En juillet 2018, les ministres de la Santé et de l’Enseignement supérieur annonçaient la fin du concours infirmier et l’intégration des études en soins infirmiers dans le dispositif Parcoursup. Cette pierre de plus à l’édifice de l’universitarisation n’est pas sans conséquence sur les acteurs de la filière et les étudiants.
Le concours d’entrée des études en soins infirmiers a fait l’objet, ces dernières années, de vives critiques, notamment de la part des étudiants en soins infirmiers, mais aussi des acteurs du secteur, qui plaident depuis de nombreuses années pour l’universitarisation de la filière. En mars 2018, la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE) a organisé une réforme des conditions d’accès à l’enseignement supérieur, concernant l’orientation et la préinscription, avec la mise en place de la plateforme Parcoursup. Les études en soins infirmiers étaient concernées par cette réforme au même titre que l’ensemble des formations de l’enseignement supérieur. « L’obligation législative prévue en 2018 a imposé un mouvement vers Parcoursup », souligne Stéphane Le Bouler, responsable du projet interministériel (Santé et Enseignement supérieur) sur l’universitarisation des formations paramédicales et de maïeutique. Mais la volonté est en réalité plus large, puisqu’il est question de transformer l’ensemble du parcours d’orientation des élèves entre le lycée et l’enseignement supérieur. « Avec Parcoursup, il ne s’agit pas simplement de passer d’un concours à un examen de dossier, mais de s’insérer dans un processus d’orientation plus construit, précise Stéphane Le Bouler. Si nous avons estimé qu’il était possible de supprimer le concours, c’est parce que les lycéens vont être désormais davantage accompagnés et suivis dans leur orientation, et vont arriver avec un dossier plus structuré que par le passé. Ils auront eu le temps de mûrir leur projet d’orientation, et les équipes pédagogiques du secondaire pourront mieux les informer et se prononceront sur leurs vœux. »
Bonne nouvelle pour certains, l’intégration de la filière des soins infirmiers au sein de Parcoursup est considérée comme une voie de simplification pour l’admission en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi). « Auparavant, la structuration et l’organisation du concours poussaient certains candidats à passer entre quatre et six concours d’entrée pour multiplier leurs chances de réussite, explique Bilal Latrèche, président de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Mais le concours était payant, et c’était sans compter le réseau d’écoles préparatoires, payantes également, auxquelles un tiers des candidats s’inscrivaient pour se préparer à l’examen. » Deux éléments considérés comme coûteux et discriminatoires. « Plus l’étudiant avait de moyens, plus il était susceptible de faire une prépa et de passer des concours, donc d’augmenter ses chances de réussite », déplore Bilal Latrèche. Avec Parcoursup, l’accès aux études est gratuit, et les candidats peuvent postuler dans différents groupements d’instituts, ce qui diversifie leurs choix. Une solution qui peut aussi participer à l’attractivité de la formation et à une meilleure visibilité de certains Ifsi.
Une argumentation non valable pour d’autres car, « si l’objet de la réforme était de réduire les coûts pour les étudiants, il suffisait, comme pour d’autres concours, d’effectuer des regroupements », estime Yves Rival, président de la Coordination des enseignants et des étudiants en santé, association dont les membres ont cessé de se réunir depuis la signature des arrêtés sur Parcoursup. « Certes, il est possible de regrouper les concours, mais cela demande une centralisation sur le plan national qui n’est pas évidente à mettre en place au regard du nombre d’Ifsi et donc d’étudiants à répartir entre les écoles, répond Florence Girard, présidente de l’Association nationale des directeurs d’écoles paramédicales (Andep). Une organisation centrale est envisageable pour les petits volumes. » Et d’ajouter : « Je suis favorable à la suppression du concours pour mettre fin au système de discrimination par l’argent, veiller à ce que ce ne soit pas l’argent qui donne accès à un projet professionnel et permettre la démocratisation de l’enseignement. »
La sélection par le concours a également été souvent remise en cause comme mode d’évaluation des étudiants. « Si nous avions eu, à travers le concours, un système hyper performant, bien qu’un peu coûteux, nous aurions pu nous poser la question de l’efficience et de l’opportunité de changer les choses, explique Stéphane Le Bouler. Mais dans le cas présent, le système d’admission apparaissait coûteux et la performance, pas exceptionnelle. D’où cette volonté de changer les conditions d’admission. » Et d’ajouter : « Le concours permettait-il de s’assurer pleinement de la motivation des candidats ? Si l’on considère les nombreux abandons en cours d’études, cela ne paraît pas évident. Il faut donc, avec Parcoursup, bâtir un processus d’orientation plus robuste et plus long, dans le temps du lycée, et donner la possibilité à ceux qui le souhaitent de se réorienter en cours de formation en valorisant le temps d’étude passé en Ifsi. » Autre preuve, pour la Fnesi, de l’inadaptation du concours : la variation des notes obtenues par les étudiants à l’entretien oral, qui vont du simple au double en fonction des membres du jury. L’existence d’un concours a souvent pour corollaire la mise en place de dispositifs de préparation. Il a d’ailleurs été reproché aux classes préparatoires de biaiser la motivation des candidats en uniformisant leur discours, notamment via une préparation à la méthodologie des tests psychotechniques. « Certains entretiens d’élèves donnaient parfois lieu à des situations théâtrales, surfaites », se rappelle Florence Girard. « Des candidats étaient tellement préparés qu’ils venaient avec un discours standardisé », renchérit Martine Sommelette, la présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Autre inconvénient des prépas, pointé du doigt par Stéphane Le Bouler : « Ce système a rajouté de facto une quatrième année d’études pour un tiers des étudiants. Nous avons donc voulu revenir à ce temps de formation de trois ans. La durée des études n’est pas une question secondaire lorsqu’on parle d’accessibilité et de diversité des profils étudiants. »
Néanmoins, la Coordination des enseignants et étudiants en santé craint qu’avec cette réforme, Parcoursup ne ferme la porte aux candidats motivés mais qui n’ont pas forcément des dossiers scolaires excellents. « Il y a une bonne part d’élèves moyens, venant de filières non prestigieuses, qui sont devenus des infirmiers extraordinaires, rapporte Yves Rival. Avec cette réforme, nous pensons à ces étudiants qui ont le sens du métier, mais qui n’ont pas un dossier scolaire très bon et qui ne seront peut-être pas sélectionnés, alors qu’avec le système du concours, ils finissaient par y parvenir. » L’association s’alarme aussi du risque de voir augmenter le nombre de candidatures en raison de la facilité de postuler et, de fait, que le ratio de places soit pris par des personnes qui auront des dossiers un peu meilleurs, mais qui vont peut-être démissionner après un ou deux ans d’études. « Réussir un concours ne veut pas dire réussir sa formation, rappelle Martine Sommelette. Les représentations du métier d’infirmier sont trop légères. » Pour être infirmier, il faut des connaissances solides, être en capacité de les travailler, de les comprendre. « Il ne suffit pas de vouloir être infirmier, il faut le pouvoir, ajoute-t-elle. Le concours ne fait pas la formation, et y accéder ne veut pas dire que l’étudiant va tenir jusqu’au bout. »
Pour s’en assurer, un arrêté du 3 janvier 2019 a défini les attendus de la formation conduisant au diplôme d’État d’infirmier : intérêt pour les questions sanitaires et sociales, qualités humaines et capacités relationnelles, compétences en matière d’expression orale et écrite, aptitudes à la démarche scientifique, maîtrise des bases de l’arithmétique, compétences organisationnelles et savoir-être. Les critères généraux d’examen des dossiers ont également été portés à la connaissance des candidats. Ces derniers peuvent ainsi mettre en valeur, dans leur dossier, leur capacité à répondre à ces attendus. Ils vont ensuite être sélectionnés en fonction de leurs notes, de la fiche Avenir présentant l’appréciation des professeurs de terminale et du chef d’établissement, et du projet professionnel en lien avec le projet de formation motivé. « Les professeurs principaux vont être amenés à mieux connaître les étudiants, avec deux périodes d’orientation pendant l’année, leur permettant de remplir la fiche Avenir », explique Florence Girard.
De leur côté, les formateurs des quarante regroupements d’Ifsi, jurys des commissions de sélection, sont actuellement en train de se familiariser avec les outils d’étude des dossiers et la façon de mettre en place les classements, afin notamment de veiller à ce qu’au sein d’un même groupement, les candidats soient sélectionnés de la même manière. « Chaque commission d’examen des vœux est, par construction, autonome, rappelle Stéphane Le Bouler. Mais nous avons effectué un travail collégial afin de proposer une grille de cotation que les commissions peuvent utiliser si besoin, au plus près des attendus et des critères généraux d’évaluation des dossiers définis au plan national. » Parmi les éléments figurant dans cette grille : tenir compte des éléments de notation, des séries des candidats, des filières.
L’ensemble des parties prenantes à la réforme de l’accès aux études en soins infirmier a émis quelques conditions à la suppression du concours, notamment le maintien de la diversité des profils, comme c’était le cas avec le concours. Une demande qui a été entendue. « La commission d’examen va avoir à sa disposition les centres d’intérêt des candidats, leur motivation, explique Bilal Latrèche. Ils vont pouvoir effectuer une étude au cas par cas, traiter les dossiers des candidats individuellement pour valoriser au mieux certains parcours et parvenir à déceler les appétences à la formation. » « Nous partageons le souci de la diversité et cela se fabrique dans la façon dont nous allons prendre en compte les filières, les notes et ce qu’il faut pour l’accès à l’Ifsi », ajoute Stéphane Le Bouler. De même que si un candidat n’a pas nécessairement de bonnes notes, mais que les formateurs des Ifsi constatent dans sa fiche des qualités relationnelles, un intérêt pour le domaine sanitaire et social, un travail d’observation du métier d’infirmier, ils pourront conclure à sa motivation. « Cette fiche, c’est comme un entretien, indique Florence Girard. C’est ce qu’ils nous diraient d’eux à l’oral. »
« Pour Parcoursup, nous nous sommes bien mis d’accord : il ne faut pas faire d’élitisme sur un type de baccalauréat, mais privilégier la diversité des parcours, et favoriser la promotion professionnelle », souligne Martine Sommelette. La seconde voie d’accès aux études en soins infirmiers participe à cette diversité des profils, avec un quota minimal de 33 % des effectifs. Elle concerne les aides-soignants, les auxiliaires de puériculture ou tout autre personne qui souhaite se reconvertir. L’arrêté du 13 décembre 2018 définit d’ailleurs les modalités d’accès. « Nous avons d’abord été surpris par ce pourcentage, mais nous avons été rassurés de savoir que les places vacantes basculeraient dans Parcoursup », explique Bilal Latrèche. Les candidats de la seconde voie doivent avoir travaillé pendant trois ans pour y accéder. « Il faut mettre en avant cette notion d’ascenseur social, estime Bilal Latrèche. En aucun cas la réforme ne doit fermer la porte à ce type de profil. »
Un dispositif « oui si » est également prévu avec Parcoursup, qui concerne les étudiants sélectionnés mais pour lesquels les formateurs ont un doute concernant certaines de leurs capacités. « Pour l’instant, le dispositif n’est pas encore cadré et va dépendre des commissions d’examen des vœux et des ressources humaines présentes sur les territoires », rapporte Bilal Latrèche. Qui va réaliser le soutien ? L’idée avait été émise de le confier aux classes préparatoires. Mais il semblerait « qu’il aura lieu dans un cadre public, fait savoir Florence Girard. Les conseils régionaux ne vont pas attribuer de fonds supplémentaires aux Ifsi pour qu’ils concluent une convention avec une prépa privée pour les “oui si” ». « Nous allons découvrir dans les prochains mois ce nouveau mode de sélection, conclut Martine Sommelette. Il a été bien pensé et organisé pour répondre aux besoins des candidats et du système. Il faut que cela se rode, mais nous allons rester dans une formation sélective. »
1 Que pensez-vous de cette réforme ? Dans les instituts de formation d’aide-soignant (Ifas), nous recevons des personnes ayant un profil baccalauréat professionnel « Accompagnement, soins et services à la personne » et « Service aux personnes et aux territoires ». Mais comme il n’y a plus de concours d’accès aux études en soins infirmiers, nous craignons une fuite de ces bacheliers vers Parcoursup pour devenir infirmiers, considérant peut-être cette modalité comme plus facile que le concours d’aide-soignant. En outre, sur la période 2016-2018, nous enregistrons une baisse des candidats dans les Ifas, de 50 % d’après le ministère. Nous allons donc devoir être attentifs dans les années à venir.
2 Où en est l’accès des aides-soignants aux études en soins infirmiers ? Aujourd’hui, les aides-soignants titulaires du bac peuvent passer par Parcoursup. Les autres, ceux qui justifient de trois années d’expérience à temps plein et sont titulaires du diplôme d’aide-soignant, peuvent passer par la seconde voie, c’est-à-dire un concours. Les modalités n’ont pas encore été revues mais devraient l’être. Les aides-soignants doivent donc faire une analyse de trois situations professionnelles et obtenir au moins 15/30 pour être admis sur la liste principale. Ils pourront intégrer l’Ifsi en fonction du nombre de places réservées aux aides-soignants dans chaque institut.
3 Que pensez-vous des 33 % de places minimum réservées en Ifsi pour la seconde voie ? En termes d’ascenseur social, le fait que la possibilité d’accès soit si élevée est une bonne chose. Mais pour le moment, il est difficile de savoir si toutes les places vont être prises par la seconde voie. Ce que nous regrettons, c’est qu’il n’y ait plus qu’une seule voie professionnelle qui regroupe tous ceux qui ont une expérience professionnelle, sans distinction de domaine d’activité. Les aides-soignants ont une plus-value, ils défendent la valeur soignante, ils ont une expérience dans le secteur. On s’interroge quand même sur le fait qu’il n’y ait pas une voie dévolue aux métiers soignants, voire qu’il n’y ait pas de passerelle pour les aides-soignants, mais toujours un concours…
« Lorsque le concours a été supprimé, des milliers de jeunes ont été pris au piège, car ils s’étaient inscrits dans des prépas et ne pouvaient plus s’inscrire sur Parcoursup. Or, sans concours à passer, l’école préparatoire ne fait plus sens. Pour certains, le concours, c’est la sélection sociale, la sélection par l’argent. Mais seulement 32 % des étudiants qui entrent en Ifsi ont suivi une prépa, cette pensée n’est donc pas logique. L’accès aux études en soins infirmiers va désormais avoir lieu en accès direct, et les prépas privées qui avaient une activité essentiellement tournée autour des Ifsi n’ont de ce fait plus lieu d’être. Elles sont en faillite et ferment, surtout dans les petites villes où il n’y a pas beaucoup d’étudiants. Je pense que pour certains acteurs de la réforme, la suppression du concours est une manière de supprimer les prépas qui, selon eux, “vivent sur la misère des étudiants”.En France, l’enseignement doit être public, le privé n’a pas sa place. Nous nous sommes positionnés sur la prise en charge des “oui si”, mais nous n’y croyons pas vraiment. L’organisation de la profession a été perturbée alors qu’il n’y avait aucun problème : toutes les séries du baccalauréat étaient représentées, ainsi que toutes les origines sociales, tout comme les prépas publiques et privées, donc pourquoi réformer ? »
L’intégration des études en soins infirmiers (ESI) dans Parcoursup est un pas de plus dans le processus d’universitarisation des ESI, puisque la formation rejoint les 14 000 autres référencées sur la plateforme. « Cette réforme permet de donner exactement le même accès à l’enseignement supérieur aux étudiants en soins infirmiers qu’aux autres élèves, se réjouit Florence Girard. Elle a permis de mener une réflexion entre les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur et nous avons donc désormais une vision professionnalisante et universitaire. » « Cela fait des années que nous réclamons d’être dans le cursus licence-master-doctorat (LMD), avec la création d’une filière pour faire de la recherche, rapporte Martine Sommelette. Désormais, les étudiants en soins infirmiers vont avoir les mêmes droits que les autres étudiants. » Mais pour certains, l’universitarisation est une fausse excuse, car « en réalité, la plupart des étudiants en Ifsi vont sortir avec un bac +3, et seule une minorité va pouvoir se lancer dans la recherche », estime Yves Rival. Et il ajoute : « La formation en soins infirmiers régresse par rapport à celle des autres paramédicaux comme les masseurs-kinésithérapeutes ou les orthophonistes, dont les études sont aujourd’hui reconnues à bac +5. Cette injustice est bien le signe que les infirmiers ne sont pas considérés comme les autres. L’abandon de la sélection par concours et le déclassement du niveau de sortie ne sont pas des signes positifs donnés aux professionnels infirmiers, qui déclarent souvent regretter le manque de considération accordée par les pouvoirs publics à leur métier. » Un pas vers l’universitarisation a néanmoins été franchi, avec la reconnaissance des infirmières de pratique avancée (IPA). Pour prétendre à la formation, l’infirmier doit avoir au minimum trois ans d’exercice. La formation d’IPA, reconnue au grade master, est organisée autour d’une première année de tronc commun permettant de poser les bases de l’exercice infirmier en pratique avancée et d’une seconde année centrée sur les enseignements en lien avec la mention choisie (les pathologies chroniques stabilisées et les polypathologies courantes en soins primaires ; l’oncologie et l’hémato-oncologie ; la maladie rénale chronique, la dialyse, la transplantation rénale).