Après un master en sciences infirmières en 2013, Franciele Roberta Cordeiro obtient son doctorat en 2017. Elle est maître de conférences à la faculté des sciences infirmières de l’université fédérale de Pelotas (UFPel) et s’intéresse tout particulièrement à la recherche et aux soins palliatifs.
« Mon intérêt pour les soins palliatifs vient du service des urgences de l’hôpital de l’université fédérale de Santa-Maria où j’ai été stagiaire durant presque deux ans », explique Franciele. Elle y rencontre nombre de patients atteints de maladies chroniques et de cancer. « Les patients décédaient dans les couloirs, sans la présence de leur famille, sans confort ni dignité. » Ce constat l’incite à étudier les possibilités de soins à offrir aux malades en fin de vie et lui fait découvrir les soins palliatifs. Elle lit des articles et des manuels de l’Association brésilienne de soins palliatifs et de l’Académie nationale de soins palliatifs (qui débute alors ses activités au Brésil).
Elle se tourne également vers les services d’oncologie de l’hôpital.
En formation initiale, les soins palliatifs ne sont pas au programme des études infirmières. Néanmoins, des initiatives locales au sein de certaines universités existent, notamment celles qui sont en lien avec des experts en soins palliatifs. Le pays compte une quinzaine d’unités de soins palliatifs localisées dans les grands centres hospitaliers universitaires. « À l’UFPel, par exemple, au cours de la deuxième année de formation, les étudiants en soins infirmiers sont sensibilisés aux soins palliatifs. À la faculté de médecine en revanche, grâce au docteur et maître de conférences Julieta Carricon de Fripp, pionnière des soins palliatifs à Pelotas, il y a une discipline de soins palliatifs », rapporte Franciele. « Depuis 2011, la médecine palliative est devenue une spécialité, mais l’Ordre des infirmières n’a pas encore reconnu les soins palliatifs comme une spécialité du domaine des infirmières », regrette-t-elle. Le ministère de la Santé propose des cours gratuits en ligne sur les notions de base en soins palliatifs à domicile, pour les professionnels qui travaillent dans les services publics de santé. Le système de santé, basé sur la médecine de communauté, s’inspire du modèle anglais, avec des centres de santé dans les quartiers, qui sont responsables des soins de santé primaires. On trouve ensuite des services d’urgence à deux niveaux, l’un pour les situations peu complexes cliniquement et l’autre pour les cas difficiles, et les hôpitaux. « Depuis 2010, les services de soins palliatifs se sont davantage développés au Brésil. Centrés sur les hôpitaux, ils essaient de favoriser un retour à domicile plus organisé, en facilitant l’accès aux médicaments et aux équipements qui peuvent améliorer la qualité de la fin de vie », poursuit Franciele. Quelques services d’hospitalisation à domicile, peu nombreux, bénéficient à 26 %de la population, selon le ministère de la Santé.
Il existe peu de services d’hospitalisation à domicile et ils interviennent surtout si un aidant familial est actif. Dans les autres cas, la famille devient soignante. Lorsqu’un retour à domicile se profile, l’hôpital prépare les familles aux gestes soignants. « Ce sont principalement les filles, les épouses, les sœurs qui vont s’occuper de ces soins. Il s’agit des gestes techniques comme les soins de gastrotomie, de trachéotomie, l’utilisation de la voie sous-cutanée, la toilette, les pansements, l’administration des traitements, etc. », détaille Franciele. Ici, pas d’intervenants plusieurs fois par jour à la maison comme les auxiliaires de vie, les infirmières libérales ou les aides-soignantes, excepté dans des services privés dont le tarif est inabordable pour la majorité de la population. Pour faciliter le processus d’éducation des familles, le ministère de la Santé offre quelques manuels pour guider les aidants naturels dans les soins corporels par exemple. À domicile, ces malades et leur famille sont confrontés à une grande solitude, car la communication entre les services de soins primaires et l’hôpital manque d’efficacité. « À la souffrance psychique, existentielle, émotionnelle du malade, s’ajoute celle de l’aidant. D’autant qu’au Brésil, il y a encore beaucoup de précarité, avec des espaces de vie partagés par six ou huit personnes. Les familles culpabilisent de ne pouvoir offrir un meilleur confort au malade », explique Franciele. Des aides existent pour ces familles, comme les groupes de partage d’expériences ou des thérapies complémentaires, ou encore des moments d’éducation, notamment sur les soins qui les mettent en difficulté. « Toutefois, l’éducation des familles et des proches sur certains gestes techniques est interdite depuis 2017, année de publication du nouveau code de déontologie des infirmiers du Brésil. L’exception concerne les situations où le malade va être accompagné et soigné à domicile », précise-t-elle.
Franciele est directrice du Groupe de recherche sur les conditions chroniques de santé à l’UFPel. Lors de son stage de doctorat, elle a mené avec une équipe de Grenoble une étude qualitative* avec pour objectifs de décrire et analyser les stratégies brésilienne et française adoptées pour le retour à domicile en soins palliatifs. L’étude a été conduite durant huit mois auprès de deux équipes de soins palliatifs, à Porto Alegre et à Grenoble. Dans les deux pays, les principales difficultés sont l’épuisement des aidants et les craintes par rapport au décès. Si, en France, l’organisation privilégie la sortie en offrant des structures d’appui facilitatrices, au Brésil, on observe soit des familles devenues les soignantes de leur parent en fin de vie, soit des recours juridiques pour que l’hôpital garde le patient.
* F. Roberta Cordeiro, M.H. Luce Kruse, N. Carlin, « La sortie d’unités de soins palliatifs au Brésil et en France : expériences de patients atteints de cancer et de leurs familles », Médecine Palliative 2018 ; 17 : 139-147.
« J’ai eu la chance de rencontrer des infirmières libérales en France. Ce sont ces professionnelles qui mettent en place les stratégies politiques et pratiques pour assurer la dignité et le confort en fin de vie à la maison, parce que ce sont elles qui ont une vraie relation de confiance et le lien avec la famille et le malade. Je crois qu’aucune politique publique de santé ne peut être efficace sans les infirmières libérales. Ce mode d’exercice n’existe pas au Brésil, car nous n’avons pas de financement suffisant pour cela. Nous sommes obligés de créer des stratégies plus économiques pour l’État, qui sont aussi, malheureusement, plus difficiles pour les familles. »