L'infirmière Libérale Magazine n° 358 du 01/05/2019

 

VIOLENCES CONTRE LES SOIGNANTS

ACTUALITÉ

Adrien Renaud  

Longtemps taboue, la question des violences contre les soignants suscite de plus en plus l’attention. Médecins et établissements de santé tentent de mesurer l’ampleur du phénomène, mais les Idels semblent rester à l’écart de ce mouvement.

22 048 : C’EST LE NOMBRE DE SIGNALEMENTS REÇUS EN 2017 PAR L’OBSERVATOIRE NATIONAL DES VIOLENCES EN MILIEU DE SANTÉ (ONVS), qui recueille les événements dont sont victimes les personnels des établissements sanitaires et médico-sociaux, un chiffre en hausse de 25 % par rapport à l’année précédente. Ce qui ne signifie pas forcément que les violences augmentent. En effet, bien que l’ONVS constate encore une sous-déclaration des actes perpétrés contre les soignants, de moins en moins d’agressions restent tues à l’hôpital, une prise de conscience qui fait grimper les chiffres. Le mouvement social qui agite l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) depuis le début du printemps a d’ailleurs été déclenché à la suite d’une série d’agressions à l’hôpital Saint-Antoine.

Une forte sous-déclaration

Qu’en est-il en ville ? Côté médecins, l’Observatoire de la sécurité des médecins, géré par le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), recueille l’ensemble des agressions dont sont victimes les praticiens. En 2018, 79 % événements signalés avaient eu lieu dans le cadre de l’exercice libéral (lire l’encadré p. 10). L’Ordre des médecins déplore, comme l’ONVS, une forte sous-déclaration des agressions subies par ses membres. Une sous-déclaration qui n’a toutefois rien à voir avec celle qui prévaut chez les Idels.

En effet, l’Ordre national des infirmiers (ONI) avait lancé en 2012 un Observatoire de la sécurité des infirmiers. L’objectif : mesurer les violences subies par les paramédicaux, notamment en ville, secteur non couvert par les données de l’ONVS. Mais l’observatoire de l’ONI n’a depuis sa création produit que très peu de données. Pour l’année 2015, il annonçait avoir recueilli 82 signalements. Un nombre « indiscutablement inférieur au nombre d’agressions subies par les infirmiers », du propre aveu des responsables ordinaux. Et depuis, plus rien. L’observatoire « souffre d’un manque de remontées » et de « chiffres qui ne sont pas assez documentés », commente-t-on aujourd’hui à l’ONI.

Des données fiables

De leur côté, les unions régionales des professionnels de santé (URPS) ont bien tenté de battre le rappel en relayant sur leur site les conduites à tenir en cas d’agression. Sans grand succès. « Il y a une omerta sur la profession. Résultat : quand on subit des violences, on n’a pas forcément le réflexe de les déclarer », regrette Lucienne Claustres, présidente de l’URPS-Infirmiers de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Elle regrette une forme de croyance répandue chez les infirmières qui voudrait que « quand on est agressé, c’est qu’on a fait quelque chose de mal ».

Alors que faire ? En premier lieu, obtenir des données fiables, en vertu de l’adage qui veut que l’on ne peut améliorer que ce que l’on peut mesurer. L’ONI évoque un « rapprochement en cours » avec l’ONVS et promet des annonces sur le sujet « prochainement ». L’ONVS assure également vouloir disposer d’une « vision plus exhaustive des violences ». En attendant, sur le terrain, les choses stagnent. « C’est un énorme tabou chez les infirmières », soupire Lucienne Claustres.

TÉMOIGNAGE

Quand un vol bouleverse une vocation

Marion, Idel dans la Drôme, a été victime en mars dernier d’un vol dans sa voiture alors qu’elle était en visite chez un patient. Un incident qui peut paraître anodin, mais qui l’a secouée au point de remettre en question l’attachement qu’elle porte à son métier.

Pouvez-vous nous raconter l’incident dontvous avez été victime au mois de mars ?

Marion : Il n’y a en soi rien d’exceptionnel. J’ai garé ma voiture pour monter voir ma patiente, et quand je suis redescendue, je me suis aperçue que quelqu’un avait fracturé la vitre et pris tout ce qu’il y avait à l’intérieur du véhicule : sac à dos, portefeuille, appareil de facturation pour carte Vitale, ordonnances, agenda du cabinet, mallette avec des documents pour une formation…

Est-ce le premier vol que vous subissez dans le cadre de votre exercice professionnel ?

M. : Non, j’ai vécu mon baptême du feu le premier week-end de mon installation : un dimanche à 7 h du matin, on m’avait tout pris dans ma voiture ! Et l’été dernier, je me suis fait attaquer par un pitbull dans le quartier. Toutes mes collègues y sont également passées.

Avez-vous déclaré le vol à la police et à l’Ordre des infirmiers ?

M. : J’ai porté plainte à la police, bien évidemment. Pour ce qui est de l’Ordre, on m’a effectivement dit qu’il était possible de faire une déclaration, mais j’avoue que je ne l’ai pas fait.

Quel a été l’impact de ce vol sur votre travail ?

M. : Pour l’instant, je n’y suis pas retournée. Pour prendre soin des patients, il faut être bien dans sa tête, et ce n’est pas mon cas actuellement.

Diriez-vous que l’insécurité des soignants est le révélateur d’un malaise plus général ?

M. : Je ne peux parler que pour moi, mais je constate que plus les choses avancent et moins j’ai envie d’aller travailler. D’un côté, nous avons des vies entre nos mains, et de l’autre nous sommes payées une misère, nous sommes harcelées par les caisses, les gens nous demandent de faire tout et n’importe quoi… Il faut être toujours plus polyvalente et jouer, en plus du rôle d’infirmière, celui de secrétaire, de comptable, de juriste… Là, j’ai dû refaire tous mes papiers, et tout est à ma charge. Cet incident, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. J’ai besoin d’une pause, je ne sais pas encore ce que je vais faire.

L’ORDRE DES MÉDECINS COMPTE LES COUPS

Comme tous les ans depuis 2003, le Cnom a dévoilé en avril dernier les chiffres recueillis par son Observatoire de la sécurité des médecins. Et comme tous les ans, ceux-ci sont en hausse : 1 126 incidents ont été déclarés par les praticiens à leur Ordre en 2018, soit 9 % de plus qu’en 2017. La majorité (54 %) des signalements concernent des médecins exerçant en centre-ville. Les généralistes semblent surreprésentés parmi les victimes : ils constituent 70 % des déclarants, alors qu’ils représentent 44 % de l’ensemble des médecins. Les faits rapportés concernent la plupart du temps des agressions verbales (66 % des déclarations), mais les médecins signalent aussi des vols (18 % des déclarations), des actes de vandalisme (8 %) et des agressions physiques (7 %) : 31 médecins ont ainsi déclaré avoir fait face à un agresseur armé. Les médecins ne se contentent d’ailleurs pas de compter les agressions dont ils sont victimes. Le Cnom accompagne par exemple ses membres en s’associant systématiquement à leur dépôt de plainte. Il a également mis en place des référents sécurité dans chaque département afin de répondre aux situations d’urgence. Et il annonce avoir lancé des expérimentations sur le sujet : un bip de géolocalisation permettant d’alerter les forces de l’ordre a par exemple été proposé aux médecins de Limoges, et une application pour alerter et faciliter les interventions policières est développée en Île-de-France.