L'infirmière Libérale Magazine n° 363 du 01/11/2019

 

POINT(S) DE VUE

INTERVIEW

Lisette Gries  

Lorsque le corps subit les conséquences de la maladie et des traitements, le psychisme est également affecté. Les malades doivent apprendre à vivre avec ce cancer qui chamboule souvent tous leurs repères (vie professionnelle, relations familiales et amicales, hobbies, etc.). Le regard des soignants peut les aider à préserver une image positive d’eux-mêmes, explique Véronique Camus, psychologue clinicienne en oncologie au CHU de Tours.

Pourquoi est-il important de proposer un suivi psychologique aux patients atteints de cancer ?

Véronique Camus : Quand on souffre d’un cancer, il y a des effets physiques que l’on connaît, qui vont de l’extrême fatigue à des cicatrices, voire des amputations. Ce n’est pas sans impact sur le psychisme du patient. On observe plusieurs mouvements : le rejet de la partie du corps qui est malade, la honte, notamment pour les cancers visibles comme ceux qui atteignent la face, des périodes dépressives. Ces dernières n’évoluent pas toutes vers une vraie dépression, mais elles sont très courantes dans le processus de la maladie. Les personnes qui ont un cancer se battent contre quelque chose qui se passe dans leur corps. On peut les accompagner pour les aider à “faire avec” cette partie de leur corps qui leur appartient quand même, malgré tout.

Tous les patients n’ont pas la même attitude face au cancer : y a-t-il des profils plus fragiles que d’autres ?

V. C. : Chaque personne est différente et peut mettre en place des mécanismes de défense psychique qui lui sont propres. Ceci étant dit, un cancer reste un marathon pour le psychisme : les efforts se font sur la durée… Il faut pouvoir accueillir ce que traverse et ressent chaque patient aux différents stades de sa maladie, sans vouloir aller plus vite que lui. On distingue deux grandes postures face au cancer : il y a les patients combatifs, qui s’inscrivent dans la rhétorique de la lutte contre la maladie, et ceux qui sont plus passifs, pour qui c’est difficile dès le début.

Est-ce plus dur pour ces derniers ?

V. C. : C’est plus complexe que cela. Les patients qui accusent le coup dès le début vont peut-être subir une forme d’effondrement plus lente, plus longue. Les personnes dans une posture de lutte contre le cancer, elles, risquent un contrecoup énorme à la fin des traitements. La fatigue est toujours présente, le corps porte des traces, l’angoisse de la récidive est énorme, mais il leur faut “ré-investir” leur vie. Quelque chose peut se relâcher au niveau psychique à ce moment là.

Les différents traitements ont-ils des effets comparables sur le psychisme ?

V. C. : Non, car ils n’ont pas le même effet sur le corps. La chirurgie relève d’une forme de mutilation physique. Il faut ensuite apprendre à vivre avec un corps amputé, différent, l’image du corps est attaquée. Pour la chimiothérapie, les patients craignent beaucoup l’alopécie, qui les rendra “malades” aux yeux de tous. Un effet moins redouté mais tout aussi sournois est l’immense fatigue qu’ils ressentent. Ils devront apprendre à vivre avec une énergie très entamée. La radiothérapie est impressionnante, notamment pour les personnes claustrophobes. Les marques faites au feutre sur le corps par les soignants pour savoir où diriger les rayons sont parfois mal vécues. Il arrive aussi que la peau perde de sa sensibilité. Enfin, l’hormonothérapie bouleverse le cycle naturel de la vie. Pour une jeune femme, être ménopausée à 30 ans, surtout si elle n’a pas encore eu d’enfant, cela peut-être assez violent. Elle se sent précipitée vers la vieillesse, et donc vers la mort.

Quand les traitements sont finis, le moral, lui, met un peu plus de temps à revenir…

V. C. : Le temps physique et le temps psychique ne sont pas les mêmes… Après le cancer, il faut du temps pour “ré-aménager” sa vie. La maladie a bouleversé tous les repères qu’on avait construits : on s’est éloigné de son travail, on a souvent arrêté de faire du sport ou de pratiquer ses hobbies, les relations amicales se sont modifiées, celles avec la famille aussi. De plus, des proches qui étaient très présents pendant la maladie reprennent un peu plus le cours de leur vie. Les rendez-vous à l’hôpital ne rythment plus le quotidien. Il faut trouver une façon de rester soi malgré tous ces changements, malgré ce corps qui ne sera plus celui d’avant.

Comment les soignants, et notamment les Idels, peuvent-ils épauler les patients dans ce « marathon psychique » ?

V. C. : Les infirmières libérales ont un rôle primordial, car elles font partie du corps soignant, mais en dehors du cocon que peut représenter l’hôpital. Elles font le lien entre les deux mondes, tout en entrant dans l’intimité des patients. Les patients regardent les soignants les regarder, surtout dans cette période où leur identité est ébranlée. Un regard professionnel et empathique est donc précieux à ce moment-là pour les patients. Les infirmières pourront avoir des mots professionnels qui rassurent, comme “à trois jours, c’est normal d’avoir une marque”, etc. La posture la plus appropriée est d’être dans l’empathie sans pitié, dans la bienveillance sans plainte et dans l’observation professionnelle sans scrutation. Je conseille d’ailleurs de se renseigner a minima sur le patient avant de le rencontrer pour la première fois, pour préparer cette consultation et éviter des mouvements involontaires de saisissement psychique.

Pourquoi est-il primordial de respecter leur pudeur ?

V. C. : La pudeur, c’est le mécanisme de défense actif contre le sentiment de honte, à plus forte raison quand le corps est marqué, recousu, mutilé. Sylviane Jeanroy-Beretta, psychologue clinicienne, l’explique très bien. Il faut donc absolument respecter les mouvements de pudeur que l’on sent chez les malades du cancer, en s’assurant notamment de leur consentement permanent pour tous les actes qu’on réalise. Mais les infirmières libérales savent faire cela très bien !

le contexte

Chaque année, on dénombre en France près de 400 000 nouveaux cas de cancer. Les plus fréquents sont le cancer du sein, de la prostate, du côlon-rectum et du poumon. Aujourd’hui, les taux de survie à 5 ans progressent, quoiqu’ils varient beaucoup d’un type de cancer à l’autre. La prise en charge est désormais globale, et prend aussi en compte les soins de support et la qualité de vie. Le troisième Plan cancer (2014-2019) prévoit ainsi « d’améliorer l’accès à des soins de support de qualité » pour tous les patients. Des psychologues spécialisés en oncologie sont de plus en plus souvent intégrés dans les services hospitaliers, pour assurer une prise en charge, depuis l’annonce de la maladie jusqu’à la fin des traitements.