CAHIER DE FORMATION
SAVOIR FAIRE
« La douleur est une question prioritaire, même si certaines plaies tumorales peuvent ne pas être douloureuses », souligne Chrystel Pluviaux, infirmière en équipe mobile de soins palliatifs à l’hôpital Lyon-Sud. Précisant que « la douleur doit être observée avant, pendant et après le soin ». Ainsi, une douleur ressentie avant que l’infirmière n’ait touché le pansement ou pendant sa réfection, fera différer ou interrompre le soin jusqu’à ce qu’un antalgique ait soulagé cette douleur. Si un antalgique déjà prescrit n’est pas efficace, l’évaluation de la douleur permet au médecin d’adapter le traitement antalgique. Par la suite, le patient et son entourage peuvent être impliqués pour qu’un antalgique efficace soit administré environ une heure avant le soin. Une douleur après la réfection du pansement peut encore être observée. Elle devra aussi être prise en charge. « Si une douleur liée au soin n’est pas soulagée, le patient peut refuser les soins à venir, ou les accepter avec beaucoup de réticences, à intervalles prolongés », rappelle l’infirmière qui exerce en soins palliatifs.
La douleur associée aux plaies tumorales est variable mais peut être très forte dans certains cas. Elle justifie alors un recours à l’ensemble des antalgiques de palier 1, 2 ou 3, ou à une analgésie multimodale associant si besoin des co-antalgiques qui potentialisent l’action des antalgiques ou améliorent le confort du patient en agissant sur les symptômes associés(1). Concernant les soins locaux, à l’instar des autres plaies chroniques, le retrait du pansement est souvent considéré comme un des gestes les plus douloureux. « Si le retrait est douloureux, ne pas hésiter à mouiller abondamment le pansement pour ne le retirer que lorsqu’il se détache facilement, recommande Chrystel Pluviaux, même si cela peut prendre du temps sur des plaies souvent adhérentes. » Sachant que la plupart du temps ces plaies ne cicatriseront pas, l’infirmière peut espacer les renouvellements de pansements si les autres symptômes le permettent, en particulier l’exsudation et l’odeur.
« Les plaies tumorales sont très fréquemment malodorantes sans que cela soit systématique », observe Chrystel Pluviaux. « L’infirmière doit oser parler de l’odeur tout en évitant de mettre mal à l’aise le patient », ajoute l’infirmière qui propose d’évoquer ce symptôme des plaies tumorales par des questions du type : « Est-ce que vous percevez une odeur liée à votre plaie ? Êtes-vous gêné par une éventuelle odeur ? Je perçois une petite odeur en enlevant le pansement, êtes-vous gêné au quotidien ? » « Il arrive que ce soit le patient qui signale une odeur non perçue par l’infirmière », remarque Chrystel Pluviaux, par exemple dans le cas d’une plaie thoracique localisée à proximité du nez du patient. En revanche, « lorsqu’une odeur est évidente, inutile d’interroger le patient sur la gêne occasionnée. Il convient d’adapter le protocole pour tenter d’améliorer cette caractéristique ». Sachant que l’évaluation d’une odeur est subjective et que les cellules sensorielles d’une personne exposée de façon prolongée à une odeur peuvent devenir insensibles et l’empêcher de percevoir cette senteur(2).
« L’évolution de la masse tumorale peut entraîner une hypoxie tissulaire et la formation de nécrose propice au développement de bactéries qui produisent des métabolites volatils malodorants », explique Isabelle Fromantin. Lorsque des odeurs apparaissent sur des plaies chroniques nécrosées autres que des plaies tumorales, le débridement de la nécrose permet, en plus de son objectif de cicatrisation de la plaie, de réduire ou d’éliminer ces odeurs. Dans le cas d’une plaie tumorale, la détersion mécanique, qui est déjà fortement limitée par le risque hémorragique, n’aurait que peu d’effet sur les odeurs car, à la différence des autres plaies, « la nécrose ne se forme pas uniquement à la surface de la plaie mais également au sein du tissu tumoral », précise l’infirmière. Le débridement ne peut donc être effectué jusqu’à une zone saine exempte de nécrose.
« Les pansements au charbon peuvent aider pour des petites plaies peu odorantes mais se montreront insuffisants sur des plaies tumorales avancées », remarque Chrystel Pluviaux. « Ils sont moyennement efficaces et souvent mal utilisés », ajoute Isabelle Fromantin qui signale la commercialisation prochaine d’un pansement à base de cannelle breveté par l’Institut Curie (lire l’encadré ci-dessous).
Les pansements au charbon sont constitués de différents supports auxquels a été ajouté du charbon actif dans le but de fixer les molécules responsables des mauvaises odeurs des plaies (adsorption). La Haute Autorité de santé les recommandent dans l’indication « plaie malodorante, notamment cancers ORL, de la peau ou du sein »(3). Ils sont autorisés à la prescription infirmière et pris en charge par l’Assurance maladie dans cette indication. Exemple de produits : Askina Carbosorb (Lab. B Braun Medical) ou Actisorb (KCI Medical).
« Un pansement au charbon est à la fois adsorbant et absorbant. Il ne doit donc pas être appliqué directement au contact de la plaie au risque d’être rapidement saturé et de ne plus adsorber les gaz », explique Isabelle Fromantin. Ainsi, il devra être placé au-dessus du pansement primaire absorbant, et en quantité suffisante en fonction de l’importance des émanations. La superposition de plusieurs pansements au charbon augmente la surface spécifique d’adsorption, et donc l’efficacité du produit sur une plaie très malodorante(4). Selon ses capacités, le patient pourra gérer lui-même ses pansements au charbon, en ajouter ou les renouveler s’ils perdent leur efficacité à contenir l’odeur de la plaie.
La capacité des antimicrobiens (antibiotiques et antiseptiques) appliqués localement à réduire les odeurs par leur action bactéricide est discutable sur les plaies tumorales, « car les bactéries à l’origine des odeurs ne sont pas localisées uniquement sur le lit de la plaie mais dans l’épaisseur de la masse tumorale », répète Isabelle Fromantin. « Toutefois, ces plaies présentant des anfractuosités, certains produits appliqués en surface peuvent pénétrer un peu le tissu tumoral et avoir un effet relatif », précise l’infirmière de l’Institut Curie.
Leur utilité pour traiter les odeurs reste discutable et demande à être confirmée par des études cliniques(4).
Le métronidazole (Flagyl ou Tibéral réservé à l’usage hospitalier) est un antibiotique actif sur les bactéries anaérobies qui a montré des résultats globalement positifs sur les odeurs(4). C’est l’antibiotique le plus utilisé pour traiter les odeurs des plaies malodorantes.
Les antibiotiques administrés par voie générale ne sont indiqués qu’en cas d’infection avérée. Ils peuvent néanmoins être exceptionnellement utilisés dans le but de contrôler les odeurs, principalement pour les patients en fin de vie, notamment par les services de soins palliatifs(4). Flagyl (per os) et Tibéral (par voie intraveineuse) peuvent être prescrits. Leurs possibles effets indésirables, notamment des neuropathies centrales ou périphériques lors d’une administration prolongée, peuvent remettre en question leur utilisation dans le cadre d’une prise en charge palliative(4).
De nombreux traitements anti-odeurs, conventionnels ou alternatifs, sont parfois employés pour lutter contre les odeurs désagréables des plaies tumorales (aromathérapie, miel, curcuma et chlorophylle…), dont la diversité souligne la grande difficulté à prendre en charge ce symptôme. La gestion de l’odeur reste à ce jour un problème complexe sans solution universelle ou unique(4).
(1) Société françaiseet francophone de plaies et cicatrisation, « Les plaies tumorales », sffpc.org, rubrique Médiathèque.
(2) C. O’Brien, « Plaies cancéreuses. Prise en charge de l’odeur », Canadian Family Physician 58 (3), 2012, pp. 141-143.
(3) Haute Autoritéde Santé, « Les pansements. Indications et utilisations recommandées », avril 2011 (consulterle lien Bit.ly/HAS_Pansements).
(4) Isabelle Fromantin, « Étude de la flore bactérienne dansles plaies tumoralesdu sein : incidence des biofilms bactériens sur l’évolution des plaieset le développement d’odeurs », Thèse de doctorat de l’université de Cergy-Pontoise, décembre 2012.
Vous intervenez chez Mme K., âgée de 54 ans, pour la réfection du pansementd’une métastase cutanée d’un cancer du sein située sur le thorax. L’évolutionde la plaie vers une cicatrisation a été estimée peu probable par le médecin au vude la faible réponse de la patiente aux traitements anti-cancéreux. Mme K. est en cours de chimiothérapie par voie générale. Vous percevez une odeur nauséabondeen vous approchant du pansement et vous remarquez une expression d’embarrassur le visage de Mme K. qui vous dit que la dernière réfection du pansement a été douloureuse.
Vous demandez à Mme K. comment se passent la prise en charge globale de la maladie et les soins de la plaie tumorale en particulier. Vous pouvez évoquer ou pas le problème de l’odeur que vous avez perçue et qui doit être prise en charge. Le pansement retiré, la plaie malodorante présente également un exsudat relativement abondant. Vous pouvez opter pour un hydrocellulaire constitué de polyacrylates mais aussi de cellulose, mieux adapté aux exsudats des plaies tumorales, maintenu si possible par un filet tubulairede maintien adapté à la localisation de la plaie, sous lequel vous glissez plusieurs pansements au charbon en fonction de l’importance des émanations désagréables.Vous expliquez à Mme K. qu’elle peut gérer elle-même ses pansements au charbon, en ajouter ou les renouveler s’ils perdent leur efficacité contre l’odeur de la plaie.
→ AMI4 pour pansements lourds et complexes nécessitant des conditions d’asepsie rigoureuses : pansement pour pertes de substance traumatique ou néoplasique, avec lésions profondes, sous aponévrotiques, musculaires, tendineuses ou osseuses (NGAP, titre XVI, chapitre I, article 3).
→ Majoration de coordination infirmière (MCI) pour une coordination effective dans la prise en charge des plaies complexes.
Chrystel Pluviaux, infirmière en équipe mobile de soins palliatifs à l’hôpital Lyon-Sud.
« Même le patient qui ne veut pas regarder sa plaie est inquiété par cette atteinte violente de son intégrité physique. L’infirmière devra parfois contrôler son comportement lorsqu’elle va retirer le pansement pour la première fois. Il nous arrive de briefer les Idels sur l’aspect parfois impressionnant de la plaie qu’elles vont découvrir. Dans la même idée, les infirmières qui portent un masque doivent expliquer pourquoi elles le font. Si le patient pense que c’est parce qu’il « sent mauvais », cela peut avoir des conséquences délétères sur sa qualité de vie, avec un risque de s’isoler socialement. »
Dr Paul-Henri Cottu, oncologue, chefde département adjoint du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie à Paris.
« Les plaies tumorales sont le site d’une contamination bactérienne importante qui peut aggraver ou générer un phénomène d’odeur extrêmement incommodante qui n’est pourtant pas un tableau infectieux au sens propre. En clinique, le tissu tumoral n’est pas particulièrement sujet aux infections, et les complications infectieuses graves sont rares. Les septicémies ne sont pas plus fréquentes chez les porteurs de plaie tumorale que chez d’autres patients. C’est assez étonnant et pas très bien expliqué. »
→ L’institut Curie a breveté un pansement à base de cannelle qui devrait être commercialisé en 2020. « La cannelle est un adsorbant comme le charbon, explique Isabelle Fromantin. En associant le pouvoir adsorbant et le parfum de la cannelle, Cinesteam est plus efficace contre les odeurs qu’un pansement au charbon. »