L'infirmière Libérale Magazine n° 362 du 01/10/2019

 

Cicatrisation

CAHIER DE FORMATION

POINT SUR

Caroline Bouhala*   Dr Aude Valois**   Céline Couteau***   Laurence Coiffard****  


*dermatologue à Toulon
**enseignantes en pharmacie galénique et cosmétologie à la faculté de pharmacie de Nantes (44)

La cicatrisation démarrant au niveau des berges de la plaie, il est indispensable que la peau entourant une plaie soit en « bonne santé ». Or la peau périlésionnelle est exposée à de nombreuses problématiques, qu’elles soient liées à la plaie elle-même (étiologie, exsudats) ou à l’utilisation de produits inadaptés (produits d’hygiène, traitements, dispositifs médicaux).

Définition

La peau périlésionnelle correspond à la peau entourant une lésion. Sa surface est parfois définie comme la peau située dans les 4 cm autour de la plaie, ou même toute la surface couverte par le pansement.

Un problème fréquent

Environ 70 % des patients porteurs de plaie présenteraient des anomalies de la peau périlésionnelle, pouvant entraîner un retard de cicatrisation et des douleurs.

De natures variées, ces troubles dépendent à la fois de la pathologie sous-jacente (insuffisance veineuse chronique, etc.), de la plaie elle-même (exsudats), de la localisation (risque de macération particulièrement élevé avec les escarres sacrées), de l’état cutané propre (xérose cutanée, hyperkératose), mais également des soins appliqués qui peuvent être à l’origine d’eczéma de contact allergique.

Selon la Haute Autorité de santé, 75 à 82 % des patients avec un ulcère de jambe ont une sensibilisation aux topiques et dispositifs appliqués. Plusieurs raisons à cela : les produits sont utilisés sur une peau où la barrière cutanée est rompue, pendant une longue période, et parfois sous occlusion ; la zone périulcéreuse étant également inflammatoire, elle est riche en cellules immunitaires. L’âge avancé des patients et la préexistence d’eczéma chronique semblent également être des facteurs favorisants. Ce risque a surtout été étudié chez les patients présentant un ulcère de jambe, mais par mesure de précaution, il est à prendre en considération face à tout type de plaie.

La prise en charge de ces peaux fragiles passe à la fois par une bonne gestion de la plaie et de son étiologie, mais également par le choix de produits adaptés à l’état de la peau périlésionnelle et dont la composition est peu encline à engendrer une réaction allergique.

Prendre en charge l’étiologie : l’étape indispensable

Pas de peau périlésionnelle sans plaie, donc la recherche et le traitement de l’étiologie de la plaie restent les éléments essentiels de la prise en charge : décharge, compression veineuse…

Ceci est d’autant plus important que la pathologie à l’origine de la plaie peut également causer des troubles de la peau périlésionnelle. Par exemple, l’eczéma de stase, la dermite ocre, ou encore l’atrophie blanche sont de possibles conséquences de l’insuffisance veineuse.

Adapter les soins à chaque type de peau

Le lavage

Étape indispensable, le lavage élimine les résidus de produits, les enzymes provenant des exsudats, etc. Il se fait à l’eau et au savon doux. Il est préférable d’éviter les savons conventionnels et préférer les formulations dites « sans savon » (ou syndet, pour « synthetic detergent »), moins agressives pour la peau, car les tensioactifs de synthèse sont généralement moins détergents et avec un pH plus proche du pH cutané. Les formes solides peuvent également porter le nom de « pain ». Attention néanmoins au lauryl sulfate de sodium, un tensioactif plus irritant que le savon, à ne pas confondre avec le lauryl éther sulfate de sodium (ou laureth sulfate de sodium), un tensioactif bien toléré.

Ne pas négliger le rinçage avec de l’eau et un séchage doux de la peau.

Gestion des exsudats

Un milieu humide est nécessaire à la cicatrisation de la plaie, mais de façon contrôlée et sans déborder sur la peau périlésionelle au risque d’engendrer une macération qui retarderait la cicatrisation. Il est donc important de choisir des pansements adaptés au niveau d’exsudats produits par la plaie et éventuellement d’utiliser un protecteur cutané, comme par exemple les pâtes à l’eau (oxyde de zinc), les crèmes barrières (ex. : Topialyse Crème Barrière du laboratoire SVR), voire des solutions filmogènes spécifiques (ex. : gamme Cavilon de 3M)

Sécheresse cutanée

Utiliser un émollient, de texture plus ou moins légère selon l’état cutané (lait, crème, baume, vaseline).

Hyperkératose

Éliminer les zones d’hyperkératose par détersion mécanique et/ou via l’utilisation de soins contenant un agent kératolytique comme l’urée.

Dispositifs médicaux

Les dispositifs médicaux ne doivent pas nuire à la plaie : proscrire les adhésifs et préférer l’usage de bandes élastiques de maintien, de préférence larges et peu compressives pour éviter l’effet « garrot », voire de pansements micro-adhérents siliconés. Les bandes de compression doivent être posées correctement, sans striction, etc.

Prévenir les eczémas de contact en analysant les formulations

→ Afin de rechercher des sensibilisations de contact par des patchs tests, plusieurs batteries de molécules ont été développées, dont la batterie standard européenne. Elle comprend les allergènes les plus fréquemment responsables de dermites de contact allergiques. Régulièrement mise à jour, elle regroupe actuellement une trentaine de molécules(1).

→ Il existe également une batterie spéciale pour les ulcères de jambe, ciblant les allergènes les plus fréquemment rencontrés dans cette situation, comme des antiseptiques, des corticoïdes, etc.

→ Les principaux allergènes à rechercher sont (liste non exhaustive) : le baume du Pérou (ou Myroxylon pereirae), les parfums, la lanoline (attention car de nombreuses appellations existent : lanolin le plus souvent, mais parfois « wool alcohols », etc.), la méthylisothiazolinone/methylchloroisothiazolinone, le nickel, le cobalt, le chrome, la colophane (ou colophonium, rosin), des huiles essentielles…

→ Une sensibilisation fréquente à la povidone iodée (contenue dans la Bétadine) a aussi été retrouvée dans certaines études.

→ Vigilance également vis-à-vis des filtres solaires organiques (ou chimiques), notamment l’octyl methoxycinnamate et la benzophénone.

→ La composition des crèmes et savons devant obligatoirement être communiquée, il est ainsi possible, en connaissant ces listes, d’évaluer le risque associé à un produit. Le problème réside néanmoins dans les dispositifs médicaux comme les pansements, qui n’ont pas pour obligation d’indiquer leur composition. Or, selon l’étude du Groupe de dermato-allergologie de la Société française de dermatologie(2), 19 % des patients porteurs d’un ulcère de jambe chronique présentent une sensibilisation à un ou plusieurs pansement(s).

→ Penser également à vérifier la composition des lessives.

→ La prise en charge d’un eczéma de contact passe par l’éviction de la substance incriminée et par l’utilisation de dermocorticoïdes. Attention néanmoins, car 10 % des patients présentent une sensibilisation, soit au principe actif, soit à un excipient.

→ Retenir que lorsqu’un protocole est efficace ou bien toléré, il est recommandé de ne pas en changer.

(1) Cette liste est disponible sur le site de la Société française de dermatologie (consulter le lien bit.ly/Batterie_Standard).

(2) A. Valois, J. Waton, M. Avenel-Audran, et al., “Contact sensitization to modern dressings: a multicentre study on 354 patients with chronic leg ulcers”, Contact Dermatitis, 2014;72:90-96.

L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.