Les cytochromes P450 - L'Infirmière Libérale Magazine n° 361 du 01/09/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 361 du 01/09/2019

 

Pharmacologie

CAHIER DE FORMATION

POINT SUR

Maïtena Teknetzian  

docteur en pharmacie, enseignante en IFSI

Vaste famille d’enzymes métabolisant les médicaments, les cytochromes P450 ont une activité influencée par la génétique et les interactions médicamenteuses.

Qu’est-ce que c’est ?

→ Les cytochromes P450 (ou CYP450) sont des enzymes catalysant des réactions d’oxydation, présentes notamment dans le foie, les entérocytes et les surrénales, qui métabolisent des substrats endogènes (acides gras, stéroïdes, prostaglandines, leucotriènes, vitamine D…) et les médicaments. Il s’agit de pigments (d’où le P de leur nom) identifiés initialement dans le foie de rat, capables d’émettre un spectre d’absorption à 450 nanomètres (nm) grâce au fer de leur structure chimique.

→ Les différents CYP450 sont nommés par un chiffre arabe désignant leur famille, une lettre majuscule désignant la sousfamille et un second chiffre arabe désignant l’isoforme.

→ Chez l’homme, il existe 57 CYP, dont quatre sont impliqués dans le métabolisme de 90 % des médicaments (CYP1A2, 2C9, 2D6 et 3A4). Le 3A4 est quantitativement le plus important (30 à 50 % des CYP) et métabolise plus de la moitié des médicaments. Le 2D6 ne représente que 2 % des CYP, mais métabolise 30 % des médicaments et transforme la codéine en morphine. Le 2C9 en métabolise 10 % (dont AINS et anticoagulants oraux). Le 1A2 intervient dans le métabolisme de la caféine et de la théophylline.

→ Certaines isoformes font l’objet d’un polymorphisme génétique, en particulier le CYP2D6 (7 % des Caucasiens en sont déficients), ce qui explique une majoration d’effets indésirables chez certains patients (« métaboliseurs lents ») et que la codéine soit moins efficace chez certains sujets.

→ L’activité des CYP peut aussi être modifiée par la prise de médicaments inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques.

Quels sont les effets d’un inducteur de CYP450 ?

→ Les médicaments inducteurs de CYP stimulent la transcription des gènes codant pour la synthèse des CYP. Ils ne sont pas spécifiques d’une isoforme donnée. Sous l’effet d’un inducteur de CYP, le métabolisme des autres médicaments est accéléré. Leur concentration plasmatique diminue et leur effet est en général diminué (à l’exception des prodrogues dont le métabolisme est nécessaire à l’activité). Il faut aussi faire attention à la formation des métabolites toxiques (cas de certains cytotoxiques, isoniazide, paracétamol) (voir le schéma 1).

→ Le mécanisme de l’interaction étant transcriptionnel, elle apparaît progressivement (avec un délai nécessaire à la synthèse protéique) et atteint son maximum en deux semaines environ. De même, l’effet inducteur disparaît progressivement en plusieurs jours après l’arrêt du médicament responsable. L’arrêt de l’inducteur expose à un risque de surdosage. En cas d’interaction découverte alors que l’association a été réalisée, il ne faut pas arrêter l’inducteur sans surveillance clinique et/ou biologique de l’autre médicament.

Et ceux d’un inhibiteur ?

→ Contrairement aux inducteurs, les inhibiteurs sont sélectifs d’une (ou plusieurs) isoforme donnée. Ce sont le plus souvent des substrats de l’isoforme qui interagissent par inhibition compétitive avec un autre médicament métabolisé par la même isoforme.

→ Sous l’effet d’un inhibiteur de CYP, le métabolisme des autres médicaments est diminué et leur concentration plasmatique augmente donc. Leur effet et les effets indésirables sont alors majorés (sauf dans le cas des prodrogues dont l’effet est diminué). Il y a un risque de surdosage, notamment avec les médicaments à marge thérapeutique étroite (antivitamines K, dérivés ergotés, immunosuppresseurs, colchicine…). Dans certains cas, l’interaction peut être mise à profit en thérapeutique (le ritonavir ou le cobicistat sont utilisés pour booster les antirétroviraux) (voir le schéma 2).

→ Du fait de son mécanisme compétitif, l’interaction par inhibition survient rapidement. La persistance de l’interaction après arrêt de l’inhibiteur dépend de sa demi-vie.

Quelles sont les principales substances inductrices de CYP ?

Millepertuis, rifampicine, anti-épileptiques (notamment phénobarbital, phénytoïne et carbamazépine), griséofulvine, certains antirétroviraux (efavirenz, névirapine), tabac et alcool (en consommation chronique).

Et les inhibitrices ?

→ Principaux inhibiteurs du 3A4 : macrolides (sauf spiramycine), antifongiques azolés, inhibiteurs de protéase, cobicistat, amiodarone, vérapamil et diltiazem, jus de pamplemousse…

→ 2D6 : escitalopram, fluoxétine, paroxétine…

→ 2C9 : antifongiques azolés, fluvoxamine…

→ 1A2 : ciprofloxacine, norfloxacine, fluvoxamine…

Des médicaments (comme certains antirétroviraux) peuvent être inhibiteurs et inducteurs.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.

Sources :

Le cytochrome P450 en bref, Petit manuel de pharmacovigilance et pharmacologie clinique, Prescrire, 2011.

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), « Interactions médicamenteuses et cytochromes » (consulter le lien bit.ly/ANSM_Interactions). Société chimique de France, « Cytochrome P450 » (consulter le lien bit.ly/SCF_CYP450). Guegen Y, Ferrari L, Mouzat K, Tissandie E, « Les cytochromes P450 : métabolisme des xénobiotiques, régulation et rôle en clinique », Ann. Biol. Clin. 2006, 64 (6). Collège national de pharmacologie médicale, « Risques des médicaments - Interactions pharmacocinétiques » (consulter le lien bit.ly/Interactions_Pharmacocinetiques).