Les objets connectés et applications mobiles sont de plus en plus présents dans le quotidien des patients. En fonction des pathologies, leurs usages se développent. Dans quelles mesures ces nouveaux outils vont-ils influencer la pratique des Idels ?
Une montre au poignet mesurant la tension, une balance connectée pour déterminer les fluctuations du poids et éventuellement éviter un problème cardiaque, des applications qui calculent le nombre de pas à effectuer quotidiennement pour éviter la sédentarité : les objets connectés et applications mobiles ont fait leur entrée dans le monde de la santé depuis bientôt une dizaine d’années. Ces outils peuvent être utilisés en prévention, dans la prise en charge ou encore dans la surveillance d’une personne en collectant des informations sur ses constantes biologiques, sa taille, son poids, son rythme cardiaque ou respiratoire. « Actuellement, il ne me semble pas que les Idels aient déjà, dans leur patientèle, des personnes hyperconnectées, estime Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). Mais nous allons être prochainement confrontés à cette question de la gestion des objets connectés et des applications, car les gens seront de plus en plus connectés. »
Ce sera en effet le cas avec le déploiement de la télésurveillance, encore en expérimentation dans le cadre du programme Étapes (Expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé), prévu par la loi de financement de la Sécurité sociale 2018. Il est ainsi envisageable d’imaginer un plus grand rôle pour les Idels, notamment avec le télésoin et la possibilité de suivre à distance les constantes d’un patient détenteur d’un objet connecté, notamment sa glycémie, son INR ou encore sa tension. « La télésurveillance, c’est aussi un moyen de couvrir un peu mieux le territoire, de faire face aux déserts médicaux et de garantir une certaine sécurité aux patients vivant dans les zones éloignées, souligne Florence Girard, présidente de l’Association nationale des directeurs d’école paramédicale (ANdEP). C’est toute la communauté sanitaire qui va être concernée par ces objets connectés. »
Pour les infirmières, ces nouveaux outils pourraient en effet impacter les méthodes de travail et la communication avec les patients. « Lorsqu’un patient diabétique va mesurer son taux de glycémie, il s’adressera probablement plus facilement à l’infirmière pour comprendre le résultat, rapporte Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des infirmiers (Oni). Cela entraînera plus d’échanges entre le patient et l’Idel, qui va endosser un rôle dans la réassurance et dans la contextualisation du chiffre. » L’expertise clinique de l’infirmière prend alors toute son importance. Face à des vérités absolues émises par des objets connectés, les Idels adopteront une posture de conseil sur l’interprétation des données. Ce d’autant que les objets connectés font naître des comportements inattendus chez certains patients. Les détenteurs d’un tensiomètre peuvent par exemple se mettre à prendre plusieurs fois par jour leur tension. Des outils anxiogènes pour certains, qui entraînent à l’inverse un relâchement chez d’autres lorsqu’ils constatent de bons résultats.
Selon Catherine Kirnidis, cette approche n’a de sens que dans le cadre d’un travail en équipe pluriprofessionnelle. L’Idel, détentrice des résultats du patient, doit les exploiter auprès des professionnels de santé les plus à même de prendre des décisions pour le patient. « Il va falloir que l’on s’interroge sur la place de chacun vis-à-vis de ces nouvelles technologies et sur les procédures à instaurer, estime-t-elle. Cela peut nous simplifier la vie dans certaines prises en charge et améliorer la continuité des soins en facilitant le recours à un professionnel de santé, à un médecin traitant. » « L’Idel doit pouvoir alerter les secours, appeler le médecin ou informer le patient, ajoute Patrick Chamboredon. Il va y avoir de plus en plus d’informations disponibles et il va falloir les gérer. » « L’avantage des objets connectés est de permettre de remonter des données directement, sans intermédiaire, souligne Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière. Les Idels doivent accompagner les patients dans cet usage. Elles ont un rôle propre de prévention, d’éducation, cela doit être développé. » Pour les professionnels de santé, il paraît néanmoins nécessaire que les objets connectés soient certifiés, labélisés ou répondent à un cahier des charges précis afin que la fiabilité des informations ne soit pas contestable et contestée.
Présidente du Comité d’entente des formations infirmières et cadres (Cefiec), Martine Sommelette espère que l’usage de ces nouveaux outils ne va pas enlever toute humanité aux soins. « Certes, il faut être dans l’air du temps. L’utilisation doit être suffisamment raisonnable pour offrir des diagnostics plus rapides et des consultations facilitées entre les professionnels de santé, pour pallier la problématique des distances dans l’accès aux soins. Mais il ne faut pas que l’on perde de vue l’humanité des soins. Je pense que les Idels sont dans cette approche. » Pour Patrick Chamboredon, président de l’Oni, aucun risque que les objets connectés déshumanisent les rapports soignants-soignés, car « ces outils sont simplement des indicateurs pour obtenir des informations et des paramètres supplémentaires sur les patients », souligne-t-il.
Pour qu’ils apportent une réelle plus-value à la prise en charge, il faudrait que les données du dispositif puissent être partagées, par exemple dans le dossier médical partagé (DMP), et que des fichiers patients puissent être réalisés à partir de ces données. « Cela pourrait notamment modifier le sens de notre tournée et nous faire gagner du temps dans la prise en charge des patients, car nous pourrions être prévenus, à l’instant T, d’un problème chez l’un de nos patients », estime Nicolas Schinkel, trésorier fédéral et chargé de mission e-Health à la Fédération nationale des infirmiers (FNI). À ce jour, il n’existe pas encore de logiciel permettant une telle pratique de l’exercice.
Pour garantir un bon usage des applications et des objets connectés, les professionnels de santé doivent y être formés. « Il est dangereux d’utiliser une application au lit du patient sans la connaître, car on peut perdre la confiance du patient en passant pour quelqu’un qui ne maîtrise rien », met en garde Nicolas Schinkel. Bien entendu, l’idée n’est en aucun cas de former à l’usage de toutes les applications et de tous les objets connectés existant sur le marché. Cependant, la sensibilisation des étudiants dès l’Ifsi est importante. « Les étudiants doivent être formés à la e-santé, estime Florence Girard, présidente de l’ANdEP. Il faut leur offrir une formation sur les données personnelles, le big data, le vocabulaire autour de la santé et du numérique, et sur la télémédecine. Ils doivent avoir les bases, puis c’est dans la pratique qu’ils se formeront. » Il serait selon elle tout à fait possible de l’intégrer dans le référentiel tel qu’il existe actuellement. « Pour l’instant, la formation n’a pas encore été pensée en interprofessionnalité, regrette Martine Sommelette. Cette réflexion est pourtant indispensable pour l’appropriation des outils, pour déterminer qui fait quoi, comment, pourquoi, au regard des patients et des compétences de chaque professionnel de santé. Idem pour la formation continue des Idels en exercice, qui doivent être formés à l’interprétation des résultats, aux conseils à donner, aux actions à mener avec les indicateurs d’évaluation et à l’éducation du patient. »
Claire Desforges, chargée des affaires publiques à la Fédération française des diabétiques
« L’usage des objets connectés donne lieu à une vraie réflexion avec le programme de télésurveillance Étapes, expérimentation qui concerne cinq pathologies dont le diabète. La place du corps infirmier dans le cadre de cette télésurveillance est sans doute très importante, notamment dans un rôle d’accompagnement des patients concernant la gestion de leur maladie et des objets connectés. En France, 90 % des patients diabétiques sont pris en charge par le médecin généraliste, qui n’a pourtant pas toujours le temps d’assurer cet accompagnement. Les infirmières doivent donc se former, comme l’ensemble des professionnels de santé, à la gestion de ces nouveaux outils connectés qui vont transformer la relation de soins entre le professionnel de santé et le patient, mais aussi entre les professionnels de santé. Les objets connectés impliquent une relation plus étroite. Si l’on prend l’exemple d’Étapes sur le télésuivi du diabète, on peut espérer avoir un accompagnement renforcé des patients, en situation complexe. Cela créera un plus grand lien de confiance, de même qu’il y aura une plus grande transparence par rapport aux résultats des glycémies capillaires. Le patient se connaîtra mieux grâce à ces objets connectés. Mais utilisés seuls, sans accompagnement du patient par les Idels, ils ne serviront pas. »