CRISE DES URGENCES
ACTUALITÉ
Mise sous pression par six mois de grève, la ministre de la Santé a dévoilé en avance douze mesures d’un « pacte de refondation des urgences ». Parmi elles, de nouvelles compétences pour les IDE et une spécialité « urgences » pour les infirmières de pratique avancée.
Preuve de sa solidité, le mouvement de grève des paramédicaux des urgences n’a pas faibli durant l’été. Il s’est même renforcé puisqu’un tiers des services d’urgences des hôpitaux publics étaient encore en grève début septembre. La ministre de la Santé a donc accéléré ses décisions et dévoilé, lundi 9 septembre, son « pacte pour la refondation des urgences » initialement prévu pour novembre. Elle va consacrer, d’ici à 2022, 750 millions d’euros aux services d’urgences, et même 1 milliard en prenant en compte les mesures déployées dans l’été : prime de 100 euros bruts accordée aux personnels non médicaux des urgences et renforts d’effectifs accordés dans les services les plus en difficulté.
Ce pacte comprend 12 mesures qui visent à fluidifier le fonctionnement des urgences, en amont et en aval. En amont, il crée un nouveau « service d’accès aux soins », le SAS, animé par le Samu et les professionnels de santé libéraux. Il permettra à la population « d’obtenir un conseil médical ou paramédical, de prendre rendez-vous pour une consultation avec un médecin généraliste dans les 24 heures, de procéder à une téléconsultation, d’être orienté vers un service d’urgences ou de recevoir une ambulance ».
En parallèle, les médecins libéraux devront offrir plus de consultations sans rendez-vous, et animer 50 maisons médicales de garde à proximité des gros services d’urgences, ouvertes quand leurs cabinets seront fermés. Cette mission d’organisation de la permanence des soins en ville revient aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui doivent regrouper, au sein d’un territoire de santé, tous les professionnels des soins primaires, dont les Idels, les médecins libéraux spécialistes et les acteurs médico-sociaux et sociaux. Le déploiement des CPTS doit s’accélérer. « Cent CPTS seront financées dès la fin de cette année, 300 d’ici à fin 2020, pour atteindre 1 000 CPTS en 2022 », a promis la ministre.
La crise des urgences est aussi l’occasion pour la ministre d’accélérer la montée en compétence des paramédicaux, et en particulier des infirmières. D’une part à travers le déploiement de protocoles de coopération, dont quatre « permettant la prise en charge par les pharmaciens et les infirmiers de pathologies simples », sans plus de précisons. Les infirmières des urgences vont voir aussi leurs compétences s’étendre. Dans le cadre de protocoles de coopération, elles pourront pratiquer des sutures, demander des examens d’imagerie, orienter des patients vers la ville, demander des bilans biologiques. Les infirmières des urgences qui entreront dans ces protocoles percevront une prime de 80 euros nets par mois. Le pacte annonce aussi la création d’une spécialité « urgences » pour les infirmières de pratique avancée (IPA). La première promotion doit sortir dès 2022.
L’hôpital est également mis à contribution. Les services hospitaliers devront mettre à disposition des lits pour les patients qui sortent des urgences. Des « cellules de gestion de lits » seront créées, avec des outils informatiques dédiés. Ce pacte se soucie en outre des personnes âgées, celles pour lesquelles la recherche de lits est la plus difficile. Ils devront être admis directement, du domicile ou des Ehpad, vers les services d’hospitalisation.
Mais il ne répond que partiellement aux revendications des paramédicaux du collectif Inter-Urgences (CIU) qui réclame, depuis le début du mouvement, une augmentation de salaire de 300 euros, la réouverture de lits hospitaliers et des renforts d’effectifs. S’agissant des ressources humaines, le plan annonce simplement la création de postes de gestionnaires de lits. Et sur la question des lits, Agnès Buzyn a évoqué l’éventuelle création, à la sortie des urgences, de lits de médecine et de gériatrie polyvalentes. « Mais avant de créer des lits, je veux qu’on optimise la gestion des lits », a-t-elle prévenu.
Réuni en assemblée générale le lendemain de l’annonce du plan, à Saint-Denis, le CIU a voté, à l’unanimité, la poursuite du mouvement de grève. Il appelle même à son élargissement à « l’ensemble des hospitaliers ». Étaient présents des représentants des Ehpad ou de la psychiatrie, qui se sont eux aussi mobilisés ces derniers mois. Quelques médecins assistaient également à l’assemblée générale, comme Patrick Pelloux, le président de l’Association des médecins urgentistes de France, qui a promis : « Je vais prendre mes responsabilités. Depuis six mois, on est à côté de vous. Je pense qu’il faut maintenant qu’on soit avec vous. » Également sur place mais plus prudent, le gériatre Renaud Péquignot, président d’Action Praticiens Hôpital, a prévenu : « Tous les syndicats ne sont pas d’accord, certains sont satisfaits des annonces. Les médecins sont difficiles à mettre en grève… » Une infirmière l’a vivement interpellé : « On a besoin d’un appel clair de votre part. Est-ce que vous êtes avec nous ? ».
750 millions d’euros, d’ici à 2022, est-ce suffisant pour résoudre la crise des urgences ? Le collectif Inter-Urgences (CIU) dit ne pas être dupe « des effets d’annonce ». Il souligne que cette enveloppe est pour l’instant allouée à budget hospitalier constant. D’ailleurs, la ministre de la Santé a admis devant les députés qu’elle n’avait pas obtenu d’enveloppe supplémentaire du ministère de l’Économie. Pour les grévistes, s’engage donc la « bataille du PLFSS », en parlant du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020, qui sera débattu au Parlement en octobre.
L’Ordre des infirmiers était autour de la table lors de la présentation du pacte pour les urgences aux professionnels de santé. Il a réagi avec une satisfaction teintée de lassitude : « Le fait de s’appuyer sur les compétences des infirmiers pour apporter des solutions à un enjeu de santé publique est suffisamment rare pour être souligné. » Car, rappelle-t-il, dans de nombreux pays, « des responsabilités élargies ont été confiées aux infirmiers (…), et ce depuis plusieurs décennies. La France accuse un retard significatif en la matière. » À ses yeux, cependant, les infirmiers sont « déjà formés » aux nouveaux actes de soins ou de prescription annoncés. Et « les contours précis » de la nouvelle spécialité urgences des IPA « restent à définir ». Pour la Fédération nationale des infirmiers (FNI), ces mesures permettront « la prise en charge directe par les infirmiers de patients atteints de pathologies simples ». Comme l’Ordre, le syndicat estime que « les compétences des 118 000 infirmières et infirmiers libéraux qui soignent chaque jour, à leur domicile, des millions d’assurés sont aujourd’hui insuffisamment exploitées ». Pour sa part, le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) estime que les « réponses apportées par madame Buzyn ne suffiront pas à résoudre les problèmes des urgences ». Le syndicat plaide en particulier pour la reconnaissance des infirmiers comme professionnels de santé de premier recours et la création de la notion d’« infirmier référent » : « Ceci donnerait la possibilité aux Idels d’intervenir en première ligne dans le cadre de leur rôle propre sur appel du patient ou de son entourage pour orienter la personne vers la structure de soins la plus appropriée (urgences, médecin traitant…) et coordonner ainsi son parcours. Une intervention directe de l’infirmière, dans le cadre de ses compétences, pourrait aussi être possible pour résoudre certains problèmes, par exemple chute, malaise, dyspnée… Autant d’actions qui désengorgeraient les urgences. »