L'infirmière Libérale Magazine n° 359 du 01/06/2019

 

CAHIER DE FORMATION

Savoir faire

DÉPRESSION ET VIE FAMILIALE

Des répercussions délétères

Une dépression caractérisée a un impact sur la vie sociale, familiale et professionnelle, encore plus lorsque sa durée et l’intensité des symptômes sont importantes. « L’existence d’un ralentissement psychomoteur et de troubles cognitifs, le fait d’avoir moins d’envies, peuvent engendrer des tensions au sein du couple et des difficultés relationnelles avec l’environnement familial. Dans les cas de dépressions résistantes ou qui se chronicisent, un épuisement du conjoint peut aboutir par exemple à une séparation », prévient le Dr Ludovic Samalin, médecin psychiatre et enseignant-chercheur au CHU de Clermont-Ferrand. Plusieurs raisons à cela :

→ ce changement par rapport à l’état habituel du patient rebat les cartes du rôle de chacun au sein de la famille. Et la nouvelle situation peut être difficile à accepter par l’entourage ;

→ la maladie n’est pas toujours bien comprise par l’entourage qui peut avoir tendance à penser que la personne atteinte ne fait pas assez d’efforts pour aller mieux.

Se faire aider

Le médecin ou le psychiatre en charge du patient est censé rester centré sur la prise en charge du patient. Certains acceptent de recevoir les proches du patient à la condition indispensable que ce dernier donne son accord. « Il y a plusieurs écoles », constate le Dr Samalin. « Certains médecins préfèrent recevoir les proches à part, d’autres préfèrent recevoir les proches avec le patient pour éviter les non-dits », par exemple lorsque les propos du médecin ne seraient pas correctement rapportés ou seraient déformés.

Besoin d’explications

« Expliquer ce qui est en train de se passer, comment la situation peut évoluer, combien de temps ça va prendre et avec quels traitements est très important pour les patients comme pour les proches. C’est souvent la première chose à faire », observe le psychiatre. Le proche se trouve en quelque sorte dans la position d’un aidant, mais ne doit pas se retrouver en position de soignant au risque de s’épuiser. « C’est un des enjeux de la discussion avec le médecin », souligne le Dr Samalin, « le proche est un aidant, il est là pour les liens d’affection qu’il a avec son conjoint », pas pour contrôler la prise des traitements ou pour noter ses effets indésirables. Même si ce proche peut endosser un peu ce rôle tant qu’il peut l’assumer. « Lorsque surviennent les premiers signes d’épuisement, il est temps de prendre un peu de distance et de passer la main », conseille-t-il, en demandant de l’aide à une structure de soins si besoin. Le médecin du patient peut aussi proposer au proche un soutien psychologique avec un confrère.

Rencontrer un autre thérapeute

« D’un point de vue déontologique, un psychiatre ou un psychologue ne suit pas individuellement deux membres de la même famille car cela engendre des conflits d’intérêt dans la prise en charge », explique le Dr Ludovic Samalin. L’adhésion d’un patient à la thérapie implique qu’il se sente en sécurité, en confiance avec son thérapeute. Si le thérapeute prend également en charge un parent ou le conjoint, cela peut limiter la parole du patient, surtout lorsqu’elle concerne ce proche.

DÉPRESSION ET TRAVAIL

La dépression peut justifier un arrêt de travail, particulièrement en début de traitement, pour plusieurs raisons :

→ les symptômes de la dépression peuvent altérer significativement l’initiative, la concentration, la mémoire, ainsi que les relations avec les interlocuteurs ;

→ en cas de prescription d’un anxiolytique, celui-ci peut engendrer une somnolence plus ou moins marquée, qui fait déconseiller toute activité à risque, ainsi que des troubles de l’équilibre et de la mémoire ;

→ le travail, selon ses caractéristiques, peut lui-même aggraver un état dépressif. « Le maintien d’une activité physique, professionnelle ou autre, est bénéfique si le niveau de stress est contrôlé », précise le Dr Samalin, mais « la reprise d’un travail stressant, soumis à pression, n’est pas recommandée au sortir d’une dépression avec quelques symptômes résiduels ». Dans ce cas, le patient peut s’adresser à la médecine du travail pour envisager une reprise adaptée du travail si c’est possible.

LE SOUTIEN DE L’INFIRMIÈRE À L’ÉCOUTE

Pour aider le proche en difficulté, l’infirmière peut :

→ adopter une attitude d’écoute en appliquant les éléments d’une psychothérapie de soutien, telle la reformulation des propos de l’interlocuteur. Le soignant lui montre ainsi qu’il s’intéresse à son état de souffrance ;

→ éviter de donner tout de suite une réponse toute faite, avec des promesses de soulagement qui ne sont pas certaines, du type « ne vous inquiétez pas, ça va aller mieux » ;

→ éviter aussi de parler d’autre chose pour éluder le sujet. Montrer au contraire que le sujet ne met pas le soignant mal à l’aise ;

→ après cela, l’Idel peut s’autoriser à dire que les paroles de son interlocuteur lui font comprendre que la situation engendre de la souffrance. Une proposition comme « ne pensez-vous pas qu’une aide ou un soutien psychologique auprès d’un psychologue ou d’un médecin pourrait vous aider ? » montre que le soignant cherche à proposer une solution adaptée.

Cas pratique

Il est 15 h, vous êtes chez Mme A., âgée 54 ans, pour refaire son pansement. Son mari passe dans le couloir et vous salue avant d’emprunter l’escalier qui mène aux chambres. « J’en peux plus », laisse échapper Mme A. Après un temps, elle vous confie que son mari est suivi pour une dépression depuis plus de 3 ans par un psychiatre, mais qu’il est à nouveau en arrêt de travail, qu’il ne sort quasiment plus de la maison et qu’ils n’ont plus de loisir ensemble.

Vous incitez Mme A. à continuer d’exprimer ses difficultés. Lorsque vous sentez qu’elle a fini de parler, vous lui confirmez que la dépression qui affecte significativement le fonctionnement de son mari a forcément un retentissement sur le reste de la famille. Qu’elle a visiblement besoin de prendre un peu de recul et de faire un point sur cette situation nouvelle. Vous l’incitez à en parler avec son médecin traitant ou à prendre un rendez-vous avec un psychologue ou un psychiatre qui lui expliquera mieux la maladie de son mari et la conseillera pour améliorer son propre mal-être.

Questions à

L’Unafam est un interlocuteur pour les proches en difficultés

Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam).

Les maladies mentales souffrent de stigmatisations, qu’en est-il pour la dépression ?

La stigmatisation de la dépression est différente de celle observée dans la schizophrénie ou le trouble bipolaire où c’est la maladie elle-même qui est mal jugée. De ce que nous rapporte les familles, les personnes atteintes de dépression subissent plutôt une non-reconnaissance de leur souffrance et que cette dernière soit liée à une maladie. Si les épisodes dépressifs souvent rattachés à des événements de vie semblent mieux « acceptés », les dépressions résistantes, voire chroniques, restent très mal connues du grand public.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les proches ?

La dépression étant finalement assez souvent banalisée, la situation des proches « aidants » est relativement mal identifiée. Pourtant, dans un contexte de longue dépression, le proche peut avoir du mal à conserver une écoute bienveillante et à trouver des attitudes aidantes. D’autant plus si la maladie ne lui a pas été bien expliquée. Il peut atteindre une sorte de ras-le-bol qui se traduit par des injonctions de type « bouge-toi », « sors un peu », qui n’ont aucun effet bénéfique sur la personne malade et peuvent en retour entraîner une culpabilité chez le proche qui les prononce. S’ajoute à cela la possibilité de pensées suicidaires et la crainte d’un passage à l’acte qui peut inciter le proche à rester sur ses gardes.

L’Unafam est-elle un interlocuteur pour les difficultés liées à la dépression ?

Historiquement, l’Unafam a été créée pour les patients souffrant de schizophrénie et leurs proches avant d’inclure les familles et amis de patients atteints de troubles bipolaires. Aujourd’hui, nous sommes fréquemment sollicités pour des problématiques liées à la dépression. Soit par les proches d’une personne souffrant de dépression résistante ou chronique, plutôt que pour des épisodes transitoires. Soit par des personnes en situation d’aidant qui font une dépression du fait de la maladie mentale de leur proche. Nous avons d’ailleurs mis en place une formation spécifique* pour les aidants confrontés à la dépression d’un proche.

* Renseignements auprès de l’Unafam (voir « Savoir plus » p. 46).

L’avis du spécialiste

Stimuler avec modération

Dr Ludovic Samalin, médecin psychiatre et enseignant-chercheur aux centres experts dépression résistante et trouble bipolaire de la fondation FondaMental du CHU de Clermont-Ferrand.

« L’activité physique est bénéfique si elle est pratiquée dans le bon timing. Dans le cadre d’une dépression, le patient est pris entre l’inactivité et le trop d’activité. La personne souffrant de dépression peut chercher à se mobiliser dans les limites de ses capacités et pas au-delà. Des proches avec de bonnes intentions peuvent vouloir stimuler la personne atteinte en l’invitant par exemple à marcher avec eux. Si la marche dure 2 heures, c’est trop, et c’est délétère pour le patient qui n’a pas beaucoup de ressource. L’activation comportementale* proposée aux patients qui le souhaitent au CHU de Clermont-Ferrand consiste à pratiquer une activité physique douce, marche sur tapis roulant par exemple, pendant 30 à 60 minutes. L’activité est ensuite augmentée progressivement. Une activité physique modérée pratiquée trois fois par semaine améliore la symptomatologie et les fonctions cognitives. Par ailleurs, des programmes de reprise d’activité dans le cadre d’une thérapie cognitivo-comportementale peuvent consister à reprendre les activités quotidiennes (faire les courses, promener le chien…). »

* L’activation comportementale est une approche thérapeutique brève et structurée. Elle augmente l’engagement de l’individu qui a tendance à développer des comportements passifs pour éviter les situations, pensées ou sensations douloureuses du fait de ses symptômes.