En France, trois professions sont désormais en charge de la vaccination antigrippale. Si l’acte est « éminemment infirmier », la prescription reste timide. Regards croisés, français et international, sur la place des infirmières dans la vaccination.
Quel est le rôle des infirmiers dans la vaccination ?
Patrick Chamboredon : En France, ce rôle est beaucoup trop contraint. Nous pouvons enfin vacciner contre la grippe, sans prescription médicale, à partir du moment où un patient a reçu un bon de vaccination. Selon les chiffres 2017 de l’Assurance maladie, sur 5,4 millions de personnes vaccinées contre la grippe, 23 % l’ont été par des Idels. Pourtant, la vaccination est un acte éminemment infirmier. Il n’y a pas besoin de diagnostic. En revanche, il exige une véritable consultation : il faut informer sur les bénéfices de la vaccination, expliquer le calendrier vaccinal. Hélas, la consultation infirmière n’existe pas. Dans le cadre du décret sur les pratiques avancées, nous avons simplement obtenu la reconnaissance d’un entretien infirmier. Comme souvent, la pratique dépasse le cadre réglementaire trop strict. Je me suis récemment fait vacciner dans un centre de vaccinations internationales : l’infirmière m’a prescrit et administré le vaccin dans le cadre d’une délégation de tâche encadrée par un protocole. Je pose une question simple : y a-t-il vraiment besoin de personnel médical dans les centres de vaccinations ?
Howard Catton : À l’international, les infirmières sont largement impliquées dans la vaccination, que ce soit dans le suivi vaccinal de la population, dans l’administration du vaccin, mais aussi dans la prescription. Les études prouvent que plus les infirmières sont impliquées dans la vaccination, plus le taux de vaccination est élevé. La capacité de prescrire est la clé. Au sein du Collège international infirmier, nous avons écrit un rapport sur le rôle infirmier dans la vaccination, qui s’intéresse à quinze pays de l’OCDE (1). Dans quatre pays, les infirmières peuvent prescrire des vaccins, et dans sept pays, ce sont les infirmières de pratique avancée qui ont cette compétence. Les premiers pays qui ont donné cette mission aux infirmières ont prouvé qu’elles l’accomplissaient en toute sécurité, que la population acceptait ce nouveau rôle. La satisfaction des patients est même parfois plus grande, car les infirmières ont plus de temps pour expliquer les bénéfices, décrire les éventuels effets indésirables et rassurer. Nous sommes aujourd’hui à un tournant : parmi les quinze pays que nous avons étudiés, neuf ont engagé une réflexion sur l’extension du rôle infirmier dans la prescription.
Il y a encore beaucoup de réticences envers la vaccination antigrippale. La rougeole flambe dans le monde, en particulier en France. Que peuvent apporter les infirmières ?
P. C. : La prévention est un rôle propre de l’infirmière. Nous sommes 700 000, il y a un infirmier pour 1 000 habitants, nous pouvons démultiplier les points de contact. Au domicile, elles voient régulièrement des personnes qui ne sortent plus de chez elles, qui sont particulièrement fragiles face à la grippe ; elles ont aussi accès à leur entourage. Les infirmières scolaires, au lycée ou à l’université, pourraient repérer les jeunes qui n’ont pas fait le rappel de la rougeole. Une enquête en cours de l’Observatoire régional de la santé en Provence-Alpes-Côte d’Azur montre que les étudiantes infirmières sont prêtes à vacciner. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de module sur la vaccination dans la formation initiale, il n’y a pas non plus de formation continue dédiée. Mieux impliquer les infirmières dans la vaccination est aussi une manière de les responsabiliser, et de lever leurs propres réticences à se faire vacciner contre la grippe.
H. C. : Leur mission d’éducation à la santé autorise les infirmières à ouvrir la discussion sur la grippe. Elles doivent expliquer les bénéfices individuels et collectifs de la vaccination. En ce qui concerne la rougeole, des infirmières de pratique avancée sont spécialisées en pédiatrie, par exemple au Canada et aux États-Unis, et ont la capacité de prescrire et d’administrer le vaccin aux enfants. Face à des parents qui peuvent être dans la crainte, en raison de fausses informations, par exemple sur le lien entre ce vaccin et l’autisme, les infirmières ont leur capacité d’écoute et de conviction, avec des arguments fondés sur des preuves. Elles peuvent rappeler que le travail de recherche qui a établi un lien entre le vaccin contre la rougeole et l’autisme s’est révélé frauduleux, et que de nombreuses recherches ont contredit cette thèse. Les infirmières sont une des professions en lesquelles la population a le plus confiance.
Les pharmaciens veulent aussi vacciner, en France comme à l’étranger. Est-ce légitime ?
P. C. : En France, trois professions de santé - les infirmières, les pharmaciens et les sages-femmes - sont en concurrence sur le même acte, la vaccination antigrippale. C’est troublant. Dans l’esprit du législateur, c’est une question de complémentarité. Le texte est voté, il faut maintenant l’accepter. La santé publique impose de dépasser les intérêts corporatistes. Pour augmenter la couverture de la population, il faut multiplier le nombre d’effecteurs de la vaccination. C’est aussi la meilleure manière de combattre les fausses informations sur la vaccination.
H. C. : Toutes les opportunités pour engager une conversation sur la vaccination doivent être utilisées. Le pharmacien a lui aussi une excellente opportunité, au moment de la délivrance. Il faut soutenir toutes les extensions de compétences des professionnels de santé, car elles participent à une meilleure santé globale.
(1) International council of nurses, The role of nurses in immunisation, a snapshot from OECD countries, 2018 (consulter le lien bit.ly/2ZinBzH).
Depuis septembre 2018, les infirmiers peuvent vacciner contre la grippe, sans prescription, toutes les personnes majeures visées par les recommandations : les personnes de 65 ans et plus, les personnes atteintes de certaines maladies chroniques, les femmes enceintes, les personnes souffrant d’obésité, l’entourage des nourrissons de moins de 6 mois à risque de grippe grave. En officine, l’expérimentation de la vaccination contre la grippe conduite depuis 2017 a pris fin le 1er mars. L’hiver prochain, la vaccination antigrippale sera une nouvelle mission des pharmaciens.