L’insuffisance cardiaque - L'Infirmière Libérale Magazine n° 360 du 01/07/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 360 du 01/07/2019

 

CAHIER DE FORMATION

SAVOIR

Maladie chronique aux conséquences potentiellement graves, l’insuffisance cardiaque (IC) bénéficie aujourd’hui de traitements efficaces et de modalités de prise en charge mettant en avant la nécessaire coordination entre équipes hospitalières et soignants libéraux. Parfaitement adapté en théorie, ce dispositif de prise en charge reste à optimiser en pratique, notamment en améliorant la place que peuvent jouer les Idels dans le repérage, la surveillance, la continuité des soins et l’accompagnement des patients insuffisants cardiaques à domicile.

DÉFINITION ET CARACTÉRISTIQUES

L’IC est un état pathologique qui traduit l’incapacité du cœur, et en particulier du ventricule gauche (cavité cardiaque la plus importante sur le plan structurel et fonctionnel), à assurer sa fonction dans des conditions optimales. Dès lors, le cœur n’est plus en mesure d’irriguer correctement tous les organes, à l’effort et au repos, en sang bien oxygéné, ce qui compromet leur bon fonctionnement.

MÉCANISMES PHYSIOPATHOLOGIQUES

En général, l’IC touche prioritairement le ventricule gauche (VG) et secondairement le ventricule droit (VD) (voir le schéma du cœur ci-contre). Les formes d’IC qui touchent initialement le VD sont beaucoup plus rares.

L’insuffisance cardiaque ventriculaire gauche (ICVG)

L’ICVG à fraction d’éjection réduite (ou systolique)

L’IC systolique est la plus fréquente. Elle représente 60 % des IC gauches. Elle s’accompagne d’une diminution de la contraction du VG. Celle-ci est mesurée par la baisse de la fraction d’éjection ventriculaire (FEV) (1), qui correspond à la baisse du volume de sang éjecté dans la grande circulation à chaque contraction du VG. La FEV est normalement supérieure à 50 %. On considère qu’elle est insuffisante lorsqu’elle est inférieure à 40 %. Dans les IC sévères, elle peut chuter autour de 20 % (2).

L’ICVG à fraction d’éjection préservée (ou diastolique)

Elle est caractérisée par une diminution du remplissage du VG. Elle touche plutôt les personnes âgées, les femmes et/ou les sujets qui présentent une fibrillation auriculaire (trouble contractile de l’oreillette gauche) (2).

Les mécanismes qui président à la diminution de la contraction ou du remplissage du VG sont liés au remodelage ventriculaire. Ce terme caractérise les modifications de la géométrie et de la fonction du VG, secondaires à l’IC. À l’état normal, lorsque le VG se dilate (diastole), l’épaisseur de ses parois mesure 1 cm. L’IC engendre un remodelage du ventricule qui s’épaissit, se rigidifie, prend une forme sphérique et perd en volume et en contractilité. Il est donc convenu de dire que le remodelage ventriculaire est la base anatomique et histologique de l’IC.

L’insuffisance cardiaque ventriculaire droite

Les IC droites sont en général secondaires à des maladies broncho-pulmonaires ou la conséquence évolutive d’une insuffisance ventriculaire gauche. Lorsqu’elle est associée à une IC gauche, l’IC est dite « totale ».

ÉPIDÉMIOLOGIE

La prévalence de l’IC en France est estimée entre 1 et 3 % de la population, soit environ 1,5 million de malades. Souvent associée au grand âge (10 % des Français âgés de plus de 75 ans sont atteints d’IC), elle peut aussi toucher l’enfant, l’adulte jeune et la femme enceinte. Le nombre de nouveaux cas serait compris entre 0,5 et 1 % par an (1). Cette incidence est stable, mais plus fréquente avec l’avancée en âge. L’IC est la première cause d’hospitalisation des personnes âgées de plus de 65 ans. Les études nord-américaines estiment que la prévalence de l’IC aura augmenté de 50 % en 2030 par rapport aux données 2012 (1). Cette augmentation est liée au vieillissement de la population et au fait que toutes les maladies cardiovasculaires qui peuvent être en cause dans la survenue de l’IC sont aujourd’hui beaucoup mieux soignées. À titre d’exemple, la mortalité de l’infarctus du myocarde aigu a été divisée par deux en l’espace d’une vingtaine d’années. Ces malades vivent donc plus longtemps mais se compliquent beaucoup plus souvent d’IC. C’est un peu le revers de la médaille du succès de la cardiologie aiguë. Par ailleurs, 10 % des patients atteints d’IC présentent une forme grave.

CAUSES ET FACTEURS DE RISQUE

Généralités

L’étiologie de l’IC est extrêmement variée. Parmi toutes les maladies cardiovasculaires qui peuvent être responsables d’IC, les deux causes principales sont l’infarctus du myocarde (étiologie cardiaque) et l’hypertension artérielle (étiologie circulatoire). C’est la raison pour laquelle il est important de rappeler que les facteurs de risque cardiovasculaire (voir l’encadré p. 34) sont aussi les facteurs de risque de l’IC. De nombreuses maladies respiratoires peuvent également contribuer à l’apparition d’une IC (étiologie respiratoire). Dans certains cas, aucune cause n’est identifiée. C’est notamment le cas de certaines cardiomyopathies dilatées dites « idiopathiques » ou « essentielles » dont on n’explique pas la survenue.

Étiologies cardiaques

Les cardiopathies ischémiques

Elles représentent environ 50 % des causes d’IC (1). L’IC peut être consécutive à des lésions irréversibles d’une partie du muscle cardiaque, provoquées par un infarctus du myocarde qui prive transitoirement le cœur d’oxygène. Une cardiomyopathie diabétique, initialement caractérisée par une dysfonction diastolique, peut également conduire à une IC de mauvais pronostic. Son dépistage précoce est nécessaire pour assurer une prise en charge efficace par une équipe réunissant cardiologue et diabétologue (3). De même, des lésions chroniques engendrées par la présence d’athérome dans les artères coronaires (angine de poitrine ou angor, par exemple) peuvent empêcher l’alimentation correcte du cœur en oxygène et causer des lésions favorisant le développement d’une IC. Lorsqu’elle n’est pas liée à une atteinte des coronaires, elle résulte d’un affaiblissement primitif du cœur pour lequel on trouve rarement d’explication. Dans la majorité des cas, l’IC systolique est ischémique.

Valvulopathies

Si les valvulopathies d’origine rhumatismale causées par des rhumatismes articulaires aigus (RAA) ont aujourd’hui quasiment disparu dans les pays occidentaux - car les angines streptococciques à l’origine des RAA sont traitées efficacement (1) -, en revanche, les valvulopathies dégénératives (liées au vieillissement du cœur) progressent (4) en raison du vieillissement de la population. Elles se manifestent soit par un rétrécissement de la valve freinant le passage du sang (rétrécissement valvulaire aortique par exemple), soit par un manque d’étanchéité entraînant un reflux du sang en sens inverse (insuffisance mitrale) et obligeant le muscle cardiaque à augmenter les volumes qu’il doit éjecter pour assurer l’alimentation en sang de l’organisme (5). Progressivement, les efforts produits par le cœur pour compenser ces défaillances épuisent le muscle cardiaque, le cœur gauche puis le cœur droit n’assurent plus correctement leur fonction de pompe, ce qui peut entraîner à distance une IC globale.

Les troubles du rythme cardiaque

Les arythmies, lorsqu’elles ne sont pas prises en charge médicalement, peuvent être à l’origine d’une IC.

Les malformations cardiaques congénitales et les cardiomyopathies génétiques

Grâce à l’évolution de la médecine, aux progrès de la chirurgie cardiaque et de la génétique, les patients atteints de malformations cardiaques congénitales et de cardiomyopathies génétiques (cardiomyopathie hypertrophique familiale par exemple) n’en meurent plus, car ces maladies sont mieux dépistées et prises en charge. Toutefois, à distance, ces patients développent plus volontiers une IC du fait de leur fragilité cardiaque initiale.

Les cardiomyopathies infectieuses et toxiques

Des maladies infectieuses principalement virales (sida, grippe, parvovirus, virus coxsackie par exemple), les traitements du cancer (chimiothérapies cytotoxiques, radiothérapie du thorax dans le cancer du sein), l’alcoolodépendance et l’addiction à la cocaïne peuvent altérer le fonctionnement du muscle cardiaque et entraîner à terme une IC. Les cardiomyopathies infectieuses d’origine virale touchent en général des sujets jeunes. Elles peuvent soit totalement guérir, soit être graves et justifier une assistance cardiaque, un cœur artificiel ou une greffe cardiaque immédiate, soit évoluer de façon chronique vers une IC (1).

Étiologie circulatoire

Dans plus de 30 % des cas, l’IC est consécutive à une hypertension artérielle (HTA) mal contrôlée par les traitements (1), qui oblige le cœur à pomper plus fort pour faire circuler le sang. À distance, cet effort engendre une fatigue du muscle cardiaque. Par ailleurs, l’HTA altère la qualité de fonctionnement des artères (en particulier coronaires) en réduisant leur capacité à se dilater lorsque la demande en oxygène augmente. Ces deux phénomènes combinés contribuent au développement de l’IC. L’HTA est la première cause de l’IC diastolique (2).

Étiologie respiratoire

L’emphysème, la bronchite chronique, l’embolie pulmonaire peuvent contribuer à l’apparition d’une IC en altérant la bonne circulation du sang dans les poumons et en obligeant le ventricule droit à redoubler d’efforts pour assurer un apport suffisant en oxygène aux différents organes.

Étiologies particulières

Rare mais possible, la cardiomyopathie du péripartum mérite d’être connue, car elle touche des femmes jeunes indemnes de toute maladie et qui, au décours du troisième trimestre de leur grossesse ou en post-partum, développent une IC brutale potentiellement grave. Par ailleurs, certaines myocardites peuvent être d’origine auto-immune. Dans ce cas, l’atteinte inflammatoire du myocarde par des autoanticorps aboutit à une altération réversible ou non de la fonction myocardique.

SYMPTÔMES

Les symptômes majeurs dont se plaignent les patients sont :

→ l’essoufflement (dyspnée) ;

→ la fatigue (asthénie).

« Ces symptômes fonctionnels sont très fréquents mais très peu spécifiques, souligne le Pr Desnos, cardiologue à l’hôpital Marie-Lannelongue du Plessis-Robinson. Il en est de même de certains signes cliniques tels que les œdèmes des membres inférieurs, qui constituent un symptôme très souvent corrélé à une IC droite mais peuvent être l’expression de nombreuses autres pathologies locales ou générales. » Le manque de spécificité des symptômes fonctionnels et physiques explique qu’un certain nombre d’IC passent inaperçues et ne sont dépistées que tardivement par des moyens cliniques ou paracliniques. Il est donc important de ne pas considérer ces symptômes isolément mais de les apprécier au regard des éléments de contexte afin de réunir, le plus précocement possible, un faisceau d’arguments en faveur de l’IC. Par exemple, une patiente essoufflée qui est traitée par radiothérapie et chimiothérapie pour un cancer du sein doit évoquer un risque d’IC. De même, face à un patient diabétique, hypertendu, qui a fait un infarctus du myocarde ou qui cumule plusieurs facteurs de risque cardiovasculaires en plus des symptômes fonctionnels et physiques, le contexte permet d’évoquer une possible IC dont le diagnostic doit être confirmé ou infirmé par une auscultation clinique et un bilan paraclinique approfondis (1).

DIAGNOSTIC CLINIQUE ET PARACLINIQUE

Auscultation

L’auscultation peut d’emblée donner des indications diagnostiques. Une IC gauche peut être suspectée en présence d’une tachycardie (cœur rapide à plus de 100 battements par minute) associée à des râles crépitants à la base des poumons, pouvant traduire une mauvaise irrigation des poumons consécutive à une défaillance ventriculaire gauche (1). De même, une IC droite peut être évoquée en présence d’un œdème des membres inférieurs (6), d’un foie gonflé et douloureux (hépatomégalie) et d’une turgescence des veines jugulaires au niveau du cou résultant de l’augmentation des pressions causée par l’IC à l’intérieur du cœur et du système vasculaire (1).

Examens paracliniques

L’examen clinique doit être complété d’un électrocardiogramme (ECG). Celui-ci présente quasi systématiquement des anomalies qui ne sont pas spécifiques de l’IC mais de la maladie causale (infarctus du myocarde, aspect ECG de « cœur droit », microvoltage diffus par exemple). En cas de suspicion importante d’IC à l’issue de ce premier bilan (interrogatoire + examen clinique + ECG), la démarche de confirmation diagnostique repose sur la réalisation d’une échocardiographie doppler (ECD) et d’un dosage des biomarqueurs BNP (peptide natriurétique de type B).

L’échocardiographie doppler

C’est l’examen de choix pour confirmer une IC. Non invasif, indolore et sans effets secondaires, il permet de contrôler la taille et le fonctionnement du cœur (oreillettes et ventricules) et d’apprécier au mieux le remplissage, l’éjection, le travail des valves et l’état des différentes cavités, en particulier du ventricule gauche (VG). Dans la majorité des cas, l’examen révèle un VG dilaté qui se contracte moins bien. Parfois, l’ECD permet d’orienter le diagnostic vers une étiologie particulière. Par exemple, l’akinésie (absence de contraction) d’une zone du VG permet d’objectiver un antécédent d’infarctus myocardique. Au-delà de son intérêt pour établir le diagnostic positif de l’IC et éventuellement le diagnostic étiologique, l’ECD sert également à évaluer le retentissement et la gravité de l’IC en mesurant les pressions pulmonaires. Une HTA pulmonaire constitue un signe de gravité et un facteur de moins bon pronostic. L’examen permet enfin de contrôler l’évolution de l’IC une fois le traitement instauré.

Le dosage des biomarqueurs BNP

Le peptide natriurétique de type B est une hormone sécrétée par certaines cellules du muscle cardiaque en souffrance. C’est le premier marqueur biologique spécifique de l’IC. Sa découverte, il y a une vingtaine d’années, a complètement éclairé le diagnostic positif de l’IC, notamment aux urgences lorsque les patients arrivent avec une forme aiguë d’IC associée à une dyspnée sévère. Dans ce cas, il n’est pas toujours facile de différencier un œdème aigu du poumon lié à l’IC d’une maladie pulmonaire. Le BNP élevé permet de déterminer si l’on est en présence d’une IC. S’il est bas, la cause de l’essoufflement est ailleurs et justifie des investigations respiratoires plus approfondies. Le dosage du BNP s’accompagne d’un bilan biologique standard comprenant, entre autres, NFS, ionogramme, créatinine et bilan hépatique.

Les examens complémentaires

Une radio de thorax peut être prescrite pour connaître la taille du cœur, vérifier si l’IC a un retentissement sur les poumons (des images floconneuses des deux côtés confirment une insuffisance cardio-respiratoire aiguë) et éliminer une maladie pulmonaire (bronchite, cancer…) à l’origine de l’essoufflement et de la fatigue. Les autres examens susceptibles de compléter le bilan sont la coronarographie (radiographie des artères coronaires après injection), le cathétérisme cardiaque (permet de mesurer les pressions et le taux de saturation en O2 du sang dans les cavités cardiaques) et le test d’effort (mesure l’intensité de l’effort que le cœur est capable d’accomplir).

Évaluation de la sévérité de l’IC

Bien que la sévérité des symptômes soit mal corrélée à l’altération de la fonction ventriculaire gauche, son évaluation présente l’intérêt de pouvoir apprécier la qualité de vie des patients à travers la limitation de l’activité imposée par les symptômes (7). La sévérité de l’IC est généralement évaluée par les quatre stades fonctionnels de la classification de la New York Heart Association (NYHA) (voir l’encadré).

ÉVOLUTION

Évolution naturelle

Dans la majorité des cas, en dehors des causes dont le traitement permet de stabiliser, voire de restaurer, peu ou prou la fonction cardiaque (troubles cardiaques alcoolo-induits, dysthyroïdies, correction chirurgicale d’une valvulopathie par exemple), l’IC s’aggrave de manière progressive et plus ou moins rapide. Pendant la phase initiale de développement de la maladie, le cœur s’adapte. Il compense l’effort à fournir en fonctionnant plus rapidement et/ou en s’épaississant. Les symptômes de l’IC sont peu ou pas visibles. Ensuite, la maladie évolue souvent de façon discontinue et par paliers en fonction de la maladie causale, du contexte général, de la précocité ou non de la prise en charge thérapeutique, et de la qualité de l’observance des traitements et de la surveillance des patients. Plus que la clinique, l’échocardiographie permet de suivre l’évolution de l’IC en objectivant le remodelage ventriculaire gauche (taille et fonction du VG).

Complications, pronostic

L’IC retentit également sur tous les organes qui, moins bien perfusés, manquent d’oxygène (hypoxie) et peuvent dysfonctionner. Elle est très souvent associée à une dégradation progressive de la fonction rénale (insuffisance rénale), de la fonction pulmonaire (œdème aigu du poumon) et des fonctions hépatiques. Elle peut également se compliquer d’une atteinte musculaire périphérique au repos et à l’effort, qui engendre fatigue et intolérance à l’exercice. L’IC sévère peut avoir un retentissement sur les fonctions cérébrales, entraînant des troubles des fonctions supérieures et un dérèglement du système électrique du cœur, responsable d’arythmies (fibrillation auriculaire, tachycardie ventriculaire ou fibrillation ventriculaire). Ces complications participent des principaux critères de mauvais pronostic de l’IC (voir l’encadré ci-contre). En l’absence de traitement adapté, les troubles rythmiques ventriculaires graves constituent la première cause de mortalité par mort subite de l’IC (1). La deuxième cause de mortalité est liée à l’aggravation inéluctable de l’IC, qui se traduit par un tableau de grande défaillance cardiaque et polyviscérale et une atteinte de l’état général majeure chez des patients réfractaires à toute thérapeutique.

PRISE EN CHARGE

Objectifs

La prise en charge de l’IC vise à réduire, voire à faire disparaître les symptômes, améliorer la qualité de vie des patients, ralentir la progression de l’IC, éviter les décompensations et diminuer la morbi-mortalité et les hospitalisations par la prévention des épisodes d’IC aiguë et des autres complications. La prise en charge s’attache à traiter la maladie causale lorsqu’elle est identifiée (revascularisation d’une artère par pontage ou stent, prescription d’une statine ou d’un anticoagulant, traitement chirurgical d’une valve, sevrage alcoolique…). Le traitement spécifique de l’IC associe des mesures hygiénodiététiques (voir Savoir-Faire p. 42) et des médicaments dont l’efficacité est directement corrélée à l’observance rigoureuse du protocole thérapeutique mis en place pour chaque patient. Il nécessite un accompagnement éducatif dans la durée, qui implique largement les Idels à domicile (voir Savoir-faire p. 40). Ce rôle est d’autant plus important que seulement 10 % des patients à ICVG à fraction d’éjection réduite (FER) peuvent bénéficier d’une réadaptation cardiaque (voir l’encadré p. 39) dans un centre spécialisé (8) permettant, au-delà du reconditionnement physique, d’optimiser la prise en charge globale et l’éducation thérapeutique (9).

Les traitements médicamenteux

« Ils comprennent des médicaments très actifs sur les symptômes fonctionnels et des traitements anti-remodelage (traitements de fond) qui ont un rôle plus modéré sur les symptômes mais agissent efficacement sur la morbi-mortalité de l’IC en ralentissant sa progression, en évitant les décompensations et en aidant, dans certains cas (IC primitives notamment), la récupération de la contractilité cardiaque », explique le Dr Céline Goeminne, cardiologue spécialisée dans l’IC (CHU de Lille, Institut Cœur-Poumon) (10).

Les traitements symptomatiques

Lorsque le patient est symptomatique (essoufflement, œdème), la prescription de diurétiques (bumétanide, furosémide, hydrochlorothiazide) permet d’éliminer et de prévenir secondairement la rétention d’eau et de sel responsable des symptômes. Ces traitements améliorent considérablement la qualité de vie des patients (ils sont moins essoufflés, moins fatigués et plus tolérants à l’effort), mais nécessitent une surveillance biologique du taux de potassium, voire une supplémentation en potassium, car ils peuvent entraîner l’élimination de ce sel minéral indispensable au bon fonctionnement du cœur. Les diurétiques ne permettent ni de stabiliser le cœur ni de l’aider à récupérer, et doivent être systématiquement associés à un traitement de fond anti-remodelage.

Les traitements de fond

Deux classes de médicaments anti-remodelage permettent de limiter la dilatation et la baisse de contractilité du VG : les bétabloquants et les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone.

Les bétabloquants (BTB)

Ils mettent le cœur au repos en le ralentissant et en facilitant son travail, ce qui diminue ses besoins en oxygène et l’aide à récupérer (10).

Les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone

Dans l’IC, un certain nombre de systèmes neuro-hormonaux sont stimulés. Initialement bénéfique, cette stimulation va devenir secondairement délétère au niveau des reins et favoriser la rétention hydrosodée. Les médicaments anti-remodelage vont avoir pour but de bloquer ces systèmes neuro-hormonaux. Ils comprennent :

→ les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) : ils assouplissent et dilatent les vaisseaux et les artères, limitent le travail du cœur et favorisent l’éjection du sang (10) ;

→ les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA2) : ils agissent selon le même principe que les IEC et sont utilisés en alternative aux IEC lorsque ces derniers ne sont pas bien tolérés ;

→ les antialdostérones : lorsque le patient reste symptomatique, ils sont ajoutés soit aux IEC, soit aux ARA2 afin de majorer l’effet au niveau des reins, car ils ont également un effet diurétique (10).

Stratégie thérapeutique

En première intention, le traitement anti-remodelage repose sur l’association BTB + IEC commencés à petites doses et progressivement augmentés pour atteindre la dose maximale optimale. Ces traitements imposent de contrôler la fréquence cardiaque, la tension artérielle, le ionogramme sanguin et la fonction rénale, car ils font baisser la tension artérielle et peuvent aggraver la fonction rénale (1). Si le patient présente une intolérance aux IEC (toux chronique, réaction allergique), ceux-ci sont remplacés par les ARA2, et si les symptômes persistent alors que les médicaments sont pris régulièrement et à bonne dose, que le malade est bien surveillé et la prise en charge globale, bien adaptée, le traitement peut être complété par un antialdostérone. Enfin, lorsque cette stratégie n’apporte pas satisfaction, un nouveau traitement (Entresto) composé de sacubitril (premier représentant de la nouvelle classe des inhibiteurs de la néprilysine) et de valsartan (ARA2) peut être prescrit en remplacement de l’IEC. Ce traitement est particulièrement efficace dans l’IC chronique symptomatique à FER. « Les études montrent un bénéfice en termes de réduction des réhospitalisations et une amélioration symptomatique des patients atteints d’une IC sévère, confirme le Dr Goeminne (10).

Néanmoins, ce traitement peut être associé à des effets secondaires importants (hyperkaliémie, insuffisance rénale, hypotension notamment). Il doit donc être étroitement surveillé pour en optimiser les bénéfices. » Lorsque les traitements médicamenteux, malgré leur optimisation, ne suffisent pas, d’autres réponses techniques ou chirurgicales sont envisageables.

Les dispositifs électriques

Le défibrillateur automatique

Lorsque la fraction d’éjection n’est pas médicalement stabilisée au-dessus de 35 % et que le patient conserve une fréquence cardiaque trop basse, le risque de mort subite est important. « Dans ce cas, poursuit le médecin, nous proposons la pose d’un défibrillateur automatique (DAI) en prévention primaire chez les patients qui n’ont jamais fait d’événement rythmique. On le propose également en prévention secondaire, et quelle que soit la fraction d’éjection, chez les patients ayant des troubles du rythme avérés (tachycardie ventriculaire par exemple) ou ayant déjà fait un arrêt cardiaque (10). »

La resynchronisation cardiaque

Elle a pour but de resynchroniser la contraction du cœur chez les patients dont le tracé électrocardiographique montre un bloc de branche gauche complet, c’est-à-dire des anomalies de la conduction électrique traduisant une désynchronisation de leur cœur. La resynchronisation permet de rétablir et synchroniser la conduction des voies électriques entre les parois du ventricule pour optimiser l’éjection du sang vers les organes à drainer. À cet effet, un pacemaker multisite doté de trois sondes raccordées à l’oreillette droite, au ventricule droit et au ventricule gauche envoie un flux électrique qui permet à toutes les parois de se contracter de manière synchrone.

« Lorsqu’on a une indication de défibrillateur, on se pose toujours la question de savoir s’il faut envisager une resynchronisation dans le même temps, ce qui permet de coupler défibrillateur et pacemaker dans le même boîtier », commente le Dr Goeminne (10).

La chirurgie

C’est le traitement de l’IC terminale, lorsque le patient déjà appareillé d’un dispositif électrique n’est toujours pas stabilisé. Dans ce cas, la seule alternative est le remplacement du cœur. Il peut être envisagé soit par transplantation cardiaque (médiane de survie treize ans), soit par cœur artificiel (CA), en alternative à la greffe chez les patient non éligibles à la transplantation ou en attente de greffe. Il existe différents cœurs artificiels :

→ les CA qui n’assistent que les parties gauches du cœur et sont indiqués chez les patients dont le ventricule gauche est très abîmé (à la suite d’un infarctus par exemple) mais dont le ventricule droit fonctionne bien (10). Ces pompes (11), placées à l’intérieur du thorax à la pointe du ventricule gauche, sont chargées d’aspirer le sang et de le réinjecter au niveau de l’aorte. Quel que soit le type de pompe, elles sont alimentées par un câble qui sort du thorax et qui est connecté à des batteries. Les patients ont douze à dix-huit heures d’autonomie et vivent normalement sans bruit. Actuellement, le recul disponible permet d’estimer la survie avec cet appareillage entre cinq et dix ans (10). Les patients sont enregistrés sur la liste d’attente des greffes cardiaques mais ne sont pas prioritaires ;

→ les CA qui suppléent les deux ventricules : la machine remplace le cœur, à l’instar du cœur Carmat (implanté définitivement) ou du SynCardia (implanté temporairement chez les patients prioritaires pour la greffe en attente de greffon). C’est le traitement ultime de l’IC.

(1) Entretien avec le Pr Michel Desnos, cardiologue à l’hôpital Marie-Lannelongue du Plessis-Robinson.

(2) Insuffisance cardiaque chronique, EurekaSante, mars 2019 (consulter le lien bit.ly/EurekaSante).

(3) B. Bauduceau, L. Bordier, X. Chanudet, Cardiomyopathie diabétique, EMC Cardiologie, Elsevier-Masson, 2012 (consulter le lien bit.ly/em-consultecardiomyopathie).

(4) Les valvulopathies dégénératives (VD) représentent 50 à 80 % des valvulopathies en France. La plus fréquente est le rétrécissement aortique. Les VD touchent 2 % d la population adulte, mais 10 à 15 % des patients de plus de 75 ans (consulter le lien bit.ly/FedeCardio-valvulopathies).

(5) Fédération française de cardiologie, L’insuffisance cardiaque (consulter le lien bit.ly/FedeCardio-IC).

(6) L’œdème chez l’insuffisant cardiaque résulte de la conjonction de la baisse du débit sanguin occasionnée par le dysfonctionnement du cœur et de différents phénomènes hormonaux qui entraînent l’activation d’un système favorisant la rétention d’eau et de sel.

(7) Haute Autorité de santé, Guide du parcours de soins, Insuffisance cardiaque, juin 2014 (consulter le lien bit.ly/HAS-IC).

(8) Il existe actuellement 140 centres de réadaptation cardiaque dont la liste est disponible dans l’annuaire des centres de la Société française de cardiologie (consulter le lien bit.ly/sfcardio-annuaire).

(9) Entretien avec le Dr Marie-Christine Iliou.

(10) Entretien avec le Dr Céline Goeminne

(11) Heartmate, Heartware, Jarvik 2000 (consulter le lien bit.ly/GERS-assistances-respiratoires).

Rappel du fonctionnement du cœur

Coupe du cœur

→ Le sens du courant sanguin est indiqué par des flèches.

Facteurs de risque d’insuffisance cardiaque (IC)

Au-delà des facteurs de risque spécifiques (IC d’origine toxique, virale ou congénitale notamment), les facteurs qui augmentent le risque d’IC sont les facteurs de risque cardiovasculaires communs à toute la population (1) :

→ l’âge : plus de 50 ans pour un homme, plus de 60 ans pour une femme ;

→ les antécédents familiaux : infarctus ou mort subite chez un parent de premier degré (avant 55 ans chez un parent masculin, avant 65 ans chez un parent féminin) ou AVC avant 45 ans quel que soit le sexe du parent ;

→ le cholestérol : un taux de cholestérol LDL supérieur à 1,60 g/L ou un taux de cholestérol HDL inférieur à 0,40 g/L ;

→ l’usage du tabac (ou son arrêt depuis moins de 3 ans) ;

→ le diabète ;

→ la sédentarité ;

→ l’obésité abdominale ;

→ l’abus d’alcool ;

→ une alimentation trop riche en sel.

La classification NYHA

Cette classification propose quatre niveaux de sévérité croissante à partir des signes fonctionnels rapportés par le patient.

→ Stade 1 : patient asymptomatique qui ne se plaint de rien. Pas de symptôme ni de limitation des activités physiques ordinaires.

→ Stade 2 : patient gêné modérément dans la vie courante. Patient à l’aise au repos, mais l’activité ordinaire entraîne une fatigue, des palpitations, une dyspnée qui limitent modérément ses activités.

→ Stade 3 : patient gêné dans les efforts de la vie courante. Patient à l’aise au repos, mais une activité physique moindre qu’à l’accoutumée provoque des symptômes et des signes objectifs de dysfonction cardiaque.

→ Stade 4 : patient limité sévèrement. Symptômes présents même au repos.

Source : Haute Autorité de santé, Guide du parcours de soins, Insuffisance cardiaque, juin 2014 (consulter le lien bit.ly/HAS-IC).

Les principaux critères de mauvais pronostic de l’insuffisance cardiaque (IC)

→ Grand âge.

→ Cardiopathie ischémique, épisode d’arrêt cardiaque ressuscité.

→ Hypotension.

→ Stade fonctionnel 3 ou 4 de la NYHA.

→ Complexes QRS* élargis, arythmies ventriculaires complexes.

→ Hyponatrémie (Na < 135 mmol/L).

→ Insuffisance rénale stade 4 (DFG** < 30 mL/min/73m2).

→ Fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) très abaissée (< 30 %).

* Le complexe QRS est un indicateur des ondes Q, R et S de l’électrocardiogramme, qui reflète les différentes phases de l’activation du myocarde ventriculaire.

** Débit de filtration glomérulaire. Il permet de mettre en évidence une altération des fonctions glomérulaires rénales.

Source : Haute Autorité de santé, Guide du parcours de soins, Insuffisance cardiaque, juin 2014 (consulter le lien bit.ly/HAS-IC).

Point de vue du spécialiste

Réadaptation de l’IC : une prise en charge globale

Dr Marie-Christine Iliou, spécialiste de la réadaptation cardiaque de l’IC à l’hôpital Corentin-Celton (AP-HP)

Spécifique, la réadaptation cardiaque de l’IC doit tenir compte de la fragilité des patients et du fait qu’ils présentent souvent un important déconditionnement physique consécutif à la fatigue et à l’essoufflement.

« Généralement proposée après une hospitalisation pour décompensation, la réadaptation cardiaque (RC) peut également, conformément aux recommandations (1), être prescrite par les cardiologues libéraux chez des patients qui répondent aux indications (patients en IC classe 2-3 de la NYHA, stables sous traitement médical optimal, quelle que soit la fraction d’éjection du ventricule gauche, ndlr) et ne présentent aucune contre-indication (2). La réadaptation ne se limite pas seulement au reconditionnement physique, mais englobe également l’évaluation du patient, l’optimisation des traitements, la prise en charge psychosociale, la gestion du stress et l’éducation thérapeutique qui doit concerner les aspects pratiques en lien avec la maladie (adaptation des activités physiques, y compris du poste de travail si nécessaire, lecture des étiquettes pour améliorer l’éviction des aliments trop salés par exemple). De nombreuses études ont montré, en particulier pour l’IC à fraction d’éjection réduite (FER) < 40 %, une nette amélioration des capacités d’effort et de la qualité de vie des patients et une diminution significative des réhospitalisations (- 28 %). Par ailleurs, si l’on prend en compte certaines méta-analyses (certains résultats pris isolément ne sont pas probants), on observe une diminution de la mortalité d’environ 10 à 12 %. En 2016, ces données ont conduit les recommandations américaines, européennes et celles de la Société française de cardiologie à placer la RC en grade 1A (grade le plus élevé dans les recommandations), ce qui signifie que tous les patients répondant à l’indication IC à FER devraient en bénéficier.

→ En pratique

Le programme dure de 20 à 40 séances prises en charge par la Sécurité sociale. L’évaluation initiale comporte, entre autres, une échographie cardiaque et une épreuve d’effort cardiopulmonaire (EECP). Cette dernière mesure la VO2max (quantité maximale d’O2 que le corps consomme par minute et par kilo lors d’un effort intense) et permet d’évaluer les capacités maximales d’effort possible pour le patient, le seuil d’adaptation ventilatoire et l’efficience du système pulmonaire, cardiaque et musculaire. Le travail en endurance peut ainsi être personnalisé. Il est pratiqué sur machine (ergomètre) durant 30 à 45 minutes par jour, soit en continu, soit en fractionné, soit en alternant les deux en fonction de chaque patient. En général, un entraînement en résistance (force musculaire) est également proposé deux à trois fois par semaine, dont les exercices sont déterminés après avoir évalué la force de chaque groupe musculaire (biceps, quadriceps par exemple). Les exercices dynamiques, réalisés par groupe musculaire séparément, sont répétés et entrecoupés de phases de repos, sans charge excessive pour le cœur. Il est important d’associer endurance et résistance parce que ces patients sont souvent très « démusclés » (déconditionnés). Cela permet d’activer les fibres de force et les fibres d’endurance. En cas de déficit respiratoire mis en évidence par l’EECP, on ajoute un entraînement respiratoire spécifique. En ce qui concerne l’éducation des patients et de leur famille, de nombreux ateliers d’éducation thérapeutique sont proposés, au cours desquels des mises en pratique et le travail en groupe permettent à chacun de profiter de l’expérience des autres.

Une réévaluation complète est réalisée systématiquement en fin de réadaptation. Il est très important d’objectiver les résultats obtenus, car si l’état du patient ne s’améliore pas après une réadaptation bien conduite, cela constitue un critère de mauvais pronostic. Dans ce cas, un nouveau palier thérapeutique doit être envisagé. En règle générale, l’évaluation finale nous permet de les orienter vers une activité adaptée et qu’ils aiment pratiquer (danse, tai-chi, marche, aquagym…). Des conseils sont prodigués sur la fréquence, le rythme et l’intensité de ces activités à partir d’abaques qui fixent pour chaque activité la dépense énergétique correspondante. Les activités à glotte fermée demandant un blocage (haltérophilie par exemple) et les sports intensifs de haut niveau sont généralement contre-indiqués.

→ Pour les patients âgés

Les patients âgés ont essentiellement une IC à FE préservée. Le principe de la prise en charge est le même, mais l’entraînement en résistance est privilégié, car il est très important de leur redonner de la force musculaire. Les exercices proposés peuvent être reproduits à la maison avec une chaise, des haltères ou une simple bouteille d’eau. Un groupe ministériel est actuellement en cours de réflexion pour trouver des solutions au manque de centres de réadaptation dans le but d’améliorer la prise en charge des patients. Il serait très intéressant que les alternatives envisagées impliquent les acteurs de santé libéraux en coordination avec les hôpitaux et les centres de réadaptation. Ainsi, nous pourrions évaluer les patients et leur confectionner un programme à bas risque qui serait ensuite pris en charge en ville par les kinés ou des Idels formées. »

(1) Haute Autorité de santé, Guide du parcours de soins, Insuffisance cardiaque, juin 2014 (consulter le lien bit.ly/HAS-IC).

(2) Recommandations du Groupe exercice réadaptation sport (GERS) de la Société française de cardiologie concernant la pratique de la réadaptation cardiovasculaire chez l’adulte (consulter le lien bit.ly/sfcardio-readaptation).