CAHIER DE FORMATION
Savoir faire
En médecine de ville comme à l’hôpital, la prévention de la dissémination des bactéries résistantes aux antibiotiques repose, entre autres, sur le respect des précautions d’hygiène appliquées lors des soins. L’hygiène des mains est la première barrière contre la transmission croisée de ces bactéries.
« Ce qui cause l’infection (…), c’est le médecin et son personnel qui transportent le microbe d’une femme malade à une femme saine », écrivait Louis Pasteur à propos de la fièvre puerpérale, qui tuait 10 % des accouchées dans les maternités à la fin du XIXe siècle. Le biologiste pointait alors la transmission des bactéries, virus ou champignons de patient à patient, à l’occasion des soins. Aujourd’hui, la « transmission croisée » :
→ désigne la transmission de micro-organismes de patient à patient ou de l’environnement à un patient ;
→ ne désigne pas la transmission depuis un site colonisé vers un site normalement stérile chez un même patient.
La transmission croisée de micro-organismes s’effectue par plusieurs mécanismes :
→ transmission par contact, le plus souvent par les mains des soignants (transmission manuportée) ;
→ transmission par des gouttelettes émises lors de la parole, la respiration, les éternuements ou la toux (ex. : méningocoque). Ces « grosses » gouttelettes (> 5 µm) ne restent pas en suspension dans l’air et contaminent la personne qui les reçoit au niveau des muqueuses ou des conjonctives :
- soit directement de la muqueuse de l’émetteur à la muqueuse faciale du receveur (nasale, buccale, conjonctives),
- soit indirectement via les mains du receveur, contaminées par un contact avec les sécrétions ORL du patient ou avec une surface (table, jouets…), puis portées au visage (bouche, nez ou yeux) ;
→ transmission aérienne d’agents infectieux véhiculés sur de longues distances par de fines particules (< 5 µm), des « microgouttelettes », aussi appelées droplet nuclei, qui, inhalées par une autre personne, contaminent celle-ci au niveau de l’alvéole pulmonaire (ex. : bacille de Koch). À savoir que les transmissions aéroportée, aérienne et par gouttelettes, peuvent être associées.
Les précautions d’hygiène sont des mesures mises en place pour faire barrière à la transmission croisée des micro-organismes, dont les bactéries résistantes aux antibiotiques. Ces « mesures barrière » sont adaptées au risque infectieux. Trois niveaux sont distingués : précautions standard d’hygiène, précautions complémentaires (contact, gouttelettes et air) et précautions spécifiques « de type BHR » (voir le schéma ci-dessous).
L’essentiel des mesures barrière à la transmission des bactéries résistantes aux antibiotiques ou autres micro-organismes repose sur l’application stricte des précautions standard (PS), au cabinet de ville comme lors des visites à domicile(1). Les PS permettent de prévenir :
→ la transmission croisée des micro-organismes entre soignant, soigné et environnement ;
→ la transmission par exposition à un produit biologique d’origine humaine (sang, sécrétions, excreta…).
Ces mesures de base reposent sur le principe que tout individu, même asymptomatique, et tout produit biologique d’origine humaine, peut être porteur ou contenir des micro-organismes susceptibles d’être transmis lors du soin. Les PS s’appliquent donc pour tout soin, en tout lieu, pour tout patient et par tout professionnel de santé (2).
La transmission de micro-organismes par les mains contaminées du personnel soignant est le mode de transmission le plus courant. L’hygiène des mains constitue la première mesure barrière du risque infectieux associé aux soins (voir la partie « Assurer une hygiène des mains efficace à domicile », p. 43).
Deux types de gants à usage unique, soumis à des normes différentes, sont utilisés par les professionnels de santé :
→ les gants médicaux, stériles ou non stériles, visant principalement à protéger le patient contre une infection ;
→ les gants de protection, visant à protéger le soignant en cas de contact avec les liquides biologiques d’un patient.
Les gants de protection sont systématiquement portés dans le cadre des PS en cas de :
→ risque de contact avec du sang ou tout autre produit d’origine humaine lors d’un prélèvement sanguin ou urinaire, de la pose et dépose d’une voie veineuse, quel que soit le site ;
→ risque de contact avec les muqueuses ou la peau lésée (ex. : plaie chronique) ;
→ manipulation des tubes de prélèvements biologiques, de linge et matériels souillés ;
→ lésions (coupure, blessure, excoriation ou dermatose) sur les mains du soignant, pour tout soin.
→ Hormis en présence de lésions sur les mains du soignant ou en cas d’infection à Clostridium difficile ou de gale (recommandations spécifiques), les gants ne doivent pas être portés lors des contacts avec la peau saine du patient, y compris avec un patient porteur de BMR ou BHRe.
→ Retirer les gants lors du passage d’un site contaminé à un autre site, propre ou contaminé, chez un même patient.
→ Mal réalisé, le port de gants peut augmenter le risque de transmission croisée (principe : un gant = un soin).
→ Changer de gants entre chaque patient le cas échéant et lors de chaque interruption de soins (ex. : appel téléphonique).
→ Réaliser systématiquement une friction hydroalcoolique après ablation des gants (voir p. 43). Pour cela, les gants non poudrés doivent être privilégiés.
→ La poudre qui fixe les protéines du latex des gants en latex peut être diffusée dans l’air ambiant lors de l’enfilage, être inhalée et provoquer des allergies.
Préférer les gants en caoutchouc synthétique (néoprène, nitrile…) ou choisir des gants en latex à faible teneur en protéines, non poudrés ou à faible teneur en poudre(3).
Dans le cadre des PS, les masques chirurgicaux de type R, comportant une couche dite « imperméable », protègent contre la projection de liquides biologiques.
Il existe quatre types de masques chirurgicaux :
→ les masques de type I = EFB (efficacité de filtration bactérienne) > 95 % ;
→ les masques de type II = EFB > 98 % ;
→ les masques de type I R et de type II R (R pour « résistant aux projections »).
Dans le cadre des PS, il est recommandé d’utiliser :
→ un tablier plastique à usage unique (sans manche) lors des soins mouillants ou exposant à des projections ;
→ une surblouse à manches longues, imperméable, à usage unique, en cas d’exposition majeure aux liquides biologiques.
Cette protection est éliminée à la fin d’une séquence de soins.
Dans certaines situations, des précautions d’hygiène peuvent être préconisées en complément des précautions standard. Elles sont de trois ordres : les précautions complémentaires de type contact (PCC), air et gouttelettes. « Sauf pour quelques bactéries, moins fréquentes, transmissibles par air ou gouttelettes, la prévention de la transmission des mécanismes de résistance aux antibiotiques, bactéries ou plasmides, relève le plus souvent des PCC », observe Marie-Gabrielle Leroy, infirmière hygiéniste, administratrice de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H).
Toutefois, « de façon générale, des bactéries résistantes peuvent imposer des précautions air ou gouttelettes », ajoute le Dr Véronique Wattez de l’équipe opérationnelle d’hygiène hospitalière du centre hospitalier de Vienne (38). « C’est par exemple le cas pour un patient porteur d’un Pseudomonas multirésistant dépisté dans des prélèvements pulmonaires. Si ce patient tousse, il y a un risque d’exposition de l’environnement, incluant des personnes, qui justifie des précautions gouttelettes. »
« Dans ses recommandations sur les précautions complémentaires de type contact, la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) s’est positionnée en stipulant en préambule que lorsque les précautions standard sont rigoureusement appliquées, il n’est généralement pas nécessaire d’avoir recours à des précautions complémentaires contact », expose Marie-Gabrielle Leroy. Dans les autres cas, la SF2H recommande d’appliquer des PCC en présence de :
→ Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) ;
→ Acinetobacter baumannii ne restant sensible qu’à l’imipénème ou résistant à l’imipénème ;
→ entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu (EBLSE) ;
→ Pseudomonas aeruginosa multirésistant.
À la différence des PS, l’application de PCC implique pour le soignant de revêtir systématiquement un tablier imperméable à usage unique pour tout soin impliquant un contact direct entre le patient et le soignant.
La mise en œuvre de précautions complémentaires de type respiratoire, précautions complémentaires air et précautions complémentaires gouttelettes, ajoutées aux PS, est fortement recommandée lors de la prise en charge d’un patient porteur de micro-organismes à transmission respiratoire(4).
On distingue les masques chirurgicaux, qui sont des dispositifs médicaux, et les appareils de protection respiratoire, qui sont des « équipements de protection individuelle ».
Ils permettent la protection contre les agents transmissibles par voie gouttelettes du patient et la réduction de l’émission de gouttelettes vers l’entourage et l’environnement (précautions complémentaires gouttelettes).
Conseil : choisir un masque chirurgical répondant à la norme EN 14683(1), qui évalue l’efficacité du matériau filtrant dans le sens de l’expiration.
Les APR protègent contre l’inhalation d’agents transmissibles par « transmission air » (précautions complémentaires air).
Il en existe trois classes en fonction des performances :
→ FFP1 : pénétration filtre maximale 20 %, fuite totale maximale 22 % ;
→ FFP2 : pénétration filtre maximale 6 %, fuite totale maximale 8 % ;
→ FFP3 : pénétration filtre maximale 1 %, fuite totale maximale 2 %.
Remarque : une efficacité plus grande entraîne une plus forte résistance à la respiration. Dans les conditions d’un port de durée limitée pour charge physique modérée, la différence de confort entre FFP2 et FFP3 est faible(4).
Conseil : choisir un APR de classe d’efficacité FFP2 à usage unique répondant à la norme EN 149 ; les APR de classe FFP1 n’apportant en situation réelle qu’une faible protection n’ont plus d’indication lors des soins(1).
Dans le cadre des précautions complémentaires gouttelettes, le port d’un tablier ou d’une surblouse est recommandé pour tout soin avec risque de projection gouttelettes.
Dans le cas d’un patient présentant une infection respiratoire à BMR (ex. : SARM), le port d’un masque chirurgical :
→ par le soignant, est recommandé dès l’entrée dans la pièce occupée par le patient et lors de soins directs ;
→ par le patient, est recommandé lorsqu’il est en contact avec d’autres personnes.
(1) Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), « Bonnes pratiques essentielles en hygiène à l’usage des professionnels de santé en soins de ville », novembre 2015.
(2) SF2H, « Actualisation des précautions standard », juin 2017.
(3) Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (Geres),« Les dispositifs barrière » (consulter le lien bit.ly/2YWQAsN).
(4) SF2H, « Prévention de la transmission croisée par voie respiratoire : air ou gouttelettes », mars 2013.
M. K. rentre à domicile après une longue hospitalisation pour un sepsis. Au cours d’un passage en service de réanimation, il a bénéficié de dépistages de routine à la recherche de BHRe, et les prélèvements rectaux ont montré qu’il était porteur d’Enterococcus faecium résistant à la vancomycine (ERV). Il vous dit qu’il n’a pas bien compris les consignes données à la sortie de l’hôpital.
Vous lui rappelez que le fait d’être porteur d’une BHRe est sans gravité pour lui et que cela ne rend pas malade. Qu’il peut reprendre ses activités habituelles sans précautions particulières. En revanche, il doit respecter une hygiène corporelle quotidienne et se laver les mains systématiquement après être allé aux toilettes et avant de manger. Il doit aussi indiquer le portage de la bactérie résistante à tous les professionnels de santé qui le suivent (médecins, aides-soignants, kinésithérapeute et autres) ainsi que lors d’une nouvelle hospitalisation, cela dans le but d’éviter la transmission de la BHRe à d’autres patients.
3e étage : les précautions spécifiques de type « BHR » sont appliquées en fonction du type de résistance de la bactérie, du risque de dissémination et de la situation épidémique locale.
2e étage : les précautions complémentaires d’hygiène sont appliquées en présence de BRM ou de pathologie infectieuse contagieuse (infection à Clostridium difficile, rougeole…). Il s’agit le plus souvent de précautions complémentaires de type « contact », qui peuvent être complétées par des précautions de type « gouttelettes » ou « air ».
1er étage : les précautions standard d’hygiène, dont la gestion des excreta, sont systématiquement appliquées pour limiter le risque de transmission croisée de micro-organismes et assurer une protection des patients, des personnels de santé et de l’environnement du soin.
Anne Raimbault, infirmière libérale à Quintin (22)
« J’ai été sollicitée pour donner mon avis sur l’applicabilité des précautions d’hygiène standard à domicile lors de l’actualisation des recommandations de la SF2H en 2017. A priori, il n’y a pas d’obstacle à la mise en place de ces précautions en exercice libéral, c’est d’ailleurs ce que nous faisons quotidiennement. Il faut néanmoins s’adapter aux conditions d’hygiène, variables en fonction des habitudes des patients. Il serait toutefois souhaitable que nous soyons averties du portage d’une bactérie résistante aux antibiotiques dès le retour à domicile, alors que nous le découvrons parfois en cours de prise en charge. En cas de difficultés, les libéraux ne doivent pas hésiter à contacter les équipes d’hygiène de l’hôpital d’où vient le patient ou les centres de prévention des infections associées aux soins (Cpias) régionaux. »
Marie-Gabrielle Leroy, infirmière hygiéniste, administratrice de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H)
« Le port d’un tablier de protection imperméable à usage unique est prévu dans les précautions standard pour tout soin susceptible d’être souillant ou mouillant, ou exposant au sang et/ou aux liquides biologiques. Une mesure qui est plus ou moins observée selon les services hospitaliers. Il faut se demander quel est l’objectif d’une telle protection pour donner du sens à la mesure de précaution. En l’occurrence, le tablier protège le soignant du risque d’éclaboussure. Il protège aussi le patient d’éventuels micro-organismes déjà présents sur la tenue du soignant. Jeté à la fin du soin, il protège également le patient suivant d’éventuels micro-organismes transmis à la tenue du soignant par le patient précédant. Il en va de même pour les différentes mesures de précaution d’hygiène. Ces notions sont bien intégrées par les binômes infirmier/aide-soignant dans les services de réanimation par exemple. »