CAHIER DE FORMATION
SAVOIR FAIRE
En se rendant au domicile de ses patients, l’Idel peut repérer les personnes présentant un risque alcool et les orienter si besoin vers le médecin traitant ou des structures de proximité en addictologie. Acteur clé de la prévention, l’Idel peut également intervenir dans le suivi des patients hospitalisés pour cirrhose ou CHC, pour sonner l’alerte en cas de complications liées à la résection hépatique, destruction de la tumeur par radiofréquence ou chimioembolisation, mais aussi pour surveiller les effets secondaires possibles des thérapies médicamenteuses orales.
Dans le domaine de l’alcoologie, un outil d’aide au repérage systématique des consommations à risque a été développé sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé : Audit (1). Structuré en dix items, l’auto-questionnaire permet, selon le score obtenu, de « repérer une consommation d’alcool à risque qui peut être facilement changée en informant le patient », explique Nicolas Bonnet, directeur du Respadd (réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions). Il s’agit d’ouvrir un dialogue avec des personnes qui ne savent pas qu’elles présentent un facteur de risque. « Celles qui boivent de façon ponctuelle, en fin de semaine par exemple, sans boire une goutte d’alcool les autres jours », souligne Nathalie Bouzats, Idel à Lannemezan (Hautes-Pyrénées), titulaire d’un diplôme universitaire en addictologie et alcoologie. « On peut entrer dans la dépendance sans s’en apercevoir. Souvent, ces personnes pensent que tout va bien, car elles font du sport. Un tel questionnaire peut les aider à prendre conscience du danger de leur comportement avant qu’il ne soit trop tard. »
Reste que dans la pratique quotidienne, les situations sont souvent plus complexes. « Un tiers des personnes ayant un problème avec l’alcool sont dans le déni, avertit Nathalie Bouzats. Elles continuent de boire quoi qu’il arrive. Leur proposer un tel test est impossible. Sinon, vous ne revenez pas le lendemain. C’est donc à nous d’accepter la maladie alcoolique. Tant que vous franchissez la porte, c’est bien. Il y a une présence de soins, une surveillance des complications de la maladie alcoolique. Un autre tiers des patients sont conscients du problème, mais n’arrivent pas à sortir du fléau. Le dernier tiers s’en sort en trouvant une parade pour ne pas retomber dans l’alcool. »
Pour repérer ces patients, l’Idel peut utiliser le test si toutefois elle a réussi à tisser un lien de confiance au fil des visites. « Son rôle est d’autant plus important que la grande majorité des personnes ayant un problème avec l’alcool ne vont jamais chez le médecin, car elles ont peur que leur problème se voie. »
→ L’objectif est celui d’un soin minimal dispensé à des fins motivationnelles à des personnes ayant une consommation à risque ou excessive (score ≥ 7 chez l’homme ou ≥ 6 chez la femme), mais sans dépendance.
→ Durée : 5 à 10 minutes.
1. D’abord, expliquer le risque alcool. Par exemple : « Les études scientifiques montrent que la consommation d’alcool au-delà de deux verres par jour pour les femmes et les hommes en moyenne a des effets négatifs sur la santé comme lorsqu’on a une tension artérielle ou un cholestérol élevé. »
2. Ensuite, rappeler ce que l’on entend par verre « standard » (voir encadré Recommandations) : cela permet d’aider les patients à changer leur représentation sur les alcools dits « forts » ou moins forts.
3. Puis faire le lien entre la consommation d’alcool, les difficultés du patient et les signes cliniques s’il y en a. Pour augmenter sa motivation au changement, on peut demander au patient : « À votre avis, quel bénéfice pourriez-vous tirer d’une réduction de votre consommation d’alcool ? » Ses arguments auront une valeur de conviction bien plus forte que tous les arguments de tous les experts.
4. Proposer ensuite des objectifs en laissant le choix au patient. « Je vous propose que nous réfléchissions pour que vous rameniez votre consommation en dessous des seuils de risque. Qu’en pensez-vous ? » La réponse à cette question est capitale. Si le patient n’est pas prêt à s’engager, ne pas se décourager. L’ambivalence est un phénomène normal devant tout changement de comportement. Insister sur votre disponibilité pour en rediscuter. En revanche, si le patient est prêt à s’engager, il convient de l’aider à fixer un objectif pour réduire sa consommation jusqu’en dessous des seuils de risque. Il faut alors s’accorder sur un plan réaliste comprenant des stratégies spécifiques : par exemple, éviter d’aller « boire un coup » après le travail, quantifier les verres à la maison, choisir les boissons de remplacement.
Pas éviter de susciter des réactions défensives chez ces patients, première règle, surtout ne pas être dans le jugement. Tenir un discours non culpabilisant, sans jamais employer de termes stigmatisants, comme « alcoolique » ou « problème avec l’alcool ».
Autre point important, « ne pas dire au patient : “Ça ne va pas ! Arrêtez l’alcool tout de suite.” La personne peut vous écouter. Elle peut se déshydrater avec un risque d’arrêt cardiaque dans les heures qui suivent », prévient Nathalie Bouzats. Il faut orienter le patient vers le médecin traitant : la moitié des patients alcoolodépendants environ sont dépendants physiquement. Se posera alors la question du sevrage médicalement assisté. Lorsque la situation est complexe, le suivi par une équipe d’addictologie peut être proposé. Il faut absolument préciser au patient que, quoi qu’il arrive, c’est lui qui fixera son objectif et qu’on est juste là pour lui proposer des techniques.
Rappelez au patient l’existence de groupes d’entraide qui sont des moyens de soutien importants. À chaque visite, réévaluez la situation et, si le patient n’a pas atteint son objectif, reconnaissez que le changement est difficile et valorisez les efforts déjà faits. Identifiez avec le patient les obstacles au changement et faiteslui exprimer les liens perçus entre la consommation d’alcool et les difficultés qu’ils rencontrent. En revanche, si le patient a rempli son objectif, maintenez votre soutien en valorisant la poursuite du suivi et la disparition des dommages.
(1) Auto-questionnaire Audit (dépendance à l’alcool) : consulter le lien bit.ly/Autoquestionnaire_Audit).
(2) Avis d’experts relatif à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France organisé par Santé publique France et l’Institut national du cancer (consulter le lien bit.ly/SantePublique France_Avis).
(3) Consommation d’alcool, comportements et conséquences pour la santé, BEH n°5-6, 2019 (consulter le lien bit.ly/BEH5-6_Alcool).
Vous intervenez au domicile de monsieur B., 46 ans, victime d’un accident de moto. Il a subi deux interventions pour réduire une luxation importante de l’épaule, consolider la tête de l’humérus fracturée en six morceaux et rattacher le trochiter. Vous avez été sollicitée pour la cicatrisation des plaies.
Lors de vos visites, vous remarquez des bouteilles d’alcool vides sur la table de la cuisine. Monsieur B. dirige une concession automobile. Actuellement en arrêt de travail, il se fait beaucoup de souci pour l’activité de son entreprise. Il vous en a fait part à plusieurs reprises. Vous décidez d’aborder la question de l’alcool.
Santé publique France et l’Institut national du cancer ont publié le 4 mai 2017 de nouvelles recommandations sur la consommation des boissons alcoolisées.
→ Pas plus de 2 verres* par jour, et pas plus de 10 verres standard par semaine.
→ Des jours dans la semaine sans consommation.
→ Pas d’alcool dans certaines circonstances (femmes enceintes, conduite, prise de certains médicaments, certaines pathologies).
→ Pas d’alcool pour les jeunes et les adolescents.
* Un verre « standard » contient 10 grammes d’alcool pur, quel que soit le type de boisson alcoolisée (vin, bière, apéritif ou alcool fort).
→ Si depuis 50 ans la consommation moyenne d’alcool pur a diminué régulièrement, passant de 26 litres par an et par habitant âgé de 15 ans et + en 1961 à 11,7 litres en 2017 en France (baisse liée à une diminution de la consommation du vin à table), la consommation d’alcool reste malgré tout ancrée dans les pratiques culturelles françaises.
→ On observe une grande hétérogénéité des modes de consommation, notamment selon l’âge. Ainsi, les consommations quotidiennes s’observent essentiellement chez les 65-75 ans (26 %) ; les 18-75 ans étant 10 % à déclarer consommer chaque jour de l’alcool.
→ À l’inverse, les ivresses régulières (au moins 10 au cours des 12 derniers mois) s’observent régulièrement chez les jeunes de 18 à 24 ans et concernent 19,4 % d’entre eux en 2017.
→ Il existe une frange de très gros buveurs, 10 % des 18-75 ans buvant à eux seuls 58 % de l’alcool consommé.
Si les Idels sont en première ligne pour accompagner les patients vers une réduction de l’absorption d’alcool, en matière de prévention et d’éducation à la santé, leur rôle reste limité. De fait, en l’absence de cotation dans la nomenclature, l’Idel n’est pas rémunérée pour son rôle de conseil et de soutien. Si elles agissent, elles le font pour l’heure bénévolement.
41 000 décès étaient attribuables à l’alcool en France en 2015 (30 000 chez l’homme et 11 000 chez la femme). L’alcool est responsable de 11 % des décès par cancer chez les hommes et 4 % chez les femmes (3).