L'infirmière Libérale Magazine n° 358 du 01/05/2019

 

CAHIER DE FORMATION

Savoir faire

LA TRANSMISSION MANUPORTÉE

La transmission de micro-organismes par les mains contaminées du personnel soignant est le mode de transmission le plus courant lors des soins. Cette transmission manuportée se compose de plusieurs étapes consécutives :

→ les micro-organismes sont présents sur la peau du patient et/ou sur des objets inertes de son environnement immédiat ;

→ ils sont transmis aux mains du personnel soignant où ils survivent pendant plusieurs minutes. À savoir qu’« après plusieurs jours dans un lit, la peau saine d’un malade est recouverte de colibacilles fécaux au niveau du bassin, du bas du dos et du haut des cuisses, même si le patient n’est pas incontinent. De la même manière, des bactéries de la région rhinopharyngée sont retrouvées sur le visage et le haut du thorax », rappelle le Pr Vincent Jarlier, ex-chef du laboratoire de bactériologie-hygiène des hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière, à Paris ;

→ le geste d’hygiène des mains est omis ou est effectué de manière inefficace à cause d’un produit inopérant ou d’un geste incomplet (voir le schéma p. 45) ;

→ les mains contaminées du soignant entrent en contact direct avec un autre patient ou avec un objet inerte (poignée de porte…), qui sera ensuite en contact avec le patient.

L’HYGIÈNE DES MAINS

L’hygiène des mains constitue la première mesure barrière contre le risque de transmission d’agents infectieux associée aux soins :

→ le lavage des mains à l’eau et au savon, également considéré comme une technique d’hygiène des mains, est préconisé lorsque les mains sont visiblement souillées « ou après tout contact avec une matière organique ou un liquide biologique », précise Marie-Gabrielle Leroy, infirmière hygiéniste, administratrice de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) ;

→ la friction hydroalcoolique (FHA) est recommandée en routine, en l’absence de souillure visible, selon les cinq indications de l’Organisation mondiale de la santé (voir le schéma p. 44). La désinfection des mains par friction avec une solution hydroalcoolique est considérée comme la technique de référence. C’est la plus efficace et la plus rapide pour inactiver les micro-organismes, et c’est la mieux tolérée par la peau, mieux que le lavage à l’eau et au savon. Des études ont montré que les mains restaient contaminées par une flore transitoire après lavage des mains au savon doux, ce qui n’est pas le cas après une FHA(1) ;

→ la FHA est précédée d’un lavage des mains à l’eau et au savon en présence de souillure visible des mains. Dans ce cas, la FHA sera réalisée sur des mains correctement séchées. Cette association du lavage à l’eau et au savon et de la FHA est « également recommandée après un contact accidentel avec des matières biologiques. Et dans certaines situations spécifiques comme les diarrhées à Clostridium difficile et la gale », ajoute Marie-Gabrielle Leroy ;

→ l’hygiène des mains et le port de gants à usage unique : une FHA est effectuée avant de mettre des gants, avant le soin, afin de ne pas contaminer les gants au moment de les prendre. L’objectif est d’abaisser le niveau initial de contamination des mains, qui est majoré par la chaleur et l’humidité induites par le port des gants, ceux-ci ne constituant pas par eux-mêmes une barrière absolue contre le risque de transmission. Une autre friction est effectuée au retrait des gants pour les mêmes raisons. Une FHA ne peut être réalisée sur les gants car, bien qu’une telle désinfection soit efficace, elle détériore le matériau du gant (nitrile, latex ou PVC) et diminue son étanchéité(2).

LES SOLUTIONS HYDROALCOOLIQUES

Utilisées de façon répétée par les professionnels de santé, les solutions hydroalcooliques (SHA) doivent assurer innocuité et bonne tolérance en plus de leur efficacité contre les micro-organismes. La toxicité des SHA est un sujet régulièrement polémique(2).

Présentations

Trois présentations sont le plus souvent proposées : les flacons pompe, les flacons pour distributeurs et les flacons poche.

→ Les flacons poche, plus coûteux que les autres présentations à volume égal, sont plutôt proposés pour la consommation personnelle, où les autres présentations ne sont pas adaptées. Ils peuvent être utilisés au domicile, mais « les flacons pompe de 500 mL ont tout à fait leur place dans la valise de l’infirmière », remarque Anne Raimbault, infirmière libérale à Quintin (22).

→ Les flacons pompe sont les présentations adaptées pour le cabinet. Quelle que soit leur utilisation, la SF2H préconise certains critères de choix(2) :

- un flacon stable par lui-même ou grâce à un support adaptable à toutes les surfaces ;

- un flacon et une pompe dans un matériau ne contenant pas de perturbateur endocrinien (bisphénol A, phtalates…), et si possible biodégradable ;

- une pompe (ou valve) à usage unique ;

- une pompe (ou valve) résistante aux chocs (transport, chutes) et aux usages répétés ;

- une pompe (ou valve) distribuant un volume permettant d’obtenir une activité complète et un temps de contact validés (voir la partie « Mode d’emploi » ci-après).

→ Le volume le plus souvent utilisé est de 500 mL, ce qui correspond à 167 utilisations en moyenne. D’autres volumes peuvent être préférés en fonction du nombre d’utilisations et du délai de péremption du produit.

Composition

Les composants utilisés dans les SHA sont les alcools, qui constituent la base du produit, associés à d’autres composants comme les antiseptiques, les agents de texture, les émollients, les surgraissants…

Alcools

Les alcools utilisés sont l’éthanol, le propanol (ou N-propanol ou propanol 1) et l’isopropanol (ou propanol 2). Aucun de ces trois alcools n’est un allergène connu, tous sont desséchants et irritants, surtout sous gants s’ils ne sont pas accompagnés de produits émollients en concentration suffisante(2).

Conseil : privilégier des SHA composées d’éthanol, de N-propanol ou de propanol, l’isopropanol pouvant être moins bien toléré(2).

Autres composants

Les molécules actuellement surveillées ou déconseillées pour un usage professionnel répété sont :

→ la chlorhexidine, en raison de la fréquence des allergies ;

→ le triclosan, connu pour son potentiel allergique et sa toxicité, a été exclu de la composition des SHA. Ce puissant antibactérien, soupçonné d’avoir un effet perturbateur endocrinien, est cependant toujours autorisé par l’Union européenne dans les cosmétiques (concentration maximale de 0,3 %) et dans les bains de bouche (maxi 0,2 %), mais interdit dans les produits de rasage depuis octobre 2014 ;

→ le phénoxyéthanol, conservateur largement utilisé en cosmétologie, qui est irritant avec un potentiel mutagène ou tératogène rapporté par plusieurs études épidémiologiques, sans pour autant être classé comme tel par l’Institut national de recherche en sécurité (INRS) ou l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).

MODE D’EMPLOI

Se référer à la notice du produit pour connaître le volume permettant d’obtenir une activité complète et le temps de contact validés par les normes en vigueur (généralement 30 secondes).

Exemples :

→ Aniosgel 85 NPC (laboratoire Anios), utilisé pour une friction hygiénique : 3 mL au minimum (un creux de main) pour un temps de friction de 30 secondes ; alcool : éthanol ;

→ Desderman Pure Gel (société Schülke & Mayr), utilisé pour une friction hygiénique : 3 mL au minimum (un creux de main) pour un temps de friction de 30 secondes ; alcools pour 100 g de produit : 78,2 g d’éthanol + 10 g de propan-2-ol (isopropanol) + 0,1 g de biphényl-2-ol ;

→ Mediclean Gel 80RL (société Rolylab), utilisé pour une friction hygiénique : quantité suffisante pour maintenir les mains humides pendant 30 secondes ; alcool : éthanol ;

→ Purell Gel Antiseptique pour les Mains VF481 (société Gojo), utilisé pour une friction hygiénique : 3 mL au minimum (un creux de main) pour un temps de friction de 30 secondes ; alcools : éthanol + isopropanol.

LES CRÈMES PROTECTRICES

Leur utilisation est recommandée pour éviter une éventuelle sècheresse ou irritation de la peau des mains due à l’usage répété des SHA.

→ Les crèmes protectrices doivent être utilisées en dehors des périodes d’activités de soins, de manière préventive et pas seulement curative(2). Exemples : Cold Cream ou Laino Crème Mains Pro Intense (laboratoires Gilbert), Baktolan Lotion Pure (Hartmann), Sensiva protective émulsion (Société Schülke & Mayr).

→ Les crèmes barrière sont des médicaments relevant d’une prescription médicale pour le traitement d’appoint des lésions d’irritation et de sécheresse cutanée. Ces crèmes permettent à la peau de retrouver son état d’hydratation et réduisent les phénomènes d’irritation, de démangeaison et de grattage. Elles sont utilisées en début de période de travail, avant la première application de SHA(2). Exemples : Vaseline Officinale Cooper (Coopération pharmaceutique française), Dexatopia crème (Delpharm Huningue SAS), Glycerol/Vaseline/Paraffine crème (Laboratoires Teva, Biogaran, Arrow…).

Remarque : la commercialisation de Dexeryl crème est arrêtée depuis le 11 mars 2019.

(1) Société française d’hygiène hospitalière (SF2H), « Recommandations pour l’hygiène des mains », juin 2009.

(2) SF2H, « Hygiène des mains et soins : du choix du produit à son utilisation et à sa promotion », mars 2018.

Cas pratique

M. B. est atteint d’un cancer digestifet d’une infection urinaire. Après plusieurs antibiothérapies inefficaces, le médecin demande un antibiogramme qui révèle que M. B. est porteur de Klebsiella pneumoniae, une bactérie multirésistante aux antibiotiques. M. B. vous demande ce que cet examen va apporter de plus.

Vous lui répondez que l’antibiogramme consiste à mettre en contact des bactéries prélevées chez lui avec plusieurs antibiotiques. Il mesure la sensibilité d’une souche bactérienne à un ou plusieurs antibiotiques et permet de dépister les résistances à un ou plusieurs antibiotiques. En fonction des résultats, une antibiothérapie efficace sera choisie pour traiter son infection urinaire. Vous lui précisez que la découverte de cette BMR ne change en rien les précautions standard que vous appliquiez jusqu’à présent pour les soins.

→ Pour protéger le patient :

- des micro-organismes (MO) transportés par les mains des professionnels avant de faire une toilette ou de prendre des constantes 1 ;

- de la transmission des MO, y compris ceux portés par le soignant, avant un geste aseptique (manipuler des lignes veineuses, poser une sonde urinaire, refaire un pansement…) 2.

→ Pour protéger le soignant et l’environnement de soins (lit, table de nuit, adaptable, fauteuil…) :

- de la contamination par les MO du patient après une exposition accidentelle ou un risque d’exposition à un produit biologique d’origine humaine 3 ;

- de la transmission de MO après un contact avec le patient (effleurage préventif d’escarres, toilette, prise de constantes…) 4.

→ Pour protéger le patient suivant avant de quitter le domicile si le soignant n’a plus de contact avec le patient et/ou son environnement 5.

Témoignage

« Il faut parfois pallier les lacunes du domicile »

Béatrice Ciabrini, infirmière libérale, actuellement remplaçante en Languedoc-Roussillon

« Nous devons être intransigeants sur les mesures d’hygiène qui sont au cœur de notre métier, mais il nous arrive de pallier certaines lacunes dans des domiciles où l’hygiène est “relative”. Il est souvent possible d’utiliser du papier essuie-tout quand les essuie-mains ne sont pas vraiment propres. Au cours de certaines tournées, il m’est arrivé d’avoir mon propre matériel dans un sac : un flacon pompe pour le savon, des petits flacons de solutions hydroalcooliques, et comme n’avoir que du jetable est un peu discutable au niveau écologique, une serviette en tissu changée à la fin de la tournée. Il peut néanmoins advenir une forme d’épuisement psychologique lorsqu’on intervient dans des endroits où ce n’est jamais propre, quand les personnes ne sont pas partenaires de nos soins… »