CAHIER DE FORMATION
SAVOIR FAIRE
La spécificité de la plaie tumorale, qui fait partie des plaies chroniques, s’accompagne également d’une spécificité en termes de prise en charge. L’infirmière s’attachera à soulager les symptômes de type douleur, odeurou saignements en vue de favoriser le confort et la qualité de vie du patient.
Nettoyer la plaie et assurer une bonne hygiène de la lésion et de sa périphérie est le premier temps du soin. Cette toilette permet(1) :
→ d’améliorer le bien-être du patient ;
→ d’atténuer les odeurs éventuelles ;
→ de prévenir ou de traiter une infection.
→ Si la plaie est située sur un membre, le lavage de la totalité du membre à l’eau savonneuse sera privilégié, si possible en pression (si le patient le supporte), et de préférence avec un savon doux, liquide, sans parfum et sans conservateur. En fonction des capacités du patient, il peut doucher lui-même le membre sous un jet d’eau tiède à faible pression juste avant l’arrivée de l’infirmière à domicile. Si le patient ne peut se déplacer, un lavage à l’eau savonneuse avec une bassine sera plus efficace que les irrigations de sérum physiologique à l’aide d’une seringue, pratiquées en dernier recours, de préférence avec une seringue de 20 mL montée sur une aiguille sous-cutanée.
→ En fonction de son expérience, l’infirmière peut aussi retirer d’éventuelles croûtes à l’aide d’une pince. L’application de vaseline ou de xylocaïne visqueuse (anesthésique local sur prescription) quelques minutes avant le soin permet de prévenir la douleur ou le traumatisme(1). Sachant que le lavage d’une plaie tumorale peut s’avérer complexe et/ou douloureux malgré une antalgie.
→ Comme pour toute plaie, le séchage de la peau périphérique après le rinçage de la plaie est indispensable pour prévenir le risque de macération de la peau périlésionnelle.
Dans le cas des plaies tumorales, l’objectif de la détersion n’est pas de rechercher le bourgeonnement en vue de favoriser le processus de cicatrisation, mais d’éviter une surinfection en retirant les croûtes, ou d’agir sur les odeurs désagréables en retirant une nécrose molle avec prudence et à condition d’avoir une bonne maîtrise des soins sur ce type de plaie.
La détersion mécanique sera le plus souvent évitée car « même la détersion d’une nécrose molle peut provoquer une hémorragie et compliquer le soin », avertit Chrystel Pluviaux, infirmière en équipe mobile de soins palliatifs à l’hôpital Lyon-Sud. « L’objectif du soin est que la plaie ne s’aggrave pas, qu’elle reste propre, et d’éviter une infection », rappelle l’infirmière qui recommande donc d’« éviter les gestes agressifs et de laisser agir les pansements ». Tous les types de pansements peuvent être préconisés en fonction de l’évolution de la plaie, « à l’exception des hydrocolloïdes, trop adhérents sur ce type de plaie », précise Isabelle Fromantin. Quand à la fibrine, elle sera laissée en place, car « elle permet souvent d’éviter les saignements », explique l’infirmière de l’Institut Curie.
Les plaies tumorales peuvent être très exsudatives. Le renouvellement trop fréquent du pansement n’étant pas recommandé pour le confort du patient, l’infirmière peut recourir à l’association de pansements absorbants. Par exemple :
→ un pansement primaire absorbant, un alginate par exemple, qui aura à la fois un effet absorbant et un effet hémostatique en cas de saignements, en plusieurs couches si besoin : Algostéril (Lab. Brothier), Algisite M (Smith & Nephew), Biatain Alginate (Coloplast) ;
→ un pansement secondaire type hydrocellulaire super absorbant ou pansement absorbant stérile non adhésif, encore appelé pansement « américain » : Zetuvit (Hartmann), Vliwazell (Lohmann & Rauscher) ou Mesorb (Mölnlycke Health Care).
Deux types d’hémorragies sont à distinguer concernant les plaies tumorales :
→ les saignements du lit de la plaie, problématiques et difficiles à gérer ;
→ les hémorragies massives liées à l’érosion d’un gros vaisseau par la tumeur.
Hors contexte pathologique, lors du développement d’un tissu ou lors de la cicatrisation, l’angiogenèse consiste en la formation de nouveaux vaisseaux sanguins pour que les nouvelles cellules soient correctement alimentées en oxygène et en nutriments par la circulation sanguine.
En situation de cancer, le développement de la tumeur entraîne l’éloignement des cellules cancéreuses de la circulation sanguine, ce qui ralentit ou stoppe la croissance tumorale. La tumeur acquière alors la capacité de stimuler l’angiogenèse et donne naissance à un réseau vasculaire pour alimenter les nouvelles cellules tumorales. La stimulation de cette angiogenèse fait de la tumeur un tissu vascularisé qui, dans le cas d’une ulcération, n’est pas protégé par la peau et est propice aux saignements spontanés ou provoqués par contact lors des soins (voir les schémas ci-contre).
Composés de polymères d’acides alginiques obtenus à partir d’algues, les alginates sont le traitement classique des suintements hémorragiques continus. En cas de saignements plus importants, les alginates peuvent s’avérer insuffisants. « Nous fournissons alors des trousses de secours avec des hémostatiques hospitaliers comme les gazes hémostatiques Pangen ou Surgicel », indique Isabelle Fromantin.
– La compression : « Le plus souvent, les micro-saignements peuvent être contenus et coagulés avec un temps de compression, si celle-ci n’est pas douloureuse », observe Chrystel Pluviaux.
– Hémostase par le froid : « Il est possible de suggérer au patient d’acheter des produits congelés, des petits pois par exemple, qu’il appliquera dans un torchon sur la plaie si elle se met à saigner », propose Isabelle Fromantin.
– L’eau oxygénée est « un bon hémostatique », rappelle l’infirmière de l’Institut Curie. Utilisée pour arrêter les saignements des plaies superficielles, elle « n’est pas recommandée sur les autres plaies chroniques à cause de son effet cytotoxique en cas d’usage prolongé. Un critère qui n’est pas forcément en cause dans le contexte d’une plaie tumorale », remarque l’infirmière.
– En cas de saignements importants dans le lit de la plaie, une radiothérapie à visée hémostatique peut être indiquée, ou encore l’application d’adrénaline lors des soins (méthode utilisée pour l’hémostase endoscopique des hémorragies digestives).
« Les hémorragies cataclysmiques par érosion d’un gros vaisseau sont extrêmement rares », observe le Dr Paul-Henri Cottu, oncologue, chef de département adjoint du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie à Paris. « Certaines tumeurs de la tête et du cou, avec des ulcérations cervicales parfois très importantes, peuvent atteindre par contiguïté un gros vaisseau comme la carotide et en provoquer la rupture. Ce qui entraînera le décès en quelques minutes. Ce sont des situations mieux contrôlées avec les ressources actuelles même si ces ruptures de gros vaisseaux peuvent encore être rencontrées », précise le médecin. « Ces situations sont en général anticipées et prises en charge à l’hôpital, ajoute Isabelle Fromantin. Lorsque ce risque est avéré et que le patient souhaite malgré tout être suivi à domicile, la prise en charge sera assurée par des équipes spécialisées comme l’hospitalisation à domicile, une équipe mobile ou un réseau de soins palliatifs, et la situation fera l’objet d’un signalement au Samu. »
La peau périlésionnelle est fragilisée. Elle peut être inflammatoire et indurée par la masse sous-jacente. « La peau autour de la plaie nécessite d’être régulièrement hydratée par un émollient et protégée par des protecteurs cutanés », souligne Isabelle Fromantin.
L’utilisation de dispositifs adhésifs sera autant que possible évitée. Le pansement sera de préférence maintenu par des moyens de fixation non adhésive autorisés à la prescription infirmière :
→ jersey tubulaire de préférence : Tubifast 2-Way Stretch, bandage tubulaire de maintien en plusieurs dimensions (Mölnlycke Health Care)… ;
→ bandes de fixation en crêpe de coton : Nylexocrep (Urgo Médical), Stérilux (Hartmann), Velpeau (Lohmann & Rauscher)… ;
→ filet tubulaire de maintien élastique ou non (attention : risque de trop serrer et de provoquer des douleurs neurogènes) : Stérilux (Lab. Hartmann), TG Fix (Lohmann & Rauscher), Surgifix (Urgo Médical)…
(1) Société française et francophone de plaies et cicatrisation, « Les plaies tumorales », sffpc.org, rubrique Médiathèque.
Vous intervenez chez Mr C. pour la réfection du pansement d’une plaie tumorale située au niveau du thorax correspondant à l’ulcération d’une métastase cutanée d’un cancer du poumon. Vous remarquez que le pansementest taché par des exsudats et des saignements.
Vous demandez à Mr C. si la plaie est douloureuse ou si la dernière réfectiondu pansement a été douloureuse. Vous lui demandez aussi si la plaie le gêne d’une façon ou d’une autre. Après avoir nettoyé la plaie, vous essayez de stopper l’hémorragie par une compression légère, car les plaies tumoralesne se compriment pas comme du tissu sain, avec un pansement hémostatique si besoin.Une fois les saignements « interrompus », vous pouvez couvrir avec un alginate pour maintenir une action hémostatique, que vous recouvrez d’un pansement secondaire (ex. : compresse absorbante) ayant une capacité d’absorption adaptée à l’exsudation.
Isabelle Fromantin, infirmière PhD à l’Unité recherche, plaies et cicatrisation de l’Institut Curie à Paris.
« L’exsudat épais des plaies tumorales est plus difficilement absorbé par les pansements polyacrylates purs qui conviennent mieux aux exsudats limpides des ulcères ou des brûlures. Les pansements composés aussi de cellulose* seront privilégiés pour absorber les sécrétions des plaies tumorales. Dans certains cas, il nous arrive également d’utiliser des poches de recueil des exsudats sur des plaies de petite taille si la peau périlésionnelle est assez résistante. »
* Exemples : les hydrocellulaires super absorbants RespoSorb Super (Lab. Hartmann), DryMax Extra (Inresa), Cutimed Sorbion (BSN Radiante), Tegaderm Superabsorber (3M Santé).
→ Lorsque les cellules cancéreuses parviennent à stimuler l’angiogenèse, un réseau vasculaire tumoral se forme et permet à la tumeur de maintenir sa croissance. Cette angiogenèse tumorale fait de la tumeur un tissu vascularisé propice aux saignements spontanés ou provoqués par contact lors des soins.
Pourquoi n’ai-je plusde séance de thérapiepar pression négativepour mon ulcère ?
Parce que votre ulcère de jambe s’est cancérisé. Nous sommes maintenant dans le traitement d’une plaie tumorale pour laquelle la thérapie par pression négative est contre-indiquée* au risque de faire évoluer le tissu cancéreux et de provoquer des saignements.
* Haute Autorité de santé, « Traitement des plaies par pression négative (TPN) : des utilisations spécifiques et limitées », janvier 2011 (consulter le lien bit.ly/HAS_TPN).