L'infirmière Libérale Magazine n° 358 du 01/05/2019

 

CPTS

SUR LE TERRAIN

ENQUÊTE

Géraldine Langlois*   Deligne**  

Peu de professionnels de santé libéraux ont choisi de constituer des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), trois ans après la création de ce dispositif. Elles sont pourtant censées favoriser leur coordination et, ce faisant, améliorer l’accès aux soins et la prévention des patients. Certains Idels se sont cependant engagés dans cette voie.

Les communautés professionnelles territoriales de santé doivent « couvrir tout le territoire d’ici le 1er juillet 2021 », a déclaré Emmanuel Macron lors de la présentation du projet Ma Santé 2022 en septembre 2018. Pour Hermann Mbongo, Idel et président de la CPTS Centre-Essonne, « c’est très court » au regard du temps nécessaire à l’émergence et à l’ancrage de la démarche sur un territoire. Surtout si l’initiative doit, comme c’est le cas, émaner des professionnels « du terrain »… Il faut dire que le dispositif est mal connu, les réfractaires à un exercice intégré se méfient. Bien que la loi créant les CPTS date de 2016 (lire l’encadré) et qu’Agnès Buzyn chiffre à 1 000 le nombre de CPTS qui devraient voir le jour d’ici à 2022, « on n’en comptait fin 2018-début 2019 que 121 en fonctionnement ou en projet », indique David Guillet, Idel en Mayenne, président de l’URPS-Infirmiers des Pays de la Loire et vice-président de la Fédération nationale des CPTS (FNCPTS). Selon l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dans son rapport d’août 2018 sur le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé, les agences régionales de santé (ARS) faisaient état, en août 2018, de 200 projets, dont seulement une vingtaine de CPTS validée… Et la plupart des projets reposent sur la transformation de pôles de santé pluriprofessionnels, que la loi assimile à des CPTS.

Pôles de santé transformés

C’est le cas par exemple de la CPTS de Sud-Mayenne, issue d’un pôle de santé existant depuis six ans. Un pôle créé à l’origine parce que le secteur était « au pied du mur » en termes de désertification médicale : « Il fallait se serrer les coudes » entre professionnels, raconte David Guillet, qui en fait partie. Résultat : « 80 % des professionnels de santé en Mayenne exercent de manière coordonnée », ajoute-t-il. L’organisation en CPTS attire même les jeunes médecins. Cette communauté regroupe (en groupement de coopération sanitaire, GCS) des professionnels libéraux de tous les profils ainsi que des structures de soins, sociales ou médico-sociales, des associations d’aide aux personnes et des représentants des usagers. Elle bénéficie aussi du soutien des élus locaux.

En Côte-d’Or, « la CPTS du Châtillonnais provient également de la transformation d’un pôle de santé créé en 2012 », explique sa directrice, Agnès Chaumonnot, ex-infirmière. L’association qui gère la CPTS compte 70 membres, dont 50 professionnels libéraux, et des structures sanitaires, sociales et médico-sociales. Sur un bassin de vie très peu dense de 23 000 personnes (dont environ 300 patients concernés), elle dispose de neuf salariés sur 5,5 équivalents temps plein (dont trois pour la coordination). Le maintien à domicile est l’une de ses principales missions. « Les coordinatrices de la CPTS sont contactées par un professionnel de santé dès qu’il est face à une problématique de ce type qu’il ne peut gérer seul, indique Agnès Chaumonnot. Une infirmière coordinatrice se rend au domicile du patient et évalue sa situation. Elle rédige un projet personnalisé de santé et contacte les professionnels de santé, sociaux ou médico-sociaux qui “gravitent” autour de la personne. Une réunion est alors mise en place avec eux, souvent au domicile » pour organiser une prise en charge coordonnée.

Suivi plus individualisé

Un dispositif qu’Audrey Albarello, Idel à Châtillon-sur-Seine, apprécie beaucoup. « Cela permet de savoir avec qui l’on travaille autour d’une personne et de mieux répondre à ses besoins », observe-t-elle. Fini les difficultés pour obtenir un compte rendu d’hospitalisation ou contacter un médecin traitant. « Cela évite les ruptures de parcours et favorise un suivi plus individualisé », ajoute l’infirmière. La coordination ne lui prend qu’une heure à une heure trente par patient, et elle n’a été sollicitée que pour cinq personnes depuis un an.

Côté prévention, la CPTS organise des séances d’éducation thérapeutique (ETP) sur le diabète de type 2 ou l’auto-mesure de la tension artérielle dans les pharmacies. Elle assure aussi la continuité des soins en kinésithérapie respiratoire et mène des séances de formation pour les professionnels de santé.

À Évry (Essonne), début 2016, des Idels ont rassemblé 170 professionnels de santé et des établissements sanitaires au sein de l’Association pluriprofessionnelle Évry santé (APES), qui porte aujourd’hui un projet de CPTS. « Nous étions dans un quartier populaire réputé difficile, où les habitants présentaient des situations sanitaires et sociales compliquées, raconte Hermann Mbongo. Cela nous a conduits à travailler avec le secteur social et médico-social » et à fédérer les acteurs locaux de la prise en charge. Une sorte de CPTS avant l’heure, mais sur un territoire de 200 000 habitants. À l’heure actuelle, le projet de santé de la communauté est validé, et l’équipe finalise jusqu’en juin l’accompagnement à la création de la CPTS. Une fois celle-ci « accréditée » par l’ARS, elle pourra recevoir les financements relatifs à son fonctionnement, à la coordination et à ses actions de prévention. Elle en mène déjà plusieurs (détection de l’obésité et ETP, accompagnement au sevrage tabagique…) et envisage d’en déployer d’autres. Quant aux autres missions présumées des CPTS, « on est déjà dedans », ajoute l’infirmier.

Missions-socles

Les contours des missions-socles des CPTS, justement, doivent être précisés, non par la loi sur l’organisation et la transformation du système de santé, examinée ce printemps, mais lors des négociations conventionnelles pluriprofessionnelles des syndicats avec l’Assurance maladie, qui devaient s’achever fin avril. Selon Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), les négociations s’orientent vers cinq missions principales : favoriser l’accès au médecin traitant, faciliter l’accès aux soins non programmés, fluidifier les parcours, organiser des actions de prévention et améliorer la qualité et la pertinence des soins. Selon David Guillet, « 120 sur les 121 CPTS recensées par la FNCPTS ont mentionné le lien ville-hôpital comme le premier sujet à traiter… » Dans ce domaine, les rencontres régulières des professionnels de la ville et de l’hôpital dans les CPTS ne peuvent qu’améliorer la compréhension des besoins des uns et des autres. Des missions spécifiques à certaines régions pourraient aussi être définies et prises en compte dans la contractualisation avec les ARS.

Manque de volontarisme des pouvoirs publics ?

La question du financement des CPTS mobilise aussi largement les négociations de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI). Les partenaires planchent sur les forfaits en lien avec la taille des CPTS (que certains, comme la FNI, estiment insuffisants). Fin mars, ils discutaient ainsi du montant maximal de dotation (300 000 € pour les CPTS de territoires de plus de 80 000 habitants) et de sa répartition entre les différents postes de dépenses (fonctionnement, coordination et actions). Ils devaient conclure fin avril leurs discussions… Le moment du décollage des CPTS ? Par ailleurs, bien qu’Emmanuel Macron veuille que « l’exercice isolé devienne progressivement marginal, devienne l’aberration et puisse disparaître à l’horizon de janvier 2022 », l’Igas, dans son rapport, a pointé un manque de volontarisme des pouvoirs publics dans le déploiement des CPTS aux niveaux national et régional. Depuis, les ARS se sont-elles davantage saisies du sujet ? Difficile à dire.

À l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté, « on a décidé d’être proactifs », souligne Pierre Gorcy, délégué départemental de l’ARS en Haute-Saône. « Nous allons réunir tous les professionnels de santé du premier recours courant mai », poursuit-il. Cela suscitera-t-il des vocations ? L’agence va en tout cas mandater un prestataire pour aider les porteurs de projet (onze dans la région) à le formaliser. Mais, assure-t-il, « ce sont bien les professionnels qui décideront des actions qu’ils mèneront ».

Le portage des projets de CPTS par les professionnels constitue une condition essentielle de leur succès, insistent les différents acteurs. Pour David Guillet, « les CPTS seront le lieu de la transformation de nos métiers, car il n’y a qu’au niveau territorial que l’on pourra objectiver les transferts de compétences ».

En donnant un poids nouveau aux professionnels de ville, les CPTS constituent aussi pour certains une opportunité d’assurer la survie de l’exercice libéral face à la puissance hospitalière.

UN NOUVEAU MODE DE COORDINATION TERRITORIALE

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont une forme de coordination (et non un regroupement physique) de professionnels de santé et des secteurs sociaux et médico-sociaux, du premier ou du deuxième recours. Elles ont été créées par la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016. Les professionnels qui choisissent de travailler dans le cadre d’une CPTS doivent formaliser un projet de santé qui définit le territoire concerné et les orientations générales de son action. Le projet de CPTS doit être validé par l’agence régionale de santé (ARS) pour que la structure qui le porte puisse conclure avec l’agence un contrat et que la CPTS existe officiellement. Elle pourra alors bénéficier de financements de l’Assurance maladie, en cours de négociation. Sauf exception, les CPTS doivent couvrir un bassin de vie de 20 000 à 100 000 habitants. Leur statut juridique n’est pas spécifié. L’initiative des CPTS revient aux professionnels du terrain. À défaut, l’ARS peut impulser une démarche de création d’une communauté. Les pôles de santé qui existaient avant la loi de 2016 « deviennent, sauf opposition de leur part, des communautés professionnelles territoriales de santé », indique la loi.

DES PROFILS TRÈS VARIÉS

Parmi les 121 projets recensés par la FNCPTS, la population couverte par une CPTS s’élève en moyenne à 112 000 habitants, de 7 900 en moyenne hors agglomération à 250 000 pour les grosses agglomérations. Un chiffre supérieur au cadre prévu mais dicté par la réalité du terrain : même si une majorité de médecins est installée d’un côté d’une ville, cette ville ne pourra être couverte que par une CPTS et non deux. Selon David Guillet, le budget des CPTS varie de 1,82 € à 6 € par an et par habitant, selon les objectifs qu’elles ont remplis.

Certaines se constituent sous forme d’association (statut que la FNCPTS conseille), d’autres forment des groupements de coopération sanitaire (GCS) ou encore des sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires (SISA)…