La dépression - L'Infirmière Libérale Magazine n° 359 du 01/06/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 359 du 01/06/2019

 

CAHIER DE FORMATION

Savoir

Alors qu’un Français sur six connaîtra un épisode dépressif dans sa vie, la dépression, pourtant bien définie par des symptômes caractéristiques, manque encore de reconnaissance. En cause, une confusion persistante avec des états de mal-être ou des moments de « déprime ». Conséquence, une proportion importante de patients souffrant de symptômes dépressifs n’a toujours pas recours à des soins adaptés.

DÉFINITIONS

Le syndrome dépressif

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit la dépression comme « un trouble mental courant, caractérisé par la tristesse, la perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de faible estime de soi, des troubles du sommeil ou de l’appétit, une sensation de fatigue et un manque de concentration ». Le syndrome dépressif est aujourd’hui appelé « épisode dépressif » dans la 10e classification internationale des maladies de l’OMS (CIM-10) et « épisode dépressif caractérisé » dans le DSM-V (1), et répond à une définition similaire dans ces deux classifications.

Plusieurs formes cliniques

En fonction du contexte de survenue et de l’évolution, différents types de troubles dépressifs sont distingués :

→ le trouble dépressif isolé en présence d’un unique épisode dépressif caractérisé (EDC) ;

→ le trouble dépressif récurrent si au moins deux EDC séparés d’une période sans symptôme d’au moins 2 mois ;

→ le trouble résistant ou pharmacorésistant désigne une dépression dont les symptômes persistent ou ne sont pas suffisamment améliorés malgré au moins deux traitements antidépresseurs de classes différentes successifs bien conduits ;

→ le trouble dépressif persistant ou chronique : l’humeur dépressive est présente pratiquement toute la journée, la majorité des jours pendant au moins 2 ans, au moins 1 an pour les adolescents. On parle de dysthymie lorsque les symptômes sont peu nombreux et peu intenses (voir plus loin) ;

→ le trouble dysphorique prémenstruel chez la femme : les symptômes dépressifs sont présents lors de la plupart des cycles menstruels. Ils peuvent être associés à une labilité émotionnelle et/ou une anxiété marquées, ou à des symptômes physiques de type tension des seins, douleurs articulaires ou musculaires.

Comorbidités

Les troubles anxieux

« La dépression est isolée dans environ un quart des cas », rapporte le Dr Olivier Doumy, psychiatre au centre de référence régional des pathologies anxieuses et de la dépression (Cerpad) du centre hospitalier Charles Perrens, à Bordeaux. « Dans les autres cas, un trouble anxieux est la plupart du temps associé. » Ils concerneraient 50 à 70 % des patients (2) et peuvent survenir en amont de la dépression. « Les troubles anxieux font le lit de la dépression, souligne le spécialiste. Ils débutent souvent dans l’enfance ou l’adolescence et rendent la personne plus vulnérable aux épisodes dépressifs secondaires. » Si l’anxiété sociale est le trouble anxieux le plus fréquemment retrouvé, le trouble anxieux généralisé, le trouble de stress post-traumatique, le trouble obsessionnel compulsif (TOC) et le trouble panique avec ou sans agoraphobie sont aussi concernés.

Les troubles addictifs

Ils sont associés à la dépression dans 30 % des cas (2). Ils concernent le plus souvent l’alcool, mais d’autres consommations de substances psychoactives sont possibles (nicotine, cannabis, cocaïne…). « Certaines personnes recherchent une “automédication” de leur dépression dans la prise de psychotropes, note Olivier Doumy. Elles vont surtout utiliser des substances de type alcool ou cannabis possédant des effets anxiolytiques pour s’apaiser ou avec des effets hypnotiques pour dormir. Le but recherché est le plus souvent de ne plus penser, ou de moins ruminer leurs angoisses. » Sachant que la consommation chronique d’alcool ou de cannabis peut elle-même engendrer une dépression.

Autres comorbidités

D’autres troubles sont retrouvés en cas de dépression : la schizophrénie, les troubles des conduites alimentaires, anorexie mentale ou boulimie, les troubles du contrôle des impulsions et les troubles de la personnalité…

UNE ORIGINE MULTIFACTORIELLE

« À l’instar de la plupart des maladies mentales, l’origine de la dépression est considérée comme multifactorielle », rappelle le Dr Olivier Doumy. La dépression découlerait ainsi de mécanismes divers mêlant des facteurs génétiques et environnementaux encore mal connus, à l’origine de plusieurs hypothèses étiologiques. D’autant qu’il est toujours difficile de distinguer les causes et les conséquences de la dépression. Ainsi, toutes les recherches en neurobiologie portent sur des facteurs en corrélation avec la dépression et non sur des facteurs causaux.

Des hypothèses physiopathologiques

L’approche physiopathologique de la dépression repose sur l’idée que c’est le fonctionnement du cerveau qui est atteint. La majorité des antidépresseurs actuellement utilisés ciblent la modulation des neurotransmetteurs, notamment la sérotonine et la noradrénaline.

D’autres hypothèses portent sur des dysfonctionnements d’autres systèmes : le cortisol, considéré comme l’hormone du stress, mais aussi des mécanismes inflammatoires et des neurotrophines, molécules indispensables à la survie, la croissance et la différenciation des neurones, ou des boucles fronto-sous-corticales, dysfonctionnements déjà mis en lien avec la maladie de Parkinson ou le trouble obsessionnel compulsif.

Des modèles psychopathologiques

« L’hypothèse classique d’une réaction à un stress qui occasionne un dépassement des capacités d’adaptation de l’organisme et dont l’état dépressif serait la conséquence reste toujours d’actualité », note le Dr Olivier Doumy. Cette hypothèse ne s’oppose pas fondamentalement aux modèles psychodynamique et cognitiviste, suggérant un dépassement des capacités d’adaptation du sujet, que ce soit en termes de mécanisme de défense ou de traitement de l’information selon le modèle retenu.

Le modèle psychodynamique

Principalement influencé par la psychanalyse, ce modèle fait notamment appel au concept d’inconscient et considère que les troubles trouvent leurs origines dans les conflits irrésolus de l’enfance.

Le modèle cognitif

Selon le modèle cognitif, les troubles dépressifs sont liés à l’interprétation que fait un individu d’une situation donnée à un moment donné. Lorsque ces interprétations sont irrationnelles ou inadaptées, elles peuvent engendrer des émotions pénibles et un syndrome dépressif.

DIAGNOSTIC DE L’EDC

Il requiert :

→ la présence de critères diagnostiques ;

→ une évolution des symptômes depuis plus de 15 jours ;

→ une altération significative du fonctionnement professionnel et social ou des relations interpersonnelles ;

→ l’élimination des diagnostics différentiels.

Critères diagnostiques

Le DSM-V donne des critères pour le diagnostic d’un « épisode dépressif caractérisé » (semblables à ceux donnés par la CIM-10). Les symptômes suivants doivent être présents « presque tous les jours ».

Symptômes « majeurs »

→ Humeur dépressive pratiquement toute la journée.

→ Diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir pour toutes ou presque toutes les activités, quasiment toute la journée.

Autres symptômes

→ Perte ou gain de poids significatifs en l’absence de régime, ou diminution ou augmentation de l’appétit (ex. : modification du poids corporel de plus de 5 % en 1 mois).

→ Insomnie ou hypersomnie.

→ Agitation ou ralentissement psychomoteur (constaté par les autres et pas limité à un sentiment subjectif de la personne).

→ Fatigue ou perte d’énergie.

→ Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessif ou inapproprié.

→ Diminution de l’aptitude à penser, à se concentrer ou à prendre une décision.

→ Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir) ou idées suicidaires récurrentes ou tentative de suicide.

Conditions

→ Humeur dépressive et/ou perte d’intérêt font partie de la symptomatologie.

→ Au moins cinq des symptômes précédents sont présents en continu pendant 2 semaines, presque tous les jours.

→ Retentissement sur le fonctionnement habituel. Les symptômes dépressifs marquent un changement net par rapport au fonctionnement antérieur. Ils induisent une détresse cliniquement significative et/ou une altération du fonctionnement dans divers domaines (social, professionnel, familial…).

→ Pas d’autre cause identifiée : les symptômes ne sont pas imputables à une autre affection médicale ou aux effets physiologiques d’une substance consommée. Ni à des troubles du spectre de la schizophrénie ou à d’autres troubles psychotiques.

→ Absence d’épisode de type maniaque ou hypomaniaque antérieur qui ne serait pas imputable à des substances ou aux effets physiologiques d’une autre pathologie médicale (et qui évoquerait un trouble bipolaire).

Des symptômes marqués

« La dépression est notamment bien caractérisée par la présence de symptômes clés quantitativement marqués et par la rupture avec l’état antérieur du patient, qui signe leur caractère pathologique », explique le Dr Olivier Doumy. Les symptômes clés sont :

→ une tristesse de l’humeur qui n’est pas qu’une tristesse passagère, mais une tristesse marquée et non influencée par un événement extérieur ;

→ la perte d’intérêt et de la capacité à ressentir le plaisir, l’anhédonie, qui ne se traduit pas par « j’ai moins envie qu’avant », mais plutôt par « je n’ai pas envie », « je ne ressens plus de plaisir » ou « je n’ai aucune motivation ».

Diagnostics différentiels

Diagnostics différentiels psychiatriques

De nombreux troubles psychiatriques doivent être éliminés pour poser un diagnostic de dépression : troubles bipolaires, schizophrénie, troubles de la personnalité dont la personnalité état limite (borderline), troubles anxieux, TOC, troubles addictifs…

Diagnostics différentiels non psychiatriques (2)

→ Prise de toxiques : l’usage de substances psychoactives (alcool, cannabis, amphétamines et cocaïne, hallucinogènes) est le diagnostic différentiel le plus fréquemment retrouvé. Sachant que la consommation de telles substances peut provoquer un EDC.

→ Pathologies neurologiques : tumeur cérébrale, sclérose en plaque, accident vasculaire cérébral, démence débutante, surtout chez les patients âgés…

→ Pathologies endocriniennes : troubles thyroïdiens (surtout hypothyroïdie), maladie de Cushing (hypercorticisme) ;

→ Pathologies métaboliques : hypoglycémie, troubles ioniques, maladie de Wilson…

→ Iatrogénies médicamenteuses : corticoïdes, interféron alpha, bêtabloquants, L-dopa…

Particularités chez la personne âgée

Les manifestations de la dépression chez la personne âgée peuvent être différentes de celles habituellement retrouvées chez l’adulte jeune.

Difficultés liées à l’âge

Le diagnostic est souvent plus compliqué du fait de la fréquence élevée de maladies ou de traitements pouvant entraîner des conséquences proches des symptômes dépressifs :

→ perte de poids ou modifications de l’appétit ;

→ ralentissement psychomoteur ;

→ perte d’énergie ou fatigue, insomnie ou hypersomnie ;

→ difficultés de concentration.

Symptômes évocateurs (3)

Certains symptômes non caractéristiques chez l’adulte plus jeune peuvent suggérer un EDC, notamment :

→ un ralentissement psychomoteur ;

→ une faible concentration ;

→ une constipation ;

→ un état de santé perçu comme déficient ;

→ des symptômes anxieux importants ;

→ des déficits cognitifs ;

→ d’importants symptômes somatiques qui ont tendance à dominer les symptômes dépressifs d’humeur triste et de sentiment de culpabilité chez les personnes âgées dépressives.

Facteurs de risque

Chez la personne âgée, les principaux facteurs de risque de dépression sont :

→ une maladie physique concomitante ;

→ une altération cognitive ;

→ une altération fonctionnelle ;

→ un manque ou une perte de contacts sociaux ;

→ des antécédents de dépression.

SÉVÉRITÉ DE L’EDC (1)

→ EDC léger : au minimum cinq symptômes sont présents dont au moins l’humeur dépressive et/ou la perte d’intérêt ou de plaisir. Ces symptômes ont un retentissement léger sur le fonctionnement. Les activités sont difficiles mais réalisables avec un effort supplémentaire.

→ EDC modéré : six ou sept symptômes d’intensité « légère » à « grave » sont présents, dont humeur dépressive et/ou perte d’intérêt ou de plaisir. Ces symptômes entraînent des difficultés considérables pour le fonctionnement familial, social et professionnel.

→ EDC sévère : plus de sept symptômes d’intensité sévère sont présents. Ils sont à l’origine d’une souffrance importante et ingérable, et perturbent nettement le fonctionnement social et/ou professionnel.

ÉVOLUTION

L’évolution d’un EDC est variable : 50 % des patients ne connaîtraient qu’un seul épisode isolé au cours de leur vie, 35 % des épisodes dépressifs récurrents (4).

La rémission complète

Lorsqu’un patient dit qu’il est « redevenu comme avant » ou qu’il « refonctionne comme avant », c’est le signe d’une rémission complète. « Dans le cas d’un premier épisode dépressif, si les symptômes sont complètement résolus après un traitement maintenu pendant 6 mois à 1 an, il est possible de parler de guérison, même si le terme “rémission complète” est plus adapté pour un patient susceptible de conserver une vulnérabilité vis-à-vis des événements de vie et des facteurs de stress », explique le Dr Ludovic Samalin, médecin psychiatre et enseignant-chercheur au CHU de Clermont-Ferrand.

La rémission partielle

Après le traitement d’un épisode dépressif, le patient peut conserver des symptômes dits « résiduels » ou persistants. Il faut distinguer la rémission clinique, syndromique ou fonctionnelle. En pratique, « le niveau de rémission clinique n’est pas corrélé au niveau de rémission fonctionnelle. Certains patients très symptomatiques arrivent à reprendre le cours de leur vie quand d’autres, avec un même niveau de symptômes, n’arrivent pas à fonctionner et à envisager la reprise du travail », précise le Dr Ludovic Samalin.

Chronicisation

La dépression chronique est un état qui perdure plus de 2 ans sans présager de l’efficacité des stratégies thérapeutiques. Elle peut néanmoins comporter de brèves périodes d’amélioration des symptômes, mais elles sont transitoires et toujours inférieures à deux mois. « Les dépressions chroniques devraient être assez rares. Elles concernent souvent des personnes qui n’ont pas bénéficié d’un traitement adapté », observe le Dr Olivier Doumy. Dans les autres cas, « les formes chroniques sont souvent associées à d’autres troubles, comme un trouble anxieux grave ou une addiction », ajoute le spécialiste.

RISQUE SUICIDAIRE

Le risque suicidaire doit être pris en compte et réévalué tout au long du traitement. Sachant que questionner le patient sur ses pensées suicidaires dans un climat de confiance ne renforce pas le risque de passage à l’acte. Certains facteurs associés au risque suicidaire sont particulièrement à rechercher (voir tableau), en tenant compte de la dangerosité liée à l’accumulation de ces facteurs, notamment un âge supérieur à 75 ans. La survenue de nouveaux symptômes de type insomnie, hyperactivité, irritabilité, anxiété, ou d’idées suicidaires, en cours de traitement, doit faire solliciter un avis spécialisé.

PRISE EN CHARGE

Objectif thérapeutique

« C’est la référence avec l’état antérieur du patient en termes d’activités et de fonctionnement qui sert de repère pour l’objectif thérapeutique, sachant que certaines personnes sont plus actives que d’autres », précise le Dr Olivier Doumy :

→ prévention du risque suicidaire ;

→ éducation du patient sur la prise en charge et les signes de rechute ;

→ prévention des récidives.

Modalités

Consultation spécialisée

En France, la dépression est souvent prise en charge par le médecin généraliste seul. Une consultation psychiatrique est recommandée en cas de :

→ risque de suicide ou de préjudice à autrui ;

→ diagnostic difficile ;

→ efficacité insuffisante du traitement dans les 4 à 8 semaines ;

→ extrême détresse ou sévère altération du fonctionnement du patient ;

→ troubles psychiatriques associés ;

→ prise de substance(s) psychoactives(s) ;

→ contexte familial difficile ;

→ demande du patient.

Hospitalisation

La plupart des formes de dépression peuvent être prises en charge en ambulatoire. Le recours à une hospitalisation est justifié en cas de :

→ risque suicidaire élevé ou mise en danger ;

→ EDC sévère ;

→ EDC avec caractéristiques mélancoliques marquées par une souffrance morale profonde, un ralentissement moteur majeur, voire un mutisme ;

→ EDC avec caractéristiques psychotiques, en présence d’idées délirantes et/ou d’hallucinations ;

→ formes résistantes au traitement ;

→ comorbidités complexes (troubles anxieux sévères, troubles addictifs…) ;

→ troubles non psychiatriques avec altération de l’état général, particulièrement en cas d’isolement ou de soutien socio-familial faible.

Stratégies thérapeutiques

« En situation idéale, la prise en charge d’une dépression se fait précocement et associe un traitement médicamenteux, une psychothérapie et un accompagnement soutenu », énumère le Dr Ludovic Samalin. La Haute Autorité de santé recommande d’adapter la stratégie thérapeutique en fonction de l’intensité de l’EDC (3).

EDC d’intensité légère à modérée

→ Intensité légère : une psychothérapie de soutien est recommandée en première intention, avec le médecin généraliste, un psychiatre, un psychologue clinicien ou un psychothérapeute. Après 4 à 8 semaines :

- en cas de rémission partielle, la psychothérapie de soutien est poursuivie ;

- en cas de persistance ou d’aggravation des symptômes, l’EDC est réévalué et le traitement adapté à un EDC d’intensité modérée.

→ Intensité modérée : psychothérapie de soutien ou psychothérapie structurée (cognitivo-comportementale, interpersonnelle, psychodynamique…). Un antidépresseur peut être associé à la psychothérapie. Après 4 à 8 semaines :

- en cas de rémission complète, poursuite du traitement antidépresseur et de la psychothérapie pendant 6 mois à 1 an ;

- en cas de rémission partielle, poursuite de la psychothérapie et posologie de l’antidépresseur augmentée ou changement de classe médicamenteuse ;

- en cas de persistance ou d’aggravation des symptômes, l’intensité de l’EDC est considérée comme sévère.

Remarque : « Contrairement à une idée reçue, même dans le cas d’une dépression légère à modérée, certains patients vont préférer un traitement médicamenteux à une psychothérapie. Celle-ci mobilise beaucoup le patient et n’est pas toujours simple à mettre en œuvre », prévient le Dr Samalin.

EDC d’intensité sévère

→ Prescription d’un antidépresseur et orientation rapide vers un psychiatre.

→ Hospitalisation si besoin.

Après 4 à 8 semaines :

- en cas de rémission complète, poursuite du traitement antidépresseur et de la psychothérapie pendant 6 mois à 1 an ;

- en cas de rémission partielle, de persistance ou d’aggravation des symptômes : la prise en charge est reconsidérée et une hospitalisation envisagée.

Cas particulier de la dépression chronique

Une dépression chronique nécessite des intervenants multiples et des prises en charge complexes. À partir de trois épisodes dépressifs, il y a un risque élevé de rechutes et de récidives qui seront de plus en plus compliquées à traiter. « Le meilleur moyen de prévenir les rechutes est de maintenir le traitement antidépresseur à la posologie efficace », souligne le Dr Olivier Doumy, alors qu’il y a eu pendant longtemps « une tendance à prescrire une posologie abaissée sur le long terme, ce qui entraînait des rechutes ».

Les psychothérapies

La psychothérapie de soutien et plusieurs psychothérapies structurées ont montré un intérêt dans la dépression. Les différentes approches permettent d’adapter le suivi aux préférences de chaque patient.

Psychothérapie de soutien

Composante fondamentale du traitement de la dépression, la psychothérapie de soutien peut être réalisée par un médecin généraliste, un psychiatre, un psychologue clinicien ou un psychothérapeute. Cet accompagnement, basé sur l’empathie, la confiance et une écoute active, favorise le maintien de l’alliance thérapeutique et l’adhésion au traitement (3).

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC)

Elles reposent sur le postulat qu’un comportement inadapté lié à des expériences antérieures a été maintenu par le patient lors de nouvelles expériences (voir « Le modèle cognitif »). La thérapie vise à remplacer le comportement inadapté par un comportement plus adapté. Prévoir trois à quatre séances réparties sur une période de 3 à 6 mois pour un EDC. Pour une dépression d’intensité modérée à sévère, prévoir deux séances par semaine pour les 2 à 3 premières semaines de traitement (3).

Les psychothérapies psychodynamiques ou d’inspiration analytique

L’objectif des psychothérapies d’inspiration analytique, ou psychanalyse, est de faire revenir au niveau conscient des conflits et traumatismes enfouis dans l’inconscient, à l’origine des troubles actuels.

Dans les psychothérapies psychodynamiques, l’analyste intervient généralement plus pour aider la personne à analyser les situations traumatiques du passé ou les difficultés relationnelles. Prévoir environ 16 à 20 séances réparties sur 4 à 6 mois (3).

La psychothérapie interpersonnelle

Le but est d’amener le patient à comprendre le lien entre ses interactions problématiques et ses comportements relationnels dans le contexte actuel (conflits interpersonnels, deuils, déficits interpersonnels, changement de statut social). Durée comprise entre 12 et 20 séances réparties sur une période de 3 à 4 mois (3).

Les traitements physiques

L’électroconvulsivothérapie (ECT)

L’ECT, appelée aussi sismothérapie, consiste à provoquer une crise d’épilepsie (crise comitiale) à l’aide d’un courant électrique administré par voie transcrânienne. « L’ECT est le chef de file des traitements physiques ou de neurostimulation », souligne le Dr Ludovic Samalin. « Quand les antidépresseurs ont une efficacité dans 60 à 70 % des cas, l’ECT est efficace dans 90 % des cas. » L’ECT, découverte en 1938, a connu un excès de prescription dans les années 1940-1950, à une époque où les médicaments antidépresseurs n’existaient pas.

Le traitement fut ensuite délaissé dans les années 1960-1970 avec le développement des antidépresseurs et la sortie du roman de Ken Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou, adapté au cinéma en 1975, qui montrait une image « barbare » des « électrochocs » de l’époque. Depuis les années 1980-1990, l’ECT a retrouvé une place parmi les traitements de la dépression grâce à un meilleur encadrement éthique et juridique, et surtout à l’évolution de la technique qui utilise aujourd’hui un courant bref ou ultra-bref pulsé, mieux toléré et administré sous anesthésie générale et curarisation des patients. « Si l’ECT pratiquée aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la technologie utilisée dans les années 1970, il est nécessaire de prendre du temps pour expliquer ce traitement aux patients et aux familles », rapporte le Dr Ludovic Samalin.

Autres traitements de neurostimulation

La stimulation magnétique transcrânienne répétitive (ou rTMS, pour repetitive transcranial magnetic stimulation), développée depuis le milieu des années 1980, est reconnue à l’échelle internationale pour traiter des troubles psychiatriques (dépression, schizophrénie…) et des troubles neurologiques (fibromyalgie, douleurs neuropathiques). Quant à la stimulation transcrânienne à courant continu (ou tDCS, pour transcranial direct current stimulation), technique plus récente et très simple d’utilisation, son efficacité dans la dépression reste contestée. « rTMS et tDCS peuvent être des traitements alternatifs ou complémentaires d’un traitement par antidépresseur. Ils ne se situent pas au même niveau d’efficacité thérapeutique que l’ECT », précise le Dr Samalin.

(1) Ve édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM pour Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders).

(2) « Référentiel de Psychiatrie et Addictologie », 2e ed., collection L’Officiel ECN, Presses universitaires François-Rabelais, 2017.

(3) HAS, « Épisode dépressif caractérisé de l’adulte : prise en charge en soins de premier recours », octobre 2017 (consulter le lien bit.ly/2yGGtib).

(4) OMS, « Dépression », mars 2018.

Question de patient

Qu’appelle-t-on agoraphobie ?

L’agoraphobie est une anxiété liée à des lieux ou des situations dont il pourrait être difficile de sortir et où aucun secours ne serait disponible en cas d’attaque de panique.

Mal-être ou dépression ?

La frontière entre « déprime », mal-être et dépression est souvent floue dans le langage courant. Des sentiments normaux de tristesse, de découragement ou de lassitude éprouvés face aux difficultés de la vie peuvent être à tort qualifiés de « dépression », au risque de banaliser cette pathologie. « L’amalgame est fréquent entre mal-être et dépression », précise le Dr Olivier Doumy, psychiatre au centre hospitalier Charles Perrens, à Bordeaux. « Or la dépression est un épisode avec un début qui, même s’il peut être insidieux, marque un changement d’état chez la personne atteinte. Elle est distincte du mal-être observé chez une personne qui a une souffrance existentielle au long cours. Les antidépresseurs n’auront pas d’efficacité sur le mal-être. »

Deuil et dépression

Tristesse intense, insomnie, perte d’appétit et de poids peuvent être compréhensibles dans un contexte de deuil. Elles ne doivent toutefois pas faire ignorer la possibilité d’un épisode dépressif qui peut s’ajouter à une réaction « normale ». Parmi les raisons évoquées* :

→ le deuil peut précipiter un épisode dépressif caractérisé (EDC) chez une personne vulnérable. L’EDC surviendra alors peu après la perte ;

→ la survenue d’un EDC relatif à un deuil est plus probable chez les personnes ayant des antécédents personnels ou familiaux de dépression.

* Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Ve édition.

Des dysfonctionnements dans la prise en charge

→ Selon une étude publiée par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) en 2017*, en France :

• une proportion importante de patients souffrant de symptômes dépressifs n’a pas recours aux soins ;

• la prise en charge est le plus souvent assurée par le médecin généraliste ;

• malgré une densité plus élevée de psychiatres, le médecin généraliste n’adresse les patients vers un spécialiste que dans 22 % des cas, contre 25 % en Allemagne, 30 % en Belgique ou 50 % en Italie ;

• les traitements ne sont le plus souvent pas adéquats et ne respectent pas la durée minimum de 6 mois recommandée pour un premier épisode.

→ Des obstacles à la prise en charge :

• stigmatisation des maladies mentales ;

• réticence des patients ou des professionnels à s’adresser à un dispositif spécialisé en psychiatrie ;

• difficultés d’observance ;

• manque de formation des professionnels ;

• délais importants pour obtenir un rendez-vous avec un psychiatre ;

• non-remboursement des consultations avec un psychothérapeute non-médecin.

* Irdes, « Une hétérogénéité des hospitalisations pour dépression liée aux parcours de soins en amont », juin 2017 (consulter le lien bit.ly/2Vl0571).

L’avis du spécialiste

« Une prise en charge précoce est essentielle »

Dr Olivier Doumy, psychiatre au centre de référence régional des pathologies anxieuses et de la dépression (Cerpad) du centre hospitalier Charles Perrens, à Bordeaux.

« La prise en charge précoce de la dépression est essentielle. Le pronostic n’est pas le même pour des patients pris rapidement en charge dès le premier épisode que pour des patients en dépression depuis plusieurs mois ou qui ont connu plusieurs épisodes. L’hypothèse biologique des “cicatrices cognitives” repose sur le fait que la durée, la sévérité ou la récurrence des épisodes entraînent des déficits cognitifs en termes de mémoire ou d’attention. Des “séquelles” cérébrales qui s’aggravent au fur et à mesure des récurrences dépressives et qui rendent plus difficile la récupération complète de toutes les fonctions cérébrales. Sur le plan psychosocial, être en arrêt de travail pendant 1 mois ou pendant 6 mois n’a pas non plus les mêmes répercussions. C’est une période durant laquelle un patient peut se replier chez lui et ne plus avoir de relation sociale, fumer plus ou consommer de l’alcool. Autant de comportements péjoratifs pour son rétablissement, qu’il faudra rattraper en thérapie. »