Le glaucome - L'Infirmière Libérale Magazine n° 360 du 01/07/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 360 du 01/07/2019

 

Ophtalmologie

CAHIER DE FORMATION

SAVOIR PLUS

Maïtena Teknetzian  

docteur en pharmacieenseignante en IFSI

Neuropathie optique dégénérative longtemps imperceptible par le patient, le glaucome constitue pourtant la deuxième cause de cécité dans les pays développés après la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

Qu’est-ce que le glaucome ?

Définition du glaucome

→ Le glaucome est une neuropathie optique irréversible qui s’accompagne le plus souvent d’une augmentation de la pression intraoculaire (PIO) liée à un défaut d’évacuation de l’humeur aqueuse.

→ Il en résulte une excavation (creusement) du nerf optique, associée à un rétrécissement du champ visuel, qui, en l’absence de traitement, peut évoluer vers la cécité.

→ Le glaucome reste silencieux pendant dix à vingt ans, d’une part car l’augmentation de la PIO est asymptomatique jusqu’aux environs de 35 mmHg (normale comprise entre 10 et 21 mmHg), d’autre part parce que l’amputation du champ visuel n’est pas perceptible au début.

→ En France, le glaucome concerne environ 1,2 million de patients, dont 400 000 sont non dépistés donc non traités. La prévalence augmente avec l’âge.

Les différentes formes

En fonction de l’angle iridocornéen, on distingue le glaucome à angle ouvert (GAO) et le glaucome par fermeture de l’angle.

→ À angle ouvert :

• le GAO représente 60 à 80 % des cas en Occident et en Afrique. L’atteinte est le plus souvent binoculaire et asymétrique. Il apparaît insidieusement et est souvent découvert fortuitement lors d’un examen ophtalmologique de routine ;

• il peut être primitif ou secondaire à une rétinopathie diabétique ou iatrogène (induit par un traitement prolongé par corticoïdes) ;

• les principaux facteurs de risque sont l’âge et l’hypertonie intraoculaire. Les autres sont une forte myopie, les antécédents familiaux, l’appartenance à une ethnie à peau noire (trois à quatre fois plus de cas chez les mélanodermes que chez les caucasiens), une épaisseur de cornée fine ;

• le diabète, le tabagisme, l’hypertension artérielle, l’hypothyroïdie, les apnées du sommeil, une pression systolique basse (qui induit une diminution de perfusion des vaisseaux de la tête du nerf optique) sont des facteurs favorisants ou aggravants.

→ Par fermeture de l’angle :

• forme la plus rare en Occident, ce type de glaucome survient sur un œil prédisposé par un angle iridocornéen étroit (ce qui est le cas des hypermétropes). Avec l’âge, le cristallin peut augmenter de volume, pousser l’iris en avant et fermer l’angle iridocornéen. Par ailleurs, sous l’effet d’une dilatation de la pupille provoquée par l’obscurité, le stress, le froid ou des médicaments (anticholinergiques, vasoconstricteurs, collyres mydriatiques), l’iris peut aussi se bomber et s’appliquer contre la cornée, provoquant une fermeture soudaine de l’angle. La tension oculaire augmente alors brutalement de façon importante (> 50 mmHg) ;

• l’œil est rouge et dur comme une bille de bois. Des douleurs oculaires, péri-oculaires, des céphalées éventuellement accompagnées de nausées et vomissements complètent le tableau clinique ;

• la crise aiguë par fermeture de l’angle constitue une urgence ophtalmique absolue : la cécité pouvant survenir en cinq à six heures en l’absence d’instauration d’un traitement ;

• il existe des formes de glaucome chronique par fermeture de l’angle évoluant de façon asymptomatique jusqu’à la crise aiguë ou par fermeture intermittente de l’angle avec hypertonie intraoculaire pendant les crises (céphalées, douleurs oculaires, halos lumineux, sensation de brouillard) ;

• les facteurs de risque sont l’âge, le sexe féminin (quatre fois moins fréquent chez l’homme), une origine asiatique, l’hypermétropie.

Le diagnostic

→ Le diagnostic repose sur la mesure de la PIO par un ophtalmologiste.

→ Cette mesure est complétée par un examen du fond de l’œil et de la papille optique. La tomographie par cohérence optique permet d’évaluer l’importance de la dégénérescence des fibres optiques.

→ La gonioscopie (examen indolore consistant à appliquer une lentille spéciale sur l’œil préalablement anesthésié localement et permettant de mesurer l’angle iridocornéen) permet de définir la forme du glaucome.

→ Enfin, la périmétrie permet de mesurer le champ visuel.

→ Du fait de l’évolution silencieuse et irréversible du GAO, le dépistage et le traitement précoces sont indispensables pour en stabiliser la progression. Une consultation ophtalmologique régulière est ainsi à encourager tous les deux ans à partir de 50 ans, voire dès 40 ans en cas d’antécédents familiaux. Cependant, 20 à 40% des cas restent non dépistés en France.

Comment traiter le GAO ?

L’objectif est de freiner, voire d’arrêter la dégradation du nerf optique pour maintenir la fonction visuelle, prévenir la cécité et préserver la qualité de vie. Les lésions sur les fibres optiques étant irréversibles, le traitement ne permet pas la guérison, mais de stabiliser la maladie. C’est pourquoi son observance est indispensable, même en l’absence de symptomatologie ressentie par le patient.

Le seul traitement ayant prouvé son efficacité sur le ralentissement de l’évolution du GAO consiste à abaisser la PIO.

Stratégie thérapeutique

Plusieurs types de traitements peuvent être utilisés : collyres, laser ou chirurgie.

Le traitement de première ligne repose sur les collyres visant à diminuer la sécrétion d’humeur aqueuse ou à en faciliter l’élimination. Les présentations sans conservateurs sont à privilégier, le chlorure de benzalkonium (agent principal de conservation des collyres) ayant un effet détergent, responsable d’irritation oculaire et aggravant un syndrome d’œil sec, fréquent chez les personnes âgées.

En première intention, il est recommandé d’utiliser une monothérapie par analogues de prostaglandines ou bêtabloquants, classes les plus efficaces sur la réduction de la PIO. En cas de contre-indications, on a recours à un alpha-2 agoniste ou un inhibiteur de l’anhydrase carbonique. Une bithérapie peut être envisagée d’emblée en cas de PIO très élevée et/ou de glaucome avancé. Le traitement est surveillé généralement tous les six mois. S’il s’avère inefficace, il peut être envisagé de changer de classe de collyre, mais on s’appuie souvent sur une bi-, voire une trithérapie.

Les associations fixes de plusieurs principes actifs, ainsi que les formes à libération prolongée (LP) qui permettent de réduire le nombre d’instillations, doivent alors être privilégiées.

En cas d’échec de la trithérapie, on a recours au laser (consistant à réaliser des impacts sur le trabéculum) ou à la chirurgie (qui consiste à perforer le trabéculum ou à l’affiner pour améliorer la résorption de l’humeur aqueuse).

→ Collyres analogues des prostaglandines : les analogues des prostaglandines (bimatoprost, latanoprost, travoprost) représentent actuellement plus de 50 % des monothérapies de première intention du fait de leur meilleure efficacité sur l’abaissement de la PIO. Ils augmentent l’évacuation de l’humeur aqueuse. Leurs effets indésirables locaux sont très fréquents : modification, parfois gênante, de la longueur et de l’épaisseur des cils, assombrissement définitif de la couleur des yeux.

→ Collyres bêtabloquants : les bêtabloquants (bétaxolol, cartéolol, lévobunolol, timolol) diminuent la production d’humeur aqueuse. Les collyres bêtabloquants exposent aux mêmes effets indésirables (fatigue en début de traitement, bradycardie, hypotension, bronchospasme, refroidissement des extrémités, troubles de l’érection, aggravation d’une hypoglycémie) que les bêtabloquants administrés par voie générale, dont ils partagent d’ailleurs les mêmes contre-indications. Leur association à l’insuline, aux antidiabétiques oraux insulinosécréteurs ou aux gliptines nécessite d’informer les patients que certains signes d’hypoglycémie (notamment palpitations et tachycardie) peuvent être masqués, et de leur conseiller de renforcer l’autosurveillance glycémique.

→ Collyres agonistes alpha-2 adrénergiques : les agonistes alpha-2 adrénergiques (apraclonidine, brimonidine) diminuent principalement la production d’humeur aqueuse et (de façon minoritaire) facilitent son évacuation. Les effets indésirables sont essentiellement locaux à type de rougeur et irritation de l’œil, larmoiements et manifestations allergiques oculaires.

→ Collyres inhibiteurs de l’anhydrase carbonique : le brinzolamide et le dorzolamide diminuent la production d’humeur aqueuse. Ils peuvent provoquer une irritation oculaire, des céphalées, une asthénie, des nausées et des dysgueusies (sensation d’amertume), et plus rarement des manifestations d’hypersensibilité sévères du fait de leur structure chimique dérivée des sulfamides.

Comment traiter le glaucome par fermeture de l’angle ?

Le traitement de la crise aiguë du glaucome par fermeture de l’angle repose sur l’iridotomie périphérique au laser (incision de l’iris) après avoir abaissé la PIO par administration intraveineuse d’acétazolamide (Diamox) sous surveillance étroite de la kaliémie, et exercé un effet myotique par l’instillation de pilocarpine. Le deuxième œil doit être traité préventivement.

L’iridotomie au laser peut aussi être utilisée à titre préventif sur des yeux anatomiquement prédisposés à une fermeture brutale de l’angle ou pour traiter les formes chroniques de glaucome par fermeture de l’angle.

Quels conseils donner au patient ?

Nécessité du dépistage et du suivi

→ Encourager les dépistages précoces, car les lésions sur le nerf optique sont irréversibles.

→ Vérifier que les patients diagnostiqués bénéficient d’un suivi ophtalmique régulier (en général bisannuel). S’assurer qu’un renouvellement d’ordonnance de collyre par un généraliste n’occulte pas une consultation ophtalmique nécessaire au suivi du patient.

Modalités d’administration des collyres

→ Pour éviter les oublis, associer l’instillation à un geste quotidien (comme le brossage des dents). Les analogues des prostaglandines s’administrent préférentiellement le soir, et les formes LP de bêtabloquants, le matin.

→ Vérifier que le patient est en capacité de s’auto-administrer le collyre (attention aux douleurs scapulaires et aux tremblements) ou qu’une tierce personne peut l’aider. Certains flacons sont très rigides et difficiles à manipuler par un patient âgé.

À savoir : il existe en pharmacie des applicateurs compatibles avec la plupart des collyres, aidant à maintenir l’œil ouvert et permettant de diminuer la pression à exercer sur le collyre. Certains modèles munis de bras sont intéressants en cas de limitation motrice de l’épaule.

→ Se laver les mains avant l’instillation. Incliner la tête en arrière et tirer légèrement sur la paupière inférieure pour instiller le collyre. Ne pas toucher le globe oculaire avec l’embout. Attendre cinq à dix minutes entre l’instillation de deux collyres.

→ Noter la date d’ouverture sur les boîtes et respecter la durée de conservation après ouverture (de 15 jours à trois mois selon les collyres).

Attention : Xalatan (latanoprost) se conserve à température ambiante, alors que ses génériques et Xalacom (latanoprost + timolol) se conservent au réfrigérateur entre + 2 et + 8 °C avant ouverture (puis quatre semaines à température ambiante).

Prévention des effets indésirables

→ Avec tous les collyres antiglaucomateux, il existe un risque de sécheresse et d’irritation oculaires, pouvant rendre inconfortables les lentilles de contact. Retirer celles-ci avant l’instillation et les remettre 20 minutes après.

→ Pour limiter le risque d’épaississement des cils et d’assombrissement des paupières avec les analogues des prostaglandines, essuyer après l’instillation l’excès de collyre avec une compresse humide.

→ Pour prévenir les effets indésirables systémiques, appuyer avec l’index sur la racine du nez au niveau du sac lacrymal pendant environ une minute après l’instillation, pour empêcher le passage de principes actifs dans la circulation générale.

Physiopathologie du GAO

→ Le glaucome s’accompagne le plus souvent d’une augmentation de la PIO liée à une accumulation de l’humeur aqueuse dans la chambre antérieure de l’œil. C’est un liquide transparent constitué essentiellement d’eau et produit par les corps ciliaires. Normalement, ce liquide rejoint la circulation veineuse en s’écoulant principalement au travers du trabéculum, filtre constitué de mailles de collagène séparées d’espaces vides et situé à la jonction de l’iris et de la cornée.

→ Dans le cas des GAO, le trabéculum se sclérose avec l’âge et devient moins perméable, ou s’obstrue par une multiplication cellulaire anarchique ou par des dépôts de pigments, ce qui empêche la circulation de l’humeur aqueuse.

→ L’accumulation de liquide dans la chambre antérieure de l’œil provoque une hyperpression intraoculaire qui altère la papille optique, provoquant l’excavation du nerf optique.

Glaucome et contre-indications médicamenteuses

→ L’Idel doit contribuer à éduquer le patient à signaler à tout prescripteur potentiel et au pharmacien qu’il souffre de glaucome et à bannir l’automédication. En effet, les corticoïdes peuvent aggraver un glaucome à angle ouvert. Les sympathomimétiques (tels que les dérivés de l’éphédrine antirhume) et les médicaments à propriétés anticholinergiques (comme les antidépresseurs tricycliques, certains neuroleptiques, antiparkinsoniens, antihistaminiques ou anti-émétiques et les médicaments de l’incontinence urinaire) sont contre-indiqués en cas de glaucome (et de risque de glaucome) par fermeture de l’angle, du fait de leur action mydriatique.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.