L'infirmière Libérale Magazine n° 360 du 01/07/2019

 

ÉTHIQUE

ACTUALITÉ

Caroline Coq-Chodorge  

L’utilisation des « données massives de santé » promet de grandes innovations, mais comporte de grands risques, selon le Comité national consultatif d’éthique.

POUR LA PREMIÈRE FOIS, le Comité national consultatif d’éthique (CCNE) a rendu, le 29 mai, un avis sur les enjeux éthiques des données massives de santé : leur recueil, leur traitement et leur exploitation. Le « big data » désigne « la disponibilité, soit d’un nombre important de données, soit de données de taille importante que seuls les outils du numérique alliant l’algorithme à la puissance de calcul des ordinateurs permettent de traiter efficacement », rappelle-t-il.

Ces données sont de natures très diverses. D’ordre médical, elles sont collectées par les professionnels de santé, les chercheurs ou les administrations, comme l’Assurance maladie. Mais ce sont aussi toutes les données collectées par des acteurs privés, via nos usages numériques, par exemple notre lieu d’habitation, notre âge, nos centres d’intérêt, nos déplacements, notre activité physique, nos achats, etc. Les Gafa (pour Google, Apple, Facebook, Amazon) collectent ainsi une masse de données dans l’intention de les commercialiser directement ou de les valoriser, par exemple en développant de nouvelles applications en santé, toujours dans un but commercial. Toutes ces données, de plus en plus massives, peuvent être croisées entre elles.

La puissance de calcul des algorithmes est en train de brouiller la nature même de ces données, selon le CCNE. « Officiellement, les données de santé sont protégées, explique Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de cassation et membre du CCNE. Mais sur Internet, sur les réseaux sociaux, via des applications commerciales, nous dévoilons beaucoup de données secondaires sur notre état de santé. En croisant ces données secondaires, mondialisées, duplicables à l’infini, on peut obtenir des données de santé. » Jean-François Delfraissy, président du CCNE, le reconnaît : « Le numérique est un langage que l’on ne comprend pas. La transparence du processus est actuellement un leurre. L’anonymisation des données de santé est une notion incertaine. Est-on assuré que cette anonymisation est garantie dans la durée ? » Les progrès du big data obligent à en douter.

Un consentement peu éclairé

Jean-François Delfraissy a évoqué les données collectées par de nombreux hôpitaux, notamment ceux de l’Assistance publique- Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui constitue depuis 2017 un entrepôt des données de santé grâce aux données de ses patients. En 2017, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a donné son accord à la constitution de cette base de données cliniques, dans un but de recherche, jugeant les finalités « déterminées, légitimes et explicites ». Le consentement des patients est cependant peu éclairé : une simple mention de l’utilisation des données, en petits caractères, est indiquée au bas des communications médicales. « Le directeur général, Martin Hirsch, a assuré que ces données ne seront pas commercialisées, rapporte Jean-François Delfraissy. Mais l’AP-HP reçoit beaucoup de demandes d’achat : cette position est-elle tenable à long terme ? » Chercheuse à l’Inserm, Laure Coulombel donne un autre exemple, celui des données collectées lors d’une mammographie : « On peut donner son accord à leur utilisation dans des buts de recherche, mais elles peuvent être partagées et réutilisées à d’autres fins, par exemple pour nourrir l’apprentissage d’algorithmes d’intelligence artificielle. Qu’est-ce que la personne comprend de l’utilisation de ces données ? » Et que penser du développement du séquençage du génome et de son utilisation, y compris en dehors du champ médical ? Ces données génomiques vont permettre de développer la prévention et la prédiction des risques. Là encore, les principes éthiques s’entrechoquent : « La prévision des risques en santé pourrait permettre aux assureurs de maîtriser les coûts, mais menace aussi le secret médical », explique Pierre Goyon-Delmas. Au final, le CCNE ne veut pas « adopter une position hostile à ces technologies numériques en raison des risques dont elles sont porteuses, car il serait contraire à l’éthique de ne pas favoriser leur développement si elles peuvent bénéficier à la santé de tous et aider à la rationalisation des coûts ». Mais il pose « deux impératifs : l’exigence d’une information compréhensible, adaptée et loyale concernant le recueil des données, leur conservation, les mesures de sécurité et de confidentialité, et l’intelligibilité de leur traitement », rappelant l’importance d’une « vigilance continue ».