L'infirmière Libérale Magazine n° 364 du 01/12/2019

 

Trouble du comportement

CAHIER DE FORMATION

POINT SUR

Anne-Gaëlle Harlaut*   Dr Claire Patry**   Christine Buttard***  


*gériatre, équipe mobile de gériatrie de l’hôpital Bretonneau (Paris) et Maison des aînés et des aidants Paris Nord-Ouest
**infirmière consultante à titre libéral
***spécialiste de l’incurie (Savoie)

Un patient reclus, qui entasse, se néglige et ne demande aucune aide… Choix de vie ou syndrome de Diogène ? À domicile, l’infirmière libérale est un acteur de poids pour repérer les situations à risque et les signaler.

Définition

Le syndrome de Diogène n’est pas une pathologie mais un ensemble de symptômes. Sans entité clinique stricte, il n’est pas défini dans le manuel diagnostique et statistique de santé mentale mais se caractérise par plusieurs critères :

→ un critère principal : le patient ne demande rien, alors qu’aux yeux d’un visiteur il aurait besoin de tout, et il est en apparence indifférent à ses troubles ;

→ des critères secondaires : un rapport pathologique aux objets, au corps et/ou aux autres.

Description

Clinique

→ L’absence de demande d’aide concerne le milieu social, familial et médical. C’est souvent la demande du voisinage qui déclenche le signalement.

→ La relation aux objets tend généralement vers l’entassement pathologique (dit aussi syllogomanie) d’objets hétéroclites (papiers, journaux, emballages…), parfois d’ordures, d’excréments… Plus rarement, elle tend vers un habitat vide.

→ La relation au corps relève généralement d’une négligence totale dans les soins d’hygiène (l’incurie pouvant aussi toucher l’habitat, la nourriture, les médicaments…). Plus rarement, on observe une propreté excessive.

→ La relation à autrui se caractérise par une misanthropie (évitement social, vie recluse), avec néanmoins un possible « porteur de panier » qui assure le lien extérieur. Plus rarement, on observe à l’inverse une philanthropie.

Diversité et évolution

→ Les tableaux sont très divers individuellement mais on définit néanmoins des typologies du syndrome : le syndrome « complet » associe les trois critères secondaires, les syndromes « partiels » n’en affichent que deux voire un seul de manière simultanée. Dans une étude(1) sur 50 individus, 2 sur 3 présentaient un syndrome partiel mais l’accumulation compulsive était retrouvée dans 90 % des cas.

→ Les troubles peuvent évoluer d’un extrême à l’autre dans le temps, passant par exemple d’une propreté maladive à une négligence totale.

Étiologie

Primaire ou secondaire

→ Dans environ 50 % des cas, le syndrome (dit secondaire) est associé à une pathologie : troubles émotionnels (schizophrénie, paranoïa…), neurodégénératifs (Alzheimer, Parkinson, démence…), alcoolisme.

→ Dans les autres cas, dits « primaires », on retrouve souvent une personnalité atypique (caractère fort, intelligence hors du commun…) et un stress déclenchant (deuil, vieillissement…).

Dénominateur commun

Des spécialistes relèvent une histoire de vie particulière et plus précisément un traumatisme dans la petite enfance (0-3 ans).

Prévalence et critères de détection

→ La prévalence, variable selon les études de 1 individu sur 2 000 à 1 individu sur 10 000, est peu significative car seuls les cas connus sont pris en compte.

→ Les deux sexes sont touchés, avec une prédominance féminine, majoritairement après 60 ans, quels que soient le type ou le lieu d’habitat et le niveau social.

Risques et conséquences

Sans prise en charge, la situation se dégrade progressivement, généralement sur des années, avec des risques liés à l’incurie et à l’isolement :

→ médicaux : dénutrition, infections, plaies ulcérées, décompensation de pathologies, intoxication alimentaire, anxiété… ;

→ sociaux : exclusion, absence d’aides financières, de droits, expulsion… ;

→ domestiques : nuisibles, bactéries, moisissures, odeurs, risque d’incendie, d’effondrement…

Prise en charge

Difficultés

Le repérage est rendu difficile par le refus d’accès et d’intervention. Un changement brutal, désencombrement de l’habitat ou hospitalisation sous contrainte, peut mettre en jeu le pronostic vital. L’approche, idéalement lente et progressive, se heurte à la pression de l’entourage.

Objectifs

Il n’existe pas de prise en charge codifiée : ce syndrome ne se soigne pas mais peut bénéficier d’un accompagnement selon les besoins. Les enjeux sont le maintien à domicile et le rétablissement d’un lien médico-social consenti (qui peut prendre plusieurs mois) pour limiter le risque de complications.

Ressources

L’accompagnement, multidisciplinaire, fait intervenir selon les besoins différents services, idéalement en réseau : médico-psychologiques, sociaux (aide à la personne…), juridiques (mandataire judiciaire) et techniques (réhabilitation de l’habitat).

Après repérage et signalement, les interventions et leur coordination sont confiées à des structures de terrain (lire l’encadré).

  • (1) Jean-Claude Monfort, Emmanuel Devouche, Catherine Wong, Isabelle Péan, Laurence Hugonot-Diener, Diogenes syndrome : a prospective observational study, J Aging Res Clin Practice 2017; 6: 153-157.

Pourquoi Diogène ?

Déjà décrit et diversement nommé, ce syndrome prend le nom de Diogène en 1975 à l’initiative de Clarck, gériatre anglais. Il fait ainsi référence au philosophe grec Diogène de Sinope et aux similitudes avec son mode de vie : réclusion dans une amphore, négligence de soi, misanthropie.

Quels rôles pour l’Idel ?

→ Repérage. Les Idels ont une place privilégiée pour repérer les signes d’alerte : pièces où elles ne peuvent entrer, entassement progressif, odeurs, canalisations bouchées, installations électriques défectueuses, aide à domicile qui ne vient plus…

→ Lien. L’Idel est l’un des liens extérieurs qui peuvent persister et, dans certains cas, elle joue le rôle d’aidant, voire de « porteur de panier ». Ce lien peut être essentiel. Néanmoins, l’Idel peut se trouver instrumentalisée, surinvestie, et ne peut gérer seule une situation qui se dégrade. Il est important d’alerter d’autres professionnels suffisamment tôt, avant que la situation ne devienne catastrophique.

→ Signalement. Peu de signalement émanent des Idels, pourtant elles peuvent le faire en s’adressant aux services sociaux de la mairie, aux services territoriaux « personnes âgées – personnes handicapées (PAPH) » ou aux plateformes territoriales d’appui (PTA) qui les dirigeront vers les structures locales impliquées dans l’accompagnement des individus atteints du syndrome de Diogène : centres locaux d’information et de coordination gérontologique (CLIC), Maisons des aînés et des aidants (M2A), équipes mobiles géronto-psychiatriques…). Attention néanmoins à garder un lien de confiance en ne portant pas seule l’initiative du signalement et en axant la démarche sur les besoins de la personne (soins, autonomie…) plutôt que sur les conditions de vie. En effet, le signalement est souvent vécu comme une agression.

→ Suivi. L’Idel peut être sollicitée par les équipes multidisciplinaires pour un rôle de veille après intervention.

L’auteure déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.