Le ministère de la Santé a présenté fin avril une feuille de route destinée à « accélérer le virage numérique » du secteur. Dominique Pon, responsable de la nouvelle délégation ministérielle au numérique en santé, détaille ce que les soignants en général, et les Idels en particulier, peuvent espérer en retirer.
Dominique Pon : En France, on ne peut pas être satisfait de la situation du numérique en santé. Du côté des patients, très peu de services sont proposés. Du côté des professionnels, les systèmes dont on dispose ne communiquent pas entre eux. Cela provoque de vraies ruptures dans les parcours de soins, et c’est un risque.
D. P. : Il y a d’abord un socle de convictions qui sous-tendent cette démarche. La première, c’est qu’il faut que le numérique en santé soit inscrit dans un cadre de valeurs humanistes : il doit être au service des gens sur le terrain, qu’il s’agisse des usagers ou des professionnels de santé. La deuxième, c’est le principe d’humilité : il n’y aura pas de « grand soir », de logiciel unique qui va tout résoudre. Il faut au contraire avancer progressivement, et tous ensemble. Enfin, la troisième conviction, c’est la logique de « l’État plateforme » : les pouvoirs publics doivent proposer un socle commun à tout le monde, des contenants qui soient un peu au numérique ce que les ponts et les routes sont aux villes. Sur ce socle commun, les acteurs peuvent proposer leurs services, qui sont en quelque sorte les immeubles et les maisons.
D. P. : Il y a d’abord la définition d’une gouvernance claire et forte, avec la création auprès de la ministre d’une délégation ministérielle et d’une Agence du numérique en santé, et la relance du Conseil du numérique en santé. Il y a par ailleurs un sujet qui n’est pas très grand public, mais indispensable : nous devons publier la doctrine technique qui permettra le déploiement de la feuille de route en fixant des éléments tels que les identifiants numériques, les normes applicables…
D. P. : Oui. Dans la logique d’État plateforme, certains services numériques comme les moyens d’identification, la messagerie, le DMP [dossier médical partagé, ndlr], ou l’e-prescription doivent être développés par l’État. Il ne s’agit pas d’outils métier mais d’une couche de base partagée par tout le monde. Au-dessus de ces services socles, on trouvera de grandes plateformes : l’espace numérique de santé pour les usagers, et le bouquet de services numériques pour les professionnels ; il s’agira d’espaces où, un peu comme dans les « stores » de nos smartphones, l’ensemble des acteurs pourra publier des applications. En parallèle sera développé le « Health Data Hub », un collecteur de données qui permettra à l’ensemble des acteurs de l’écosystème d’avoir accès, de façon pseudonymisée, aux données du SNDS [système national des données de santé, qui regroupe notamment les données de l’Assurance maladie et des hôpitaux, et qui pourra être apparié à certaines grandes cohortes de patients, ndlr].
D. P. : Je crois au terrain, je suis convaincu que c’est sur le terrain que se construit l’innovation. Pour soutenir les innovations, je compte organiser un « tour de France » de tous les acteurs afin de coconstruire cette feuille de route. Nous allons par ailleurs créer un guichet de l’innovation en santé, le « Lab e-santé », pour aider start-up ou éditeurs à développer un marché, à rendre publiques leurs innovations, etc.
D. P. : Prenons le cas d’un patient qui a été hospitalisé et qui poursuit ses soins à domicile. Aujourd’hui, toutes les infirmières libérales vous diront qu’il est compliqué de récupérer les informations de l’hôpital, qu’il s’agisse du dossier médical ou du protocole qui a été mis en place. Il est également difficile d’effectuer un retour d’information vers l’hôpital pour tenir au courant le médecin référent de ce qui se passe au domicile. Les outils utilisés manquent d’interopérabilité. Si l’ensemble des acteurs de l’écosystème se mettent à utiliser le même socle, les mêmes plateformes, les logiciels pourront plus simplement s’interfacer les uns aux autres. Nous pourrons enfin avancer sur les parcours de soins numériques.
D. P. : L’usager va lui aussi être engagé par le numérique. Le patient connecté, dans les années à venir, va pouvoir mieux interagir avec son infirmière libérale, qui est l’un des professionnels le plus en contact avec la population. Ce qui passe aujourd’hui par le téléphone ou par des messageries non sécurisées passera par d’autres outils. Le lien avec le patient sera à la fois physique et numérique. C’est à mon sens l’un des changements importants à venir au cours des dix prochaines années.
D. P. : Oui. L’objectif est de dématérialiser la prescription, de manière sécurisée, tout d’abord entre le médecin et le pharmacien. De la sorte, le médecin transmettra l’ordonnance et obtiendra un retour sur ce qui a vraiment été délivré par le pharmacien. Cet aspect sera mis en test dès cette année et sera par la suite étendu aux actes des autres professionnels : masseurs-kinésithérapeutes, infirmiers, etc. Il y aura donc un impact important pour les Idels : un acte infirmier prescrit par un médecin traitant ou un spécialiste hospitalier sera directement transmis par un canal sécurisé. Et une fois l’acte réalisé, le médecin prescripteur pourra avoir l’information en ligne.
D. P. : Beaucoup d’outils sont en réalité déjà développés. Le sujet principal est de les rendre compatibles les uns avec les autres. Nous devons publier les référentiels, mais il s’agit avant tout de questions d’arbitrage. Donc effectivement, tout ne sera pas opérationnel dans les trois mois, mais je pense qu’on aura des résultats à l’échelle de deux ou trois ans et que, pour 2022, l’ensemble du virage sera pris.
Le numérique fait partie des dix chantiers du plan « Ma Santé 2022 », présenté par le président de la République et la ministre de la Santé en septembre 2018. Pour le piloter, Agnès Buzyn a choisi, en plus de Dominique Pon, Laura Létourneau, ex-cheffe de l’unité « Internet ouvert » à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Les deux pilotes ont rendu leur copie au mois d’avril, mais n’ont pas lâché la main pour autant. Le premier a été nommé responsable de la toute nouvelle délégation ministérielle à la transformation numérique en santé, tandis que la seconde en est devenue la déléguée opérationnelle.