Repérer les signes - L'Infirmière Libérale Magazine n° 357 du 01/04/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 357 du 01/04/2019

 

Cahier de formation

Savoir faire

Au-delà des soins curatifs qu’elles peuvent être amenées à prodiguer sur prescription médicale (prélèvements, soins d’escarres, réalisation d’injections d’anticoagulants après fracture, alimentation entérale par sonde à domicile), les infirmières libérales (Idels) ont également leur place dans le repérage, l’information, l’orientation et l’accompagnement des patients anorexiques et de leur famille.

Les Idels peuvent jouer un rôle important dans le repérage précoce de l’anorexie mentale (AM) à condition d’en connaître les signes d’alerte et de poser les bonnes questions.

SIGNES ÉVOCATEURS DE L’AM

Nombreuses sont les jeunes filles et jeunes femmes qui se préoccupent de leur apparence physique et de leur poids. « Ce sont des préoccupations assez courantes à ces périodes de la vie, commente le Dr Pommereau, chef du pôle aquitain de l’adolescent au CHU de Bordeaux. Les Idels, mais aussi les infirmières scolaires et du travail, vont donc devoir distinguer ces comportements banals des signes vraiment évocateurs d’AM » :

→ l’état de maigreur : lorsqu’elle n’est ni structurelle (famille de maigres) ni pathologique (maigreur résultant d’un cancer de l’adolescent, leucémie ou lymphome, notamment), la maigreur impose de calculer l’indice de masse corporelle (IMC). Celui-ci doit se situer entre 17 et 18. En deçà, des investigations sont nécessaires et justifient d’orienter les patientes vers une consultation médicale ;

→ le comptage calorique : l’adolescente ou la jeune femme de poids normal qui compte avec précision les calories contenues dans tous les aliments présente un comportement tout à fait inhabituel, évocateur d’un trouble des conduites alimentaires (TCA) ;

→ les régimes et répugnances pour certains aliments : avec la mode du végétarisme, du véganisme et du « sans-gluten », il n’est pas rare de rencontrer, y compris chez des sujets jeunes, des comportements alimentaires d’exclusion de certains types d’aliments, qui s’expliquent par des considérations personnelles ou idéologiques. Mais lorsqu’une adolescente s’impose des régimes hypocaloriques, voire éprouve de la répugnance pour les féculents ou les matières grasses sans aucune explication logique, cela signifie généralement « J’ai peur que ces aliments me fassent grossir. » Il s’agit d’un signe d’alerte important à ne pas négliger ;

→ la connaissance de son IMC : une adolescente ou une jeune femme qui ne présente aucun problème de surpoids et qui connaît son IMC ou dit vouloir atteindre un IMC non physiologique autour de 17 ou 18, doit faire l’objet d’une attention particulière et susciter quelques questions ;

→ les comportements boulimiques : lorsqu’elle entend « Je ne peux rien manger car je ne peux rien garder », « Je vomis souvent ce que je mange », l’Idel doit demander depuis combien de temps. Si ces troubles sont très récents, il est possible que ce ne soit qu’une gastroentérite. En revanche, si cela dure depuis plusieurs semaines ou mois, il s’agit d’un signe d’alerte d’anorexie-boulimie ;

→ un mauvais état dentaire et des cheveux de plus en plus fins qui cassent et tombent par poignées : ils révèlent des conduites de purge (vomissements) ;

→ l’aménorrhée installée : une aménorrhée présente depuis plusieurs mois chez une jeune fille qui a maigri de manière significative et qui était auparavant normalement réglée constitue un signe tangible d’anorexie. L’aménorrhée faisait partie de la triade diagnostique (anorexie, aménorrhée, amaigrissement) de la classification DSM-IV, aujourd’hui remplacée par celle du DSM-V (voir la partie « Savoir » p. 36) ;

→ l’arrêt des activités de loisirs au profit d’un sport d’endurance pratiqué de manière excessive dans le but d’éliminer les moindres calories absorbées ;

→ un surinvestissement scolaire : les Idels doivent s’intéresser aux résultats scolaires qui, dans le contexte de l’anorexie, sont généralement excellents, car ces patientes présentent la caractéristique d’être intelligentes et brillantes et de réussir dans leurs études ;

→ la taille des vêtements : elle est souvent révélatrice d’un poids anormalement bas qui peut être masqué par des vêtements amples alors que ces jeunes filles s’habillent en 34, voire très souvent chez les enfants. Leur demander leur taille de pantalon, par exemple, peut contribuer à confirmer les présomptions et inciter l’Idel à approfondir l’investigation par quelques questions ciblées afin de préciser la nature des troubles.

POSER LES BONNES QUESTIONS

« En présence de plusieurs de ces indicateurs, l’infirmière à domicile, scolaire ou du travail a toute la légitimité pour poser une ou deux questions simples permettant d’objectiver un TCA », poursuit le Dr Pommereau. Elle peut par exemple demander : « Avez-vous ou avez-vous eu un problème avec votre poids ou votre alimentation ? Quelqu’un de votre entourage pense-t-il que vous avez un problème avec l’alimentation ? »(1). Elles peuvent aussi se reporter au questionnaire SCOFF (lire l’encadré, p. 45) qui révèle, à partir de deux réponses positives ou plus, un possible TCA et la nécessité d’orienter la patiente vers un médecin afin de valider le diagnostic et de proposer une prise en charge adaptée. C’est ainsi qu’Audrey a été repérée par une infirmière scolaire qui, alertée par la maigreur de ses bras, son état général et la nature de son discours, a demandé à voir ses parents pour leur faire part de son inquiétude et leur suggérer de consulter rapidement un médecin. « C’est la première fois que le terme d’anorexie mentale a été prononcé, raconte cette patiente. Je pesais alors 35 kg et n’étais pas consciente d’être malade. »

(1) HAS, « Anorexie mentale : prise en charge », Recommandations de bonne pratique, juin 2010 (consulterle lien bit.ly/2H9uRYf).

Cas pratique

Vous intervenez chez une patiente diabétique dans le cadre du contrôle de son HbA1c. Durant le prélèvement, elle vous dit avoir honte de ne pas réussir à se discipliner pour pratiquer une activité physique régulière, contrairement à sa fille qui s’abstient régulièrement de manger pour courirpar tous les temps, au moins deux heurespar jour. La maman ne semble pas être préoccupée par ce comportement et serait presque envieuse de la silhouette filiformede la jeune fille.

Cela éveille votre attention et vous prolongez la discussion afin de tenter d’en savoir plus et de cerner s’il y a lieu d’alerter la maman quant aux troubles que les comportements de sa fille pourraient potentiellement révéler.

La théorie du professeur Charcot

Maître à penser des plus grands neurologues et psychiatres français et étrangers des XIXe et XXe siècles, dont Bourneville, Gilles de la Tourette et Sigmund Freud, « le Pr Jean-Martin Charcot estimait que la guérison des anorexiques n’était possible qu’en les isolant de leur structure sociale et familiale. Selon lui, le mal-être de l’anorexique serait le fait, en grande partie, de difficultés sociales au sein de la famille. Notamment, il mettait en lumière une proximité jugée trop importante entre la fille et sa mère et un éloignement trop prégnant du père »*. Ce point de vue explique le mode de traitement longtemps privilégié et consistant à isoler les patientes pour les mettre face à elles-mêmes pour réfléchir à leur pathologie, leurs problèmes et leur avenir.

* Barbara Leblanc, Anorexie, 10 ans de chaos, Éditions Envolume, 2015.

HELP-ADOS

Ce dispositif numérique de médiation et de critérisation des conduites à risque, dont les TCA, est destiné aux médecins généralistes et aux Idels pour déterminer des niveaux de risque et de criticité du comportement d’un adolescent en souffrance. Il s’utilise lors d’un entretien en face à face et est actuellement testé dans le cadre d’Asalée. Cet outil sera accessible aux soignants fin 2019.