CAHIER DE FORMATION
SAVOIR FAIRE
Six mois après le début du traitement, moins de la moitié des insuffisants cardiaques prennent correctement tous leurs médicaments (1). L’implication de tous les professionnels de santé concernés, et celle des Idels en particulier, est essentielle pour amener les patients à devenir pleinement acteurs de leur prise en charge.
L’intervention des Idels est prescrite par les médecins libéraux ou hospitaliers et peut s’inscrire dans le cadre du dispositif spécifique Prado IC mis en place par la Cnam depuis 2013 (voir l’encadré ci-contre). Ce programme, inscrit dans la durée, assure l’accompagnement éducatif et la surveillance clinique et biologique du patient et de son traitement au décours d’une hospitalisation. « Les patients qui ont été hospitalisés une fois ont une probabilité d’au moins 30 % d’être réhospitalisés dans les six mois qui suivent, explique le Pr Desnos, cardiologue à l’hôpital Marie-Lannelongue du Plessis-Robinson. Or la moitié de ces réhospitalisations serait évitable si les patients étaient mieux suivis et accompagnés à distance. C’est la raison pour laquelle tous les moyens mis en œuvre, tels que les formations (voir l’encadré ci-contre), le dispositif Prado IC, la télémédecine…, pour renforcer l’accompagnement des patients à domicile, en particulier pendant la phase de démarrage du traitement et d’augmentation progressive des médicaments, sont les bienvenus. Dans ce contexte, la présence des infirmières est primordiale car, au-delà des soins et de la surveillance qu’elles réalisent, les Idels sont les plus efficientes en matière d’éducation thérapeutique du patient (ETP). »
Nombreux sont les patients insuffisants cardiaques, y compris parmi ceux dont la pathologie ne présente pas une complexité majeure, qui pourraient tirer profit d’une prescription de soins infirmiers à domicile. Un constat sur lequel plusieurs spécialistes s’accordent, à l’instar du Pr Patrick Jourdain, cardiologue au sein du pôle Thorax de l’hôpital Bicêtre (AP-HP) et président du département d’éducation thérapeutique de l’université Paris-Descartes. « L’intérêt de la prise en charge à domicile par les Idels est une évidence, mais force est de constater que nous ne faisons pas suffisamment appel à elles alors qu’elles pourraient, au-delà de leur rôle propre, constituer un relais qui nous permettrait d’avoir un retour, de savoir comment ça se passe à domicile et comment évolue le patient pour mieux ajuster son suivi. Dans le cadre des pratiques avancées et du développement de la télémédecine dans les pathologies chroniques, nous pourrions nous appuyer davantage sur les Idels car elles sont au plus près du patient, là où il est possible d’anticiper et de corriger rapidement les dérives en matière d’observance ou d’hygiène de vie, de détecter les signes d’alerte précocement, de guider le médecin dans sa prise en charge et d’assurer ainsi une traçabilité beaucoup plus rigoureuse de l’évolution des patients. »
Des perspectives qui s’inscrivent dans le processus d’évolution qu’offre déjà aux Idels le parcours Prado IC, ainsi qu’en témoigne Laure Pananceau, Idel à Cholet (Maine-et-Loire). « Ce dispositif de prise en charge est professionnellement très enrichissant. S’apparentant à une “consultation infirmière”, il nous offre, au-delà des soins, la possibilité de travailler la relation, l’éducation et l’accompagnement des patients dans la durée. » Le temps consacré (entre vingt et trenteminutes en moyenne) permet aux Idels de « se poser », de discuter, d’expliquer, de répondre aux questions et de commenter les informations et données répertoriées par le patient (relevé du poids par exemple) sur son carnet de suivi. « Je reviens systématiquement sur les sujets qui posent problème (régime hyposodé par exemple) afin de m’assurer que le patient comprend pourquoi il prend tel traitement, pourquoi il doit surveiller son poids et pratiquer une activité physique adaptée », poursuit l’Idel. Une prise en charge globale très appréciée des patients et incontestablement bénéfique. « Mes collègues et moi constatons une nette différence en termes d’implication entre nos quatre patients “Prado” et nos patients insuffisants cardiaques qui ne bénéficient pas de ce programme. Comme nous sommes en prise directe avec le médecin, si nous observons une prise de poids ou une chute de tension, ce dernier peut intervenir immédiatement. La relation soignant-soigné est plus intense et procure une réelle satisfaction. » « Elle est très valorisante et nous sort de notre quotidien souvent répétitif », conclue Christian Fourteau, Idel à Sainte-Maure-de-Touraine (Indre-et-Loire).
(1) Entretien avec le Pr Michel Desnos, cardiologue à l’hôpital Marie-Lannelongue du Plessis-Robinson.
Monsieur M., 52 ans, vient d’être hospitalisé à la suite d’un œdème aigu du poumon survenu dans un contexte d’insuffisance cardiaque. Il accepte très difficilement les contraintes imposées par sa maladie en termes de traitement et de surveillance ainsi que leurs retentissements sur sa vie personnelle et professionnelle. Il s’inquiète beaucoup pour son avenir et, malgré ce rappel à l’ordre, il s’interroge sur l’utilité réelle de tous les médicaments qui lui sont prescrits.
Sollicitée par le conseiller de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) dans le cadre du programme d’accompagnement du retour à domicile des insuffisants cardiaques (Prado IC), vous lui expliquez que vous allez l’accompagner pour l’aider à passer ce cap difficile afin qu’il parvienne à mieux gérer sa maladie pour aller bien, limiter les contraintes, éviter les réhospitalisations et préserver sa qualité de vie.
Mis en place pour éviter de prolonger le séjour d’un patient dont l’état est stable et lui assurer une surveillance rapprochée à domicile, le dispositif Prado propose, sur décision médicale, un protocole de prise en charge ambulatoire après une hospitalisation pour décompensation cardiaque. Sa mise en place est coordonnée par un conseiller de la Cnam qui se rend au chevet du malade pour recueillir son consentement. La prescription est établie par le cardiologue hospitalier. Prévu pour durer deux mois, ce dispositif peut être prolongé jusqu’à six mois si nécessaire. Le renouvellement est prescrit soit par le médecin référent, soit par le cardiologue. Il prévoit une visite du médecin traitant dans les huit jours qui suivent la sortie du patient et une seconde visite approfondie à un mois, qui fait l’objet d’une cotation spécifique. Une visite chez le cardiologue est prévue au terme des deux premiers mois, durant lesquels l’Idel assure une surveillance hebdomadaire, soit huit visites. Lorsque le suivi est prolongé, l’accompagnement infirmier intervient tous les quinze jours pour un maximum de 15 séances. « Les Idels sont un des piliers du dispositif, explique Eric Haushalter, responsable du département de la coordination et de l’efficience des soins à la Cnam. Leurs interventions sont essentielles, car elles recouvrent l’éducation thérapeutique du patient et/ou de son entourage, la vérification de l’observance des traitements, des mesures hygiénodiététiques et de l’utilisation de l’auto-mesure tensionnelle, la surveillance des effets des traitements et de leur tolérance, le contrôle des constantes cliniques et de l’état général et le repérage préventif des signes de décompensation et des éventuelles complications. L’ensemble de ces missions doit permettre de développer les compétences du patient par rapport à sa maladie et ses traitements afin qu’il devienne totalement autonome et acteur de sa prise en charge. » Celle-ci fait l’objet d’une cotation spécifique (AMI5,8) officiellement inscrite à la NGAP depuis juin 2017. « Le recul dont nous disposons aujourd’hui nous permet de constater un bénéfice réel pour les patients suivis dans le cadre de Prado IC comparé à des patients non suivis par le dispositif, commente le Dr Anne Laborde-Ducourtioux, médecin-conseil au sein de la Cnam. L’observance des traitements et la surveillance biologique, notamment de la fonction rénale, sont nettement meilleures. Quant à l’effet du dispositif sur les réhospitalisations, nous attendons les résultats de son évaluation pour la fin de l’année. » En 2018, 14 865 patients ont bénéficié de ce dispositif qui a impliqué 369 établissements, 3 000 cardiologues libéraux et 10 600 Idels. « L’IC est une pathologie qui pourrait et devrait être plus largement prise en charge par la médecine de ville et les soignants libéraux, assure le Pr Yves Juillière, cardiologue spécialisé en IC au CHU de Nancy. Idéalement, il faudrait que les patients, une fois stabilisés, ne reviennent plus à l’hôpital. En optimisant la collaboration entre les médecins traitants, les cardiologues libéraux et les Idels, c’est ce qu’on peut légitimement attendre, à terme, du dispositif Prado IC. »
« Parmi les spécificités de l’IC, il faut prendre en compte le fait que la place de l’Idel est indissociable de celle du médecin, explique le Pr Patrick Jourdain, cardiologue au sein du pôle Thorax de l’hôpital Bicêtre (AP-HP) et président du département d’éducation thérapeutique de l’université Paris-Descartes. Par conséquent, il faut appréhender le rôle médical et éducatif de ces professionnelles de santé, non pas dans une logique de substitution, mais de coopération accrue. Cela suppose que médecins et infirmières parlent le même langage et bénéficient d’une formation partagée. » Il existe actuellement deux grandes formations à vocation mixte dans le domaine de l’IC :
→ un diplôme interuniversitaire (DIU) d’IC dont l’enseignement théorique est commun aux infirmières et aux médecins, qui inclut trois jours consacrés à l’éducation thérapeutique du patient (ETP), ce qui leur permet de partager les mêmes messages et connaissances et d’obtenir la double validation en IC et en ETP spécifique à cette maladie ;
→ un DIU d’ETP qui, comme le précédent, est très largement ouvert sur le même enseignement aux médecins et aux infirmières.
« Que l’on souhaite s’inscrire dans le dispositif Prado IC ou prendre en charge plus ponctuellement des patients atteints de cette pathologie, il est important de se former et d’entretenir ses connaissances régulièrement, conseille Christian Fourteau, Idel à Sainte-Maure-de-Touraine (Indre-et-Loire). Non seulement cela renforce nos compétences, mais cela contribue à asseoir la collaboration avec les médecins sur des connaissances partagées et à optimiser les échanges et les décisions dans l’intérêt du patient. » D’autres formations sont actuellement en cours de développement, notamment par l’AP-HP, afin de former des infirmières coordinatrices dans l’IC. « Les premières sessions se sont déroulées en février 2019, indique le Pr Jourdain, et on observe que les infirmières évoluent vers de nouveaux métiers à haute valeur ajoutée, car la coordination des parcours de soins entre les différents professionnels de santé impliqués dans l’IC est fondamentale. Elle permet d’optimiser véritablement la prise en charge autour du patient. Pour l’heure en cours d’expérimentation avec des infirmières hospitalières, cette coordination pourrait tout à fait être assurée par des Idels, notamment dans le cadre des plateformes territoriales d’appui, car quel que soit l’endroit, l’important dans l’IC, c’est que l’équipe hospitalière et libérale amenée à suivre le patient soit parfaitement structurée et organisée. »