Les anticancéreux oraux | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 358 du 01/05/2019

 

Traitements

CAHIER DE FORMATION

Point sur

Marie Fuks*   Dr Isabelle Trouilloud**  


*oncologue au sein du pôle anticancéreux oraux du service d’oncologie de l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP)

La montée en puissance des anticancéreux oraux (ACO) dans la prise en charge des cancers à domicile impose aux Idels d’approfondir leurs connaissances sur ces médicaments afin d’optimiser l’accompagnement des patients et leur rôle de relais vis-à-vis des différents acteurs de santé impliqués dans le suivi de ces traitements.

Anticancéreux : vers une médecine personnalisée

Depuis 2010, plus de 50 % des nouveaux traitements anticancéreux mis sur le marché sont des traitements administrés par voie orale. Cette évolution de la pharmacopée anticancéreuse traduit la volonté des chercheurs de développer une médecine du cancer à la fois plus personnalisée, moins contraignante pour les patients et plus économique pour le système de santé. Pour l’heure, les ACO ne couvrent pas tous les cancers, mais représentent néanmoins 25 % des traitements anticancéreux administrés.

Les différents ACO

La place de l’hormonothérapie anticancéreuse faisant l’objet de discussions quant à son entrée dans la famille des ACO (lire l’encadré), celle-ci comprend actuellement les thérapies ciblées et les chimiothérapies conventionnelles cytotoxiques orales.

→ Les thérapies ciblées : aujourd’hui, la grande majorité (environ 90 %) des traitements ACO reposent sur les thérapies ciblées. Ces biothérapies, ou anticorps monoclonaux, permettent, après analyse des tumeurs et des mutations génétiques exprimées par les cellules tumorales, de cibler plus précisément les récepteurs cellulaires, les gènes, les protéines, les enzymes… qui vont les rendre sensibles au traitement. Ce ciblage extrêmement précis a pour but de bloquer les mécanismes spécifiques de développement des cellules cancéreuses, soit en ciblant une ou plusieurs protéines exprimées par les cellules tumorales (traitement multicible), soit en neutralisant les vaisseaux sanguins qui les nourrissent (antiangiogéniques). Ces différentes classes d’anticorps monoclonaux présentent des effets secondaires très spécifiques d’un médicament à l’autre.

→ Les chimiothérapies conventionnelles cytotoxiques : seule leur forme galénique les différencie des chimiothérapies injectables, car elles présentent globalement les mêmes effets secondaires et nécessitent la même surveillance. Toutefois, comme les biothérapies, la majorité des chimiothérapies orales sont peu émétisantes, car leur efficacité est directement corrélée à leur bonne absorption.

Critères de choix

Si ces traitements présentent l’avantage de libérer les patients des contraintes (dépendance hospitalière, immobilisation…) liées aux chimiothérapies par voie intraveineuse, ils présentent l’inconvénient de laisser le patient seul face à la gestion des effets secondaires de son traitement, ce qui n’est pas anodin. « Par conséquent, commente le Dr Isabelle Trouilloud, oncologue au sein du pôle anticancéreux oraux du service d’oncologie de l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP), lorsqu’il a le choix entre un traitement en perfusion et un traitement oral complètement équivalent, l’oncologue va devoir tenir compte de la capacité du patient à avaler facilement les comprimés, de son degré de compréhension du traitement, de sa faculté à respecter les modalités et consignes d’administration associées, et de son aptitude à repérer les signes d’apparition d’effets secondaires qui justifient de nous alerter. » Quels que soient la classe, le but et l’indication, la gestion des effets secondaires reste la problématique prépondérante des ACO. Elle nécessite une surveillance partagée hôpital-ville dans le cadre de laquelle les Idels ont un vrai rôle à jouer.

Effets secondaires des ACO : l’enjeu majeur à domicile

La difficulté de cette prise en charge tient à la multiplicité des traitements (il en existe près de quatre-vingts) et à la diversité des effets secondaires potentiels (cutanés, pulmonaires, digestifs, hématologiques, biologiques…), variables d’un traitement à l’autre. La surveillance biologique est déterminée pour chaque traitement et pourra nécessiter tantôt une simple numération, tantôt un bilan spécifique, hépatique, rénal et/ou thyroïdien par exemple. « En dehors de la toxicité digestive, assez proche de celle des chimiothérapies conventionnelles, une des toxicités les plus fréquentes des biothérapies est cutanée, poursuit l’oncologue. Celle-ci s’exprime différemment selon les médicaments et doit faire l’objet d’une vigilance accrue pour en identifier les signes précocement afin de mettre en place des traitements adjuvants efficaces avant qu’ils ne s’aggravent. » Cette sensibilisation est un élément majeur de l’accompagnement rapproché des patients à domicile, car la prévention de l’aggravation des effets secondaires permet d’éviter la diminution, voire l’arrêt du traitement ACO. « C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place dans notre service un dispositif complètement dédié au suivi des patients sous ACO à domicile, précise le Dr Trouilloud. Chaque protocole fait l’objet d’une conduite à tenir spécifique, avec des rappels programmés par une infirmière en fonction du risque d’apparition des effets secondaires. Toutefois, ce dispositif ne se substitue pas à l’intervention des Idels lorsque celle-ci est requise. »

Rôle des Idels

L’intervention d’une Idel est en effet souvent nécessaire, notamment en cas d’éloignement du patient de son centre de référence ou lorsqu’il convient d’encadrer les patients isolés et/ou fragiles et/ou polypathologiques, de surveiller l’observance, de s’assurer qu’ils ne confondent pas leurs traitements et qu’ils ne font pas d’erreur de posologie, et de veiller à ce qu’ils prennent leurs médicaments au bon moment (selon les médicaments, la prise peut se faire pendant ou à distance du repas, en continu ou en discontinu). L’Idel peut aussi assurer un rôle de liaison et d’alerte auprès du médecin ou de l’infirmière coordinatrice du centre de référence lorsqu’elle suspecte une toxicité ou si elle constate des modifications de l’état de santé général du patient. « Les patients n’osent pas toujours nous appeler, certains minimisent leurs symptômes, ce qui engendre une perte de temps et de chance pour eux, reconnaît le médecin. De même, l’évaluation clinique au chevet du malade n’est pas la même que celle que l’on peut réaliser par téléphone. La présence des Idels est un vrai plus pour encadrer la prescription (vérification, voire préparation des piluliers, contrôle de la prise des médicaments), renforcer l’éducation des patients quant aux conseils d’hygiène de vie à observer pour prévenir les effets secondaires (avoir une bonne hygiène bucco-dentaire, utiliser quotidiennement une crème hydratante, éviter l’exposition au soleil…) et aux consignes à respecter (ne pas écraser les ACO, ne pas doubler la dose suivante en cas d’oubli…). » Enfin, avec le développement des applications de surveillance sur smartphone ou tablette, les Idels pourront très régulièrement renseigner le centre de référence quant à la survenue et l’évolution des effets secondaires, ce qui permettra d’en optimiser la prise en charge sans compromettre la poursuite du traitement.

L’hormonothérapie, une place à part

→ Utilisée essentiellement dans les cancers de la prostate, du sein et de l’ovaire, et responsable de peu d’effets secondaires, l’hormonothérapie n’avait jusqu’à présent pas besoin d’une surveillance très stricte et occupait de ce fait une place à part dans la pharmacopée accessible aux cancers. Aujourd’hui, les nouvelles hormonothérapies, notamment pour le cancer de la prostate, sont pourvoyeuses d’effets secondaires plus importants et nécessitent une surveillance rapprochée, ce qui fait discussion quant à leur intégration dans la famille des ACO.

L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.