Les reins solides - L'Infirmière Libérale Magazine n° 359 du 01/06/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 359 du 01/06/2019

 

LA VIE DES AUTRES

AILLEURS

Laure Martin  

Infirmière depuis vingt-deux ans dans un centre d’hémodialyse à Meknès, au nord du Maroc, Maria El Amrani a tout appris sur le terrain, avec pour seul bagage une folle envie de travailler. Aujourd’hui, c’est elle qui forme les nouvelles infirmières de la structure.

« Je n’avais pas du tout l’intention de devenir infirmière, témoigne Maria . J’étudiais à l’université de Meknès en littérature arabe lorsque je suis tombée enceinte de mon premier fils, à 25 ans. J’ai donc arrêté mes études. J’ai voulu les reprendre, mais je suis tombée enceinte de mon second fils. » Sa belle-sœur, infirmière, travaille à l’époque dans un centre d’hémodialyse ouvert par un médecin. « Ce praticien lui a demandé si elle ne connaissait pas quelqu’un qui accepterait de venir travailler dans le centre », poursuit Maria. À cette période, au Maroc, il est difficile de trouver du personnel pour exercer dans ce type de structure, car ce mode d’exercice requiert une formation spécifique. Maria rencontre le médecin qui l’informe qu’il suffit d’avoir suivi des études, quel que soit le domaine, pour intégrer la formation de personnel en hémodialyse. « La formation était dispensée en français, et comme je sais lire et écrire cette langue, j’ai décidé de me lance r », rapporte Maria.

Formation par les pairs

Fin 1996, elle débute donc sa formation de six mois à la clinique pour devenir praticienne en hémodialyse. « Ce sont les infirmières déjà en poste et le médecin qui m’ont formée, se rappelle Maria, qui travaille au sein de la même clinique depuis vingt-deux ans. De temps en temps, le médecin me posait des questions pour savoir si je maîtrisais ou pas la pratique. » « Ne pas être infirmière de formation ne m’a pas pour autant fait redouter l’exercice du métier, car j’avais envie de travailler et donc d’apprendre. Lorsqu’on exerce en hémodialyse, il n’est pas nécessaire d’avoir d’autres compétences, car la technique est différente de celle des soins », ajoute-t-elle.

Mais au fur et à mesure des années, elle acquiert d’autres savoir-faire liés aux soins. « Nous prenons en charge tous types de patients, comme des cardiaques ou des hypertendus. Nous sommes donc au contact de nombreuses pathologies, ce qui accroît nos connaissances. L’apprentissage de terrain nécessite beaucoup de volonté et surtout d’aimer ce que l’on fait. » Lorsqu’elle débute son exercice, Maria commence par s’occuper de l’accueil des malades, de la prise de leurs constantes comme la tension, la pesée à l’entrée et à la sortie des soins, fondamentale pour la prise en charge en hémodialyse.

Elle apprend ensuite le fonctionnement du générateur d’hémodialyse, à le purger avec du sérum salé. « Les infirmières m’ont enseigné le montage et le démontage de la machine, sa manipulation, le rôle des différents composants », rapporte Maria. Après une parfaite maîtrise de l’outil, ses consœurs l’ont formée à piquer le patient dans la fistule artério-veineuse.

Ce dispositif consiste à créer une anastomose entre une artère et une veine superficielle afin d’obtenir une augmentation significative du débit et de la pression, provoquant ainsi une dilatation de la veine et un épaississement de la paroi. « Après six mois de formation, j’étais opérationnelle pour travailler », sourit-elle.

Transmission des connaissances

Aujourd’hui, Maria est l’infirmière la plus ancienne de la clinique et c’est elle qui est en charge de la formation des nouvelles « recrues ». « J’ai actuellement deux nouvelles infirmières à mes côtés, raconte-t-elle. L’une a travaillé un an dans un autre centre d’hémodialyse et doit donc apprendre notre manière de travailler, même si d’un centre à un autre les techniques sont proches. L’autre sort tout juste de l’école d’infirmière et vient de commencer en dialyse, elle ne sait donc rien de la pratique et doit tout apprendre. » En parallèle de la formation, Maria s’occupe de la prise en charge des patients. Ces derniers peuvent se rendre à la clinique de 7 h à 12 h et de 13 h à 17 h, et le soir. « Généralement, les infirmières travaillent trois jours par semaine, mais comme je suis la plus ancienne, le médecin a besoin de moi, je travaille donc six jours par semaine, de 7 h à 17 h. » Dans ce centre d’hémodialyse, c’est la même infirmière qui suit le patient de son arrivée à sa sortie. Et certains patients, qui s’attachent à des infirmières, demandent à chaque fois à être pris en charge par la même soignante. « Ils viennent trois fois par semaine pendant quatre heures, souligne Maria. Nous devenons comme une famille. Ils nous racontent tout et nous sommes alors parfois amenées à faire du soutien psychologique. » Les infirmières de la structure essayent autant que possible d’offrir un accompagnement global au patient. « Il est difficile de les soulager dans ce qu’ils ressentent, dans ce qu’ils subissent. Ils restent quand même connectés au générateur pendant quatre heures plusieurs fois par semaine… Alors nous essayons de faciliter leur situation en leur parlant et en les soutenant », conclut Maria.

L’exercice infirmier au Maroc

La formation en soins infirmiers est dispensée après le baccalauréat, au sein d’instituts publics ou privés, pour une durée de trois ans. Une loi de 2016 (43-13) a modifié les conditions d’exercice du métier. En fonction du diplôme détenu par le professionnel concerné et dans la limite des compétences acquises au cours de la formation de base ou de la formation continue, la profession infirmière se pratique en qualité d’infirmier polyvalent, d’infirmier en anesthésie réanimation, en psychiatrie, en gériatrie ou en soins d’urgence et soins intensifs. Au Maroc, l’infirmier exerce soit sur prescription médicale, soit sous l’encadrement et la responsabilité d’un médecin, soit encore de manière indépendante en ce qui concerne les actes qui lui sont propres. Les infirmières exercent dans le secteur public, au sein des services de l’État, des collectivités territoriales ou des établissements publics. Elles peuvent aussi travailler dans le secteur privé sous la forme libérale, à titre individuel ou en commun, ou dans le cadre du salariat, mais elles doivent y être autorisées par l’administration qui assure des contrôles.

Source : Secrétariat général du gouvernement (consulter le lien bit.ly/2VNFoA8).

Elle dit de vous !

« Les infirmières indépendantes sont encore peu répandues au Maroc. Celles qui ouvrent des cabinets pour faire des soins et des injections sont responsables en cas de problème avec le patient. Personnellement, je n’aurais pas aimé exercer ainsi. Les risques sont trop nombreux. Je ne me serais pas sentie sécurisée en intervenant seule au domicile d’un patient. Je préfère l’exercice hospitalier pour cette raison. Nous sommes entourés, nous prenons les décisions collectivement. Actuellement, au Maroc, les patients semblent encore préférer se rendre à l’hôpital plutôt que d’avoir recours à des cabinets indépendants, peut-être pour une question de confiance ou parce que ces cabinets sont encore récents. »