Gérontologie
CAHIER DE FORMATION
POINT SUR
docteur en pharmacieenseignante en IFSI
Les prescriptions médicamenteuses inadaptées, mais aussi l’automédication, sont sources de iatrogénie médicamenteuse, en particulier chez le patient âgé.
Selon la Haute Autorité de santé, trois anomalies de médication ont été décrites chez le patient âgé. En s’inspirant du modèle anglo-saxon, on parle d’« overuse » pour l’excès de traitement, de « misuse » pour une prescription inappropriée, et d’« underuse » pour une insuffisance de traitement.
Il s’agit de l’utilisation de médicaments prescrits en l’absence d’indication (comme une prescription excessive de benzodiazépines, sans tenir compte des modifications physiologiques du sommeil avec l’âge) ou dont le service médical rendu est insuffisant, c’est-à-dire n’ayant pas prouvé leur efficacité (comme les vasodilatateurs cérébraux dans le déficit cognitif).
→ C’est l’utilisation de médicaments dont les risques, chez le sujet âgé, dépassent les bénéfices attendus. Le recours à ces médicaments devrait être limité, voire proscrit chez le patient âgé (même s’ils ne sont pas à proprement parlé contre-indiqués). Différents auteurs ont proposé des listes de médicaments à éviter chez la personne âgée.
→ Le premier à avoir réfléchi à ce concept est le gériatre M.H. Beers dans les années 1990 aux États-Unis. En France, une liste de médicaments potentiellement inappropriés à partir de 75 ans (dite « de Laroche ») a été établie par le centre régional de pharmacovigilance de Limoges en 2007. Elle regroupe une trentaine de médicaments ou classes médicamenteuses, comme les médicaments ayant des propriétés anticholinergiques, les benzodiazépines dont la demi-vie est supérieure ou égale à 20 heures (bromazépam, clobazam, clorazépate, diazépam, loflazépate, nitrazépam, nordazépam, prazépam), les anti-hypertenseurs d’action centrale, les laxatifs stimulants, les sulfamides hypoglycémiants à longue durée d’action…
→ Elle répertorie aussi cinq situations cliniques justifiant d’éviter certains médicaments :
• en cas d’hypertrophie de la prostate ou de rétention urinaire chronique, les anticholinergiques sont contre-indiqués car ils augmentent le risque de rétention urinaire aiguë ;
• en cas de risque de glaucome par fermeture de l’angle (patient hypermétrope, prédisposé par un angle irido-cornéen étroit), les anticholinergiques qui exposent au risque de crise aiguë de glaucome par fermeture de l’angle, en raison de leur propriété mydriatique, sont contre-indiqués ;
• en cas d’incontinence urinaire, les anti-hypertenseurs alphabloquants peuvent majorer l’incontinence ;
• en cas de démence, les anticholinergiques sont à éviter car ils peuvent aggraver des troubles cognitifs ;
• en cas de constipation chronique, les anticholinergiques sont à proscrire car ils exposent au risque d’occlusion intestinale.
→ C’est l’absence d’instauration d’un traitement efficace. Certaines pathologies comme l’hypertension artérielle, la fibrillation auriculaire, la dépression ou l’ostéoporose sont en effet parfois sous-traitées chez le patient âgé. Or, une trop faible attention portée à diverses pathologies (associées trop hâtivement à l’âge) ou à certains signes cliniques (comme la douleur, rapidement mise sur le seul compte de la vieillesse) peut priver le patient d’un traitement qui lui est pourtant indispensable.
→ Par ailleurs, certains médicaments sont sous-utilisés en gériatrie par crainte d’effets indésirables, comme par exemple les bêtabloquants dans l’insuffisance cardiaque par crainte de bradycardie délétère, alors qu’ils pourraient s’avérer utiles comme chez les autres patients insuffisants cardiaques.
→ Selon un sondage mené en 2015 à la demande du Leem (Les entreprises du médicaments) par l’Institut français des séniors, la part de l’automédication dans la population gériatrique apparaît importante : 63 % des séniors interrogés disent prendre des médicaments par eux-mêmes, 39 % utilisent ceux disponibles dans leur armoire à pharmacie et 45 % achètent des médicaments sans ordonnance.
→ Or, selon certaines études, l’automédication serait à l’origine de 9 % des accidents iatrogènes. D’après le rapport Queneau datant de 2008, l’automédication est en effet associée à quatre types de risque : les effets indésirables (risque indépendant d’un mésusage), les interactions, le mésusage et le retard de diagnostic.
→ Toute prise de médicament, même disponible sans ordonnance, peut être à l’origine de survenue d’effets indésirables, et notamment d’allergies.
→ Par ailleurs, certains médicaments contenant des principes actifs d’origine végétale sont considérés à tort comme inoffensifs par le grand public, comme les laxatifs anthracéniques, qui peuvent pourtant provoquer d’importants troubles hydroélectrolytiques.
L’ajout, par automédication, d’un ou plusieurs médicaments au traitement habituel majore le risque d’interaction, notamment chez les patients âgés polymédicamentés.
→ Le mésusage correspond à l’utilisation inadaptée d’un médicament, non conformément à son autorisation de mise sur le marché et aux recommandations de bonnes pratiques.
→ Il peut s’agir d’une erreur d’indication (utilisation d’un antitussif pour soulager une toux grasse par exemple, utilisation de lopéramide pour stopper une diarrhée induite par antibiotiques) ou d’un non-respect des contre-indications (utilisation de vasoconstricteurs par un hypertendu mal équilibré ou d’anticholinergiques chez un patient souffrant d’adénome de la prostate, par exemple).
→ On entend également par mésusage un non-respect des posologies et des durées de traitement : 25 % des accidents iatrogènes cardiovasculaires ou neurologiques graves liés aux vasoconstricteurs sont dus à un non-respect des contre-indications ou de la durée de traitement (limitée à 5 jours).
→ L’automédication peut masquer des symptômes et retarder un diagnostic (chez un patient âgé, la prise d’inhibiteurs de la pompe à protons peut retarder une fibroscopie et la découverte d’une sténose peptique ; la prise d’antalgiques pour traiter des douleurs lombaires peut retarder un diagnostic de lithiases ou de pyélonéphrite par exemple).
→ De même, l’automédication peut masquer les effets indésirables d’un premier traitement et retarder un diagnostic de iatrogénie (prise de laxatif pour traiter une constipation éventuellement induite par opiacés ou sétrons, d’antiémétique pour soulager des nausées induites par opiacés, de paracétamol pour soulager des céphalées induites par antagonistes calciques, de produits drainants pour traiter un œdème de membre inférieur induit par antagonistes calciques, d’antitussif pour traiter une toux sèche induite par inhibiteurs de l’enzyme de conversion…).
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.