aux Idels de prescrire des solutions et des produits antiseptiques ainsi que du sérum physiologique en vente libre.

Pour leur part, les pharmaciens ont obtenu la possibilité d’une « dispensation pharmaceutique » sous protocole pour certaines pathologies bénignes comme les cystites ou les angines. La liste des médicaments concernés sera également fixée par arrêté après avis de la HAS. Ces deux mesures, qui ne figuraient pas dans le texte initial du gouvernement, ont été ajoutées via des amendements du rapporteur, le député médecin La République en marche (LREM) Thomas Mesnier (lire ci-contre). « La carte Vitale permet aux pharmaciens d’accéder au dossier pharmaceutique du patient ; ce dernier dispose donc d’antécédents de prescription pour le patient, a rappelé la députée Idel LREM Sereine Mauborgne. Une trop longue attente dans tout soin peut être extrêmement préjudiciable à la santé : l’état de santé du patient peut se dégrader si la consultation du médecin tarde trop. »

Télésoin

Les Idels vont également être concernées au premier chef par la pratique du « télésoin », que vient définir et encadrer le projet de loi. « Le télésoin est une pratique de soins à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication, dispose le projet de loi. Elle met en rapport un patient avec un ou plusieurs pharmaciens ou auxiliaires médicaux. » Il s’agit donc d’une pratique complémentaire à la télémédecine, qui est rebaptisée « télésanté » et réservée aux professions médicales. Le gouvernement cite notamment comme exemple de télésoin l’accompagnement par les infirmiers des effets secondaires de chimiothérapies orales ou encore les séances d’orthophonie et d’orthoptie à distance. Cette inscription dans la loi du télésoin ouvre surtout la voie à sa rémunération à travers la convention. « Les activités de télésoin prises en charge par l’Assurance maladie mettent en relation un auxiliaire médical et un patient et sont effectuées par vidéotransmission. Leur prise en charge est subordonnée par la réalisation préalable, en présence du patient, d’un premier soin par un auxiliaire médical de la même profession que celle du professionnel assurant le télésoin », précise le projet de loi.

En revanche, une série d’amendements concernant la profession infirmière a été retoquée. C’est le cas de celui porté par les députés infirmiers et visant à rendre possible la rédaction de certificats de décès à domicile par les Idels. Les députés ont également repoussé un amendement qui visait à définir les équipes de soins primaires (ESP) comme un « triptyque médecin généraliste-pharmacien-infirmier libéral ». Selon Thomas Mesnier, cette nouvelle définition aurait « ajouté des contraintes ». « La formule des équipes de soins primaires présente l’avantage de la souplesse, a-t-il fait valoir. Le médecin généraliste a vocation à en rester le pivot, même si, dans la pratique évidemment, les infirmiers et les pharmaciens sont des acteurs clés de ces structures. » Les députés ont aussi refusé de supprimer la condition de coordination par le médecin de l’exercice en pratique avancée des infirmiers (IPA). « Ce serait prématuré, cette coordination restant nécessaire pour sécuriser le développement des pratiques avancées, a souligné le rapporteur. Les premières promotions d’IPA finiront bientôt leur formation : laissons le temps au temps et ne faisons pas peser toutes les responsabilités sur les infirmiers, qui n’ont pas toujours la gratification qui les accompagne. »

Enfin, les députés ont rejeté la proposition d’expérimenter un statut d’infirmier référent. Et c’est également en raison de l’arrivée prochaine des IPA qu’un amendement visant à permettre aux Idels de programmer, jusqu’à la guérison, les soins liés au traitement local des plaies chroniques, a finalement été retiré. « Le renouvellement des pansements non médicamenteux est déjà autorisé à l’infirmier, en toute autonomie et sans prescription médicale, a argumenté Agnès Buzyn. Quant à la réfection des pansements médicamenteux pour les plaies chroniques, l’infirmier réalise les soins sur prescription médicale renouvelable. En outre, nous travaillons à des financements forfaitaires des épisodes de soins complexes : nous allons favoriser la description de tels épisodes de soins, incluant les actes infirmiers nécessaires, afin de prévoir des financements différents du financement à l’acte. »

La recertification professionnelle

La ministre de la Santé a également justifié par l’article 51 du budget de la Sécu pour 2018 - instaurant des dispositifs d’expérimentation pour l’innovation en santé - son avis défavorable à l’inscription dans la loi d’une expérimentation de consultation infirmière de premier recours. « Ouvrir cette possibilité n’irait pas sans poser des questions de rémunération mais aussi de responsabilité, a ajouté Thomas Mesnier. Pour avoir suivi une Idel pendant toute une journée dans ma circonscription - expérience particulièrement instructive que je vous recommande à tous -, je sais que les infirmiers et les infirmières portent déjà un lourd poids sur leurs épaules, même s’ils n’obtiennent pas pour cela toute la reconnaissance qu’ils méritent. »

À noter enfin que les députés ont introduit dans le projet de loi une disposition visant à étendre à toutes les professions de santé disposant d’un Ordre - dont les infirmiers - le processus de recertification professionnelle qui n’existe, pour l’heure, que pour les médecins et qui n’est pas encore effectif. Même si tous les amendements portés par la profession n’ont pas abouti, ces débats auront au moins permis de parler largement des Idels, comme rarement au Parlement.

Thomas Mesnier, médecin urgentiste et députe LREM (Charente), rapporteur général du projet de loi

→ Ce projet de loi vise certes, en premier lieu, à gagner du temps médical. Mais n’est-il pas pour autant trop centré sur les seuls médecins ?

Thomas Mesnier : C’est quelque chose qu’on a régulièrement entendu, mais je ne crois pasque cela soit fondé. Ce n’est pasun projet de loi pour les médecinsni pour telle ou telle profession, mais pour améliorer l’accès au soin des Français, en réorganisantle système. Nous avons fait beaucoup de choses sur l’amélioration du travail en équipe. Et je suis personnellement très heureux d’avoir porté des amendements sur le partagede compétences entre médecins, pharmaciens et infirmières.Celui sur les pharmaciens a suscité des réactions parfois vives de médecins, mais j’ai également reçu beaucoup de messages de soutien. Pour les Idels, il s’agissaitde reconnaître et de sécuriserdes pratiques qui se faisaient déjà. Désormais, elles pourront, par exemple, adapter les dosesdes anticoagulants en fonctiondes résultats des prises de sang, en lien avec le médecin traitant.J’ai par ailleurs porté un amendement sur les assistants médicaux. Même si c’est un sujet qui dépend de la négociation conventionnelle, il fallait aussi introduire cette notion dans la loi afin de sécuriser leur futur exercice et pour que leurs actes ne soientpas considérés comme de l’exercice illégal de la médecine. Je croisque les assistants médicauxsont une vraie solution pour gagner du temps médical.

→ Quel regard portez-voussur la profession infirmièreà l’issue de ces débats ?

T. M. : Nous avons auditionnéles représentants de la profession. Je crois que les infirmiers et les infirmières souhaitent tous une reconnaissance plus importantede leurs compétences, et ils ontune envie très franche de participer davantage au système de santéet d’aller vers une évolution, que j’appelle également de mes vœux, qui est celle des soins coordonnés et du travail en réseau pluriprofessionnel. Cela va complètement dans le sensde l’histoire. À nous de voir comment l’accompagner sans prendre le pas sur les négociations conventionnelles en cours avec l’Assurance maladie, qui sont aussi très importantes.