L'infirmière Libérale Magazine n° 361 du 01/09/2019

 

LA VIE DES AUTRES

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Véronique Hunsinger  

Guénaëlle Jégu est cadre de santé au sein de l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, un établissement qui prend en charge des patients présentant un « danger imminent pour la sûreté des personnes ».

Ce n’est pas un commissariat de police. Ce n’est pas non plus un hôpital psychiatrique. L’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (I3P) est un établissement unique en France, qui accueille chaque année, pendant une quinzaine d’heures en moyenne, une file active d’environ 2 000 patients souffrant de troubles psychiatriques et considérés comme « dangereux ». Guénaëlle Jégu en est la cadre de santé depuis 2011, au sein d’une équipe comptant une autre cadre, 26 personnels infirmiers et autant de surveillants chargés de la sécurité des personnes, des biens et des locaux, ainsi que des médecins et des internes en psychiatrie. Bien que située à côté de l’hôpital Sainte-Anne, dans le 14e arrondissement de Paris, l’I3P n’en est pas une dépendance et relève de la tutelle de la préfecture de police dans les locaux de laquelle elle est hébergée. On accède à son étage par un ascenseur sécurisé, et le séjour ne peut excéder 48 heures. Aucune personne ne peut se présenter spontanément à l’I3P pour être prise en charge, il s’agit uniquement de patients dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement effectués à la demande d’un tiers (SPDT) ou plus souvent à la demande d’un représentant de l’État (SPDRE) ou sur décision judiciaire (SDJ). Les patients sont passés auparavant par les urgences médicojudiciaires - pour les gardés à vue - ou les urgences classiques de l’Hôtel-Dieu. « Un avis médical est obligatoire, ainsi qu’un procès-verbal établi par un commissaire de police, explique Guénaëlle Jégu. Nous accueillons des patients qui ont été interpellés dans Paris intra-muros ou dans les zones aéroportuaires d’Orly, Roissy et du Bourget. » Un tiers des patients sont des personnes en situation de grande précarité présentant un danger, les autres sont des gardés à vue dont l’état n’est pas compatible avec le maintien de la mesure pour des raisons psychiatriques. Une équipe entière composée de cinq infirmiers et de cinq surveillants est présente en permanence sur des plages horaires de 13 heures : de 8h à 20h40 et de 20h à 8h40. « Quand une personne arrive, elle est accompagnée par des policiers qui sonnent au rez-de-chaussée, au niveau du sas, et que nous faisons monter par l’ascenseur, raconte Guénaëlle Jégu. À notre étage, l’ensemble de l’équipe se tient prête à l’accueillir. C’est l’infirmier chef d’équipe qui lui explique où elle se trouve, comment va se dérouler son séjour et quels sont ses droits. Il va également vérifier la conformité du dossier d’admission, à savoir le procès-verbal et l’avis médical, puis invite le patient à revêtir un pyjama et à remettre ses effets personnels. Un inventaire tracé est réalisé, et les objets de valeur sont placés au coffre-fort. Le moment du déshabillage est important, car l’infirmier va pouvoir observer d’éventuelles blessures ou douleurs qui pourront être prises en charge. » Un bain ou une douche peuvent également être proposés. Un bilan infirmier classique d’accueil et d’orientation est ensuite réalisé. « À l’issue de cette étape, où le médecin est en observation, le patient est conduit dans le bureau du psychiatre, toujours accompagné d’un binôme infirmier - surveillant », poursuit Guénaëlle Jégu. Après la consultation médicale, le patient est conduit dans l’une des dix chambres d’isolement thérapeutique. « Tout au long du séjour, sera proposé le traitement prescrit par le médecin en fonction de l’état de la personne, décrit la cadre de santé. 70 % des traitements prescrits sont donnés per os, 20 % ne sont pas délivrés n’étant finalement pas nécessaires et seulement 10 % sont donnés par injection en raison du refus du patient. » Le plus souvent, les patients passent la nuit à l’I3P et sont revus le lendemain matin par un médecin qui décide de leur orientation et établit un certificat médical à l’intention du préfet de police. « Cette consultation se déroule également en présence du binôme infirmier - surveillant, indique Guénaëlle Jégu. Cette continuité de la prise en charge permet d’observer les évolutions de l’état clinique du patient, avec généralement des changements assez radicaux, grâce aux soins reçus. » Autant de particularités qui rendent cet exercice infirmier riche mais qui nécessitent aussi des qualités professionnelles singulières. « Il faut beaucoup de sang froid, de l’empathie et une certaine expérience, estime Guénaëlle Jégu. Il faut être capable de prendre du recul sur les faits qui ont amené la personne chez nous, car ils sont parfois abominables. » Soigner sans porter de jugement est certes a base du travail infirmier, mais il peut y avoir des situations où c’est plus difficile. D’où l’avantage de travailler au sein d’une équipe étoffée et expérimentée.

Un service unique en France

L’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police est un dispositif unique en France, qui fonctionne depuis 1872. Le fait que sa tutelle ne soit pas sanitaire est régulièrement critiqué, ce qui été le cas récemment par la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté dans un rapport au mois de mars. « Comme la plupart de mes collaborateurs, je viens de la fonction publique hospitalière, note Guénaëlle Jégu. Nous prenons en charge les patients comme nous le ferions ailleurs. Ici, nous avons à cœur, avec les effectifs dont nous sommes dotés, de dispenser la meilleure qualité des soins et la meilleure prise en charge à des patients qui sont privés de liberté. » Des travaux de rénovation des locaux viennent de s’achever. « Les critiques que nous avons reçues nous ont amenés à réfléchir et à faire évoluer nos pratiques pour faire encore mieux respecter les droits des patients, si tant est qu’ils ne l’étaient pas déjà », explique la cadre de santé. Aujourd’hui, les patients peuvent ainsi prendre leur repas dans les chambres fermées, et la création d’une pièce commune, où les patients les plus calmes pourront se reposer, lire une revue ou prendre une boisson, est à l’étude.

Elle dit de vous !

« J’ai plein de copines Idels. Avant d’être infirmière, j’étais ambulancière, c’est un métier où l’on croise beaucoup d’Idels. Si j’avais débuté le métier plus jeune, je pense que le libéral aurait pu m’intéresser. L’Idel est un maillon indispensable de la chaîne du soin. Elles soignent des patients souvent lourds et elles font énormément de psychologie au quotidien en accompagnant les pathologies chroniques. Je pense qu’avec le virage ambulatoire de la psychiatrie, elles sont également de plus en plus au contact de patients psychiatriques, en plus des patients somatiques qui font déjà partie de leur patientèle et dont certains souffrent aussi de pathologies psychiatriques. »