L'infirmière Libérale Magazine n° 363 du 01/11/2019

 

LA VIE DES AUTRES

AILLEURS

Laure Martin  

Docteure en santé publique et sciences infirmières depuis le 9 juillet, Taghrid Chaaban El Hajj est infirmière de formation et cheffe du département de sciences infirmières à l’université islamique du Liban. Un poste qui lui permet d’enseigner et de se consacrer à la recherche.

« Lorsque j’étais plus jeune, avec une amie, nous avons réfléchi aux études que nous pourrions entreprendre pour nous assurer d’exercer rapidement un métier, témoigne Taghrid. À cette époque, au Liban, le taux de chômage était important. Nous avons décidé de devenir infirmières. »

Elle obtient un financement de la Fondation Iman Sadr, une organisation non gouvernementale située à Tyr, qui gère plusieurs programmes dans le Sud-Liban, notamment pour améliorer la qualité de vie des filles orphelines et des familles pauvres. Elle parvient ainsi à se former au métier d’infirmière aidante (lire l’encadré ci-contre) via l’enseignement dispensé par la fondation.

« En échange de ce financement, je me suis engagée à devenir enseignante au sein de la fondation », explique-t-elle. À l’issue de ses études, en 1992, l’organisation lui octroie une bourse lui permettant de poursuivre sa formation d’infirmière à l’Université libanaise de Saïda, le seul établissement universitaire public au Liban, qu’elle intègre après un concours d’entrée. « J’ai souhaité poursuivre mes études à l’université parce qu’avec un diplôme plus élevé, les postes et le salaire sont plus intéressants », précise-t-elle.

La découverte des soins pendant la guerre

En 1996, pendant son stage de quatrième année, Taghrid travaille à l’hôpital Hammoud de Saïda.

« C’était pendant la guerre civile. Nous avons accueilli de nombreux blessés du Sud-Liban. Je ne comptais plus mes heures à l’hôpital, il fallait soigner les blessés. Je n’avais même plus le temps d’aller voir ma famille. » C’est cette année-là que Taghrid découvre les soins d’urgence. « La situation était dramatique, nous avons été confrontés au pire. Mais il fallait être fort devant les blessés.

Je ne sais d’ailleurs pas d’où m’est venu ce courage. Les patients avaient des plaies ouvertes, on voyait leurs os, des pieds amputés, tout cela à cause de la guerre. C’est seulement à la fin de la journée qu’on pouvait se permettre d’y penser. » Taghrid ne poursuit pas sa carrière dans les soins en raison de son engagement envers la fondation, qui la conduit à enseigner et à s’orienter naturellement vers un travail universitaire.

Engagement universitaire

Pendant quatre ans, elle enseigne les soins infirmiers aux élèves de la fondation, qu’elle quitte en 2001 pour intégrer l’Université islamique du Liban à Beyrouth. « L’établissement venait d’ouvrir une faculté de sciences infirmières. J’ai commencé comme infirmière monitrice, je supervisais les étudiants dans leur stage pratique sur le terrain hospitalier. » En parallèle, elle commence son premier master en santé communautaire et soins à domicile, terminé en 2004, « un niveau d’études indispensable pour travailler en milieu universitaire et dispenser des cours théoriques aux étudiants », explique-t-elle. Et de poursuivre : « Ce choix d’une carrière universitaire me plaît, d’autant plus qu’en chapeautant les étudiants, je suis quand même amenée à effectuer des soins à l’hôpital pour enseigner la pratique et les techniques aux élèves. »

En 2011, elle s’engage dans un second master en santé publique option épidémiologie et biostatistiques, pour s’ouvrir une voie d’accès au doctorat. « Je me suis lancée dans un doctorat en sciences infirmières en 2015. Au Liban, ce niveau d’étude n’existe pas pour les infirmières. J’ai alors contacté des universités françaises et deux m’ont acceptée. J’ai choisi Paris 13, avec Monique Rothan-Tondeur, également infirmière et docteure en sciences infirmières. »

Pendant quatre ans, Taghrid multiplie les allers-retours avec la France pour étudier la place de l’infirmière dans la juste prescription des antibiotiques en Ehpad. « J’ai beaucoup travaillé pendant cette période, car, en parallèle, j’étais vice-doyenne de la faculté de sciences infirmières. On m’a proposé ce poste en 2015 en raison de mon travail et de mon expérience au sein de la faculté. » Une mission qu’elle remplit pendant trois ans, avant de devenir cheffe du département des sciences infirmières de l’université, poste qu’elle occupe depuis deux ans. « Je suis la responsable du département, donc de l’enseignement théorique et pratique, et je mets en place le plan de formation. » Mais Taghrid souhaite avant tout continuer la recherche en sciences infirmières. « C’est intéressant pour moi, pour mon cursus, et éventuellement pour devenir professeur, mais aussi pour la profession infirmière dans son ensemble. » Son prochain challenge : la création d’un doctorat en sciences infirmières au Liban.

La formation infirmière au Liban

Il existe trois niveaux d’exercice infirmier au Liban :

→ les infirmières praticiennes ou assistantes infirmières, titulaires d’un baccalauréat technique ou d’un diplôme professionnel. Elles aident les infirmières diplômées, réalisent les soins de base, les soins d’hygiène ;

→ les infirmières diplômées qui ont suivi des études universitaires de trois ou quatre ans en fonction des universités, accessibles par concours, sanctionnées par une licence. Elles dispensent des soins au sein des établissements hospitaliers, centres de soins de santé primaires, établissements scolaires, et enseignent aux infirmières praticiennes. Le salaire des infirmières diplômées universitaires est 10 à 15 % plus élevé que celui des diplômées techniques ;

→ les infirmières spécialisées, titulaires d’un master, qui ont poursuivi leurs études pendant deux ans après la licence pour se spécialiser en psychiatrie, en pédiatrie, en soins critiques et réanimation, en administration et gestion hospitalière.

Elle dit de vous !

« Il n’y a pas d’infirmières libérales au Liban. Certaines infirmières effectuent des soins à domicile ponctuellement, mais toujours en parallèle de leur travail à l’hôpital. D’autres infirmières dispensent des soins à domicile dans le cadre des fondations. Elles sont alors salariées de ces structures qui sont responsables et en contact avec les patients. Elles s’occupent par exemple des femmes qui viennent d’accoucher et qui demandent un accompagnement au domicile les trois premiers mois. Personnellement, je n’aurais pas aimé travailler à domicile, car l’environnement n’est pas aussi sécurisé qu’à l’hôpital. Mais peut-être que les fondations vont mettre en place des protocoles clairs garantissant la sécurité des soins, cela me paraîtra alors plus cohérent. »