Caroline Rebhi est co-présidente du Planning familial. Elle réagit à la polémique lancée par un syndicatde gynécologues libéraux, qui a appelé ses membres à « arrêter la pratique des IVG ». Un mot d’ordre « contraire à la déontologie médicale et scandaleux », a estimé l’Ordre des médecins. Une sortie « inadmissible », selon la ministre de la Santé, Agnès Buzyn.
Caroline Rebhi : Non, il y a plusieurs précédents. Le président de ce syndicat, Bertrand de Rochambeau, a déclaré en septembre dans l’émission « Quotidien » (TMC), que les gynécologues n’étaient pas là pour retirer des vies. En décembre 2018, au congrès du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, qui est la société savante des gynécologues, les femmes qui accouchent ont été comparées à des « juments » au cours d’une présentation : « Celles qui ont de grosses hanches ne sont pas les plus agréables à monter, mais ce sont celles qui mettent bas le plus facilement. » Cette fois-ci, un cap est franchi : un syndicat professionnel menace de commettre un délit d’entrave au droit à l’avortement. En prenant les femmes en otage, ils voulaient faire scandale, pour se faire entendre par le gouvernement pour des problèmes d’assurance. C’est heureusement raté, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a condamné ces menaces.
C. R. : Ce syndicat ne reflète pas l’opinion de tous les gynécologues ni de tous les médecins. L’Ordre des médecins a également condamné le communiqué du Syngof, en rappelant qu’une telle menace était contraire à la déontologie. Mais le Syngof est systématiquement opposé à toute avancée sur le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Il était contre l’abrogation, en 2016, du délai obligatoire de réflexion d’une semaine. Il était aussi contre la pratique par les sages-femmes des IVG médicamenteuses, qui est possible depuis 2018. Et il est bien sûr opposé à ce que les sages-femmes pratiquent tous types d’avortements, y compris instrumentaux. C’est aujourd’hui notre principale revendication. Une IVG instrumentale est un acte techniquement simple, que les sages-femmes seraient capables de réaliser seules après une courte formation. Et ce serait aussi logique : elles ont un savoir-faire en matière de santé sexuelle puisqu’elles s’occupent de la contraception après l’accouchement. On a le sentiment que les gynécologues sont dans une posture corporatiste, que cette profession majoritairement masculine veut garder le pouvoir sur le corps des femmes.
C. R. : Tous les jours, des femmes qui veulent se faire avorter sont mal reçues par des médecins. Souvent parce qu’ils ne se sont pas formés, des gynécologues libéraux font traîner les femmes, en leur demandant de revenir dans une semaine. Au moment de l’échographie obligatoire avant une IVG, certains radiologues montrent aux femmes l’image de l’embryon, leur font entendre les sons, ce qui est évidemment traumatisant. Par précaution, nos médecins sont contraints d’inscrire « ni sons ni images » sur leurs prescriptions. Les médecins ont bien sûr le droit de faire valoir leur clause de conscience et de refuser de pratiquer un avortement, mais ils sont dans l’obligation d’orienter les femmes vers un autre médecin. Beaucoup de médecins refusent de pratiquer des IVG au-delà de dix à douze semaines, et dans certaines régions, il devient difficile d’appliquer la loi, qui autorise une IVG jusqu’à quatorze semaines. Les propos de ce syndicat encouragent ces médecins dans leur attitude hostile, et visent à faire peur aux femmes. Notre travail est de les rassurer. Et nous pouvons nous appuyer sur des gynécologues libéraux qui pratiquent des IVG médicamenteuses en ville d’une manière respectueuse pour les femmes. Il y a aussi de plus en plus de médecins généralistes qui se forment.
C. R. : Environ deux IVG sur trois sont réalisées par voie médicamenteuse en métropole, et cette part est en constante augmentation. Le Planning familial ne prend pas position entre les deux méthodes, l’important est que les femmes aient le choix. Il ne faut pas que le médicament soit un choix par défaut, parce qu’il est plus économique ou parce qu’il n’y a pas de bloc disponible pour une IVG instrumentale. Le médicament est la méthode la plus simple pour les médecins. L’est-elle pour les femmes ? Sont-elles toujours bien informées sur la fausse couche, les saignements qui surviennent à leur domicile, où elles sont souvent seules ? Ont-elles toujours un numéro d’urgence pour appeler si les saignements durent plus longtemps ? Bien informée, une femme peut préférer être endormie pendant une IVG instrumentale. Ce choix doit être respecté.
C. R. : Nous ne nous sommes pas positionnés sur ce point. Mais le Planning familial est favorable à ce qu’un nombre de plus en plus grand de professionnels de santé qualifiés pratique des IVG. Plus largement, les infirmières ont leur place dans la santé sexuelle. En Grande-Bretagne, des infirmières pratiquent des tests de dépistage du sida.
1975 → Légalisation de l’IVG, par la loi Veil
1982 → Remboursement à 70 %
1989 → Autorisation de la technique médicamenteuse
2004 → Technique médicamenteuse pratiquée en ville
2016 → Suppression du délai obligatoire de 7 jours
2016 → Prise en charge à 100 %
2016 → Technique médicamenteuse ouverte aux sages-femmes
Le nombre d’IVG est stable
En 2017, 216 700 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été réalisées en France, selon la dernière étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Ce chiffre a peu varié depuis 2001 : il oscille, selon les années, entre 215 000 et 230 000. Il existeen revanche d’importants écarts entre les régions : dans les Pays de la Loire, il y a 10,2 IVG pour 1 000 femmes, mais 17,4 en Île-de-France,21,4 en Provence-Alpes-Côte d’Azur et 33,6 en Guadeloupe. Une IVG sur vingt est réalisée entre douze et quatorze semaines d’aménorrhée. La DREES note une évolution rapide des pratiques depuis l’autorisation des IVG médicamenteuses en dehors des établissements de santé. Aujourd’hui, deux tiers des IVG sont pratiquées par voie médicamenteuse, et moins souvent dans un établissement de santé. Près de 20 % des IVG sont pratiquées dans des cabinets libéraux, de gynécologues ou de médecins généralistes. L’étude n’intègre pas les sages-femmes, autorisées à pratiquer des IVG depuis 2018 seulement. A contrario, le nombre d’IVG instrumentales ne cesse de baisser.