L’avenant n° 6 de la Convention nationale des infirmières, signé le 29 mars 2019, fait évoluer les dispositions démographiques existantes pour les Idels. Objectif affiché : favoriser l’accès aux soins par une répartition plus équilibrée des infirmières libérales sur le territoire. Quels en sont les enjeux ?
« Nous sommes la première profession à avoir disposé d’une régulation démographique, rappelle Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil). D’autres ont suivi, comme les masseurs-kinésithérapeutes, mais pas nécessairement dans le cadre de la même organisation. » Pour les Idels, la première régulation démographique avec un conventionnement sélectif date de l’avenant 1 à la convention, signé en 2007. Pourquoi cette régulation ? « À l’époque, l’accès aux soins à l’échelle du territoire était hétérogène », explique Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). « L’Assurance maladie a aussi souhaité contrôler les dépenses en soins infirmiers, estimant que plus il y aurait d’infirmiers, plus la demande en soins serait importante », fait savoir Catherine Kirnidis.
Les premières mesures de régulation ont pour objectif de rééquilibrer l’offre de soins avec des règles strictes dans les zones surdotées (une installation pour un départ) et des contrats incitatifs dans les zones sous-dotées. « Ces mesures ont eu la vertu d’un peu mieux rééquilibrer les installations », indique Catherine Kirnidis, qui reconnaît qu’à l’époque, le Sniil n’était pas à 100 % d’accord avec l’Assurance maladie, mais avait conscience de la nécessité de prendre ce type de mesures, notamment pour sécuriser l’activité des Idels déjà installées. Car certaines Idels se sont retrouvées dans des situations de concurrence impactant le maintien ou le développement de leur activité. « Nous avons pris des risques, mais l’accueil favorable de la mesure par les Idels installées dans des zones sous tension ou dans celles sur-dotées nous a confortés dans notre choix, renchérit Daniel Guillerm. Il nous paraissait nécessaire d’essayer de réguler l’offre pour l’homogénéiser sur le territoire. » Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière, est beaucoup plus nuancée : « La suppression de la liberté d’installation me dérange car nous sommes des libéraux. Or aujourd’hui, nous sommes régulés par l’État, tout devient étatisé. Pourquoi la libre concurrence du marché ne pourrait-elle pas s’appliquer à notre profession ? »
Une fois la régulation actée, un problème a vite suivi : l’absence de réactualisation régulière de la cartographie du zonage « basée sur des données prévalentes et non incidentes, rappelle Daniel Guillerm. Le zonage est donc rapidement devenu obsolète », malgré la révision de 2012. La profession a alors plaidé pour une réactualisation plus régulière de cette cartographie, une requête qui semble légitime avec une croissance de la population infirmière de 5 % par an depuis douze ans. La demande a finalement été entendue et actée dans le cadre de l’avenant 6 à la convention nationale, qui valide l’utilisation d’un nouvel outil pour l’élaboration du zonage : l’accessibilité potentielle localisée (APL), élaborée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). Comme l’explique la Drees, l’APL est un indicateur local d’adéquation entre l’offre et la demande de soins. Il se mesure par le nombre d’équivalents temps pleins (ETP) d’infirmiers libéraux accessibles pour les habitants d’une commune donnée, en tenant compte des besoins de soins infirmiers d’après la consommation observée par tranche d’âge au niveau national et du temps d’accès à ces professionnels. « Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du bassin de vie, avec la mesure de l’APL, l’accessibilité dépend du temps d’accès aux soins », explique la Drees. « L’outil est beaucoup plus dynamique, plus affiné et correspond davantage à la réalité du terrain », fait remarquer Daniel Guillerm. « Avec les critères de l’APL, certaines zones auparavant sous-dotées en Idels sont devenues sur-dotées et inversement, ce qui confirme les biais de l’ancien système », ajoute Catherine Kirnidis. Convergence infirmière, satisfaite du choix de l’outil, regrette cependant l’absence de « mise à plat » de la cartographie infirmière. « Nous avions demandé à ce qu’il y ait une vérification du secteur d’activité des Idels afin de s’assurer par exemple que les infirmières installées en zones intermédiaires y exercent réellement », pointe du doigt Ghislaine Sicre. Une demande qui n’a pas abouti.
Les syndicats sont actuellement dans l’attente de la signature de l’arrêté ministériel actant le nouveau zonage, permettant ainsi la mise en place des mesures prévues par l’avenant, qui en découlent. « Cette méthodologie du zonage doit être traduite dans un arrêté ministériel, explique Sandrine Frangeul, adjointe au département des professions de santé à la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam). Il devrait être soumis au Haut Conseil des professions paramédicales (HCPP) en novembre et publié en décembre. » Chaque agence régionale de santé dispose par ailleurs d’une marge de manœuvre sur la classification des zones en fonction de paramètres régionaux n’ayant pas pu être pris en compte dans les critères définis au niveau national. Elles vont pouvoir en tenir compte dans le cadre d’arrêtés régionaux attendus pour début 2020.
« L’enjeu de cette nouvelle cartographie des Idels est double, poursuit Sandrine Frangeul. L’objectif est d’abord d’essayer d’optimiser leur répartition sur le territoire pour répondre aux besoins d’accès aux soins. Puis, il s’agit de sécuriser la viabilité économique des cabinets, qui n’est pas assurée si toutes les Idels s’installent dans les mêmes zones. »
Des mesures sont également prévues par l’avenant 6 pour les zones sur-dotées. Le dispositif de régulation du conventionnement est maintenu et, désormais, en cas de cessation d’activité d’un infirmier, la place vacante ne pourra être attribuée qu’au seul successeur de l’infirmier, qui devra être nommé. Si ce n’est pas le cas, la place vacante disparaîtra. « Ce durcissement est souhaité par la profession, rappelle Sandrine Frangeul. Nous pouvons en effet considérer que s’il y a un repreneur, c’est qu’il y a un besoin. Et inversement. » Le fait que le successeur soit désigné nommément par l’Idel est une mesure nécessaire pour la FNI car « nous ne voulons pas que ce soit les échelons locaux de l’Assurance maladie qui décident de qui s’installe », rapporte Daniel Guillerm. L’avenant prévoit également qu’un infirmier ayant obtenu son conventionnement en zone sur-dotée sera tenu d’initier ses formalités d’installation dans les six mois suivant la notification de la décision de conventionnement afin d’éviter le « blocage artificiel » de places. Le dispositif affiche cependant quelques biais. Il n’est, par exemple, toujours pas possible pour une infirmière installée en zone sur-dotée d’avoir une collaboratrice car cette dernière ne pourra pas s’installer. « Sa seule solution est de prendre un remplaçant mais elle pourra alors être accusée de faux salariat », prévient Ghislaine Sicre. Et d’ajouter : « Il faudrait améliorer le dispositif notamment pour les infirmières qui exercent seules en cabinet et qui ont besoin de travailler avec des collaborateurs. » « J’aurais aimé qu’on offre la possibilité pour les infirmières qui veulent ralentir leur activité avant de partir à la retraite ou parce qu’elles viennent d’avoir des enfants d’avoir un collaborateur », renchérit Catherine Kirnidis.
Pour les zones intermédiaires ou très dotées situées en périphérie des zones sur-dotées, un encadrement du conventionnement est mis en place. L’Idel qui s’installera nouvellement dans l’une de ces zones devra y réaliser les deux tiers de son activité afin d’éviter certains biais, notamment que l’intégralité de son exercice soit effectuée en zone sur-dotée.
Enfin, les mesures incitatives dans les zones sous-dotées sont maintenues mais évoluent (lire l’encadré). « Ces contrats incitatifs sont nécessaires en raison des carences dans certains territoires », estime Ghislaine Sicre. Mais la discussion devrait être plus globale. « Il faut redynamiser la vie collective et sociétale, en lien avec les collectivités locales car on a organisé, dans la ruralité, des déserts. Comment une Idel va-t-elle pouvoir s’installer s’il n’y a pas de médecin ? Comment faire venir les médecins sans épicerie, poste ou banque ? Nous avons tous besoin d’un certain dynamisme », ajoute-t-elle. La nouvelle cartographie va cependant avoir des conséquences sur les Idels installées puisque certaines zones, identifiées comme sous-dotées, vont potentiellement évoluer et les contrats incitatifs proposés aux Idels ne seront pas renouvelés. « Nous avons prévu, dans le cadre de l’avenant, un dispositif pour la stabilité des contrats en cours, prévient Sandrine Frangeul. Comme ils sont d’une durée de trois ans, ils courent jusqu’à leur terme. Mais si la zone sous-dotée change de catégorie avec la nouvelle cartographie, l’Idel ne recevra plus d’aide à l’issue du contrat. » « Il faut que les infirmières aient conscience qu’on ne s’installe pas en libéral sans avoir auparavant effectué une étude de marché, soutient Catherine Kirnidis. Une Idel ne peut pas vouloir s’installer dans une zone uniquement parce qu’elle va bénéficier d’une aide. Ce n’est pas cohérent. »
La Cnam, en lien avec une caisse primaire, travaille sur un outil qui permettra au professionnel de visualiser la cartographie de répartition sur l’ensemble du territoire et d’avoir une visibilité sur les places disponibles ou les zones aidées. Il sera d’abord mis à disposition des médecins avant d’être accessible aux autres professionnels de santé, dont les infirmiers.
« Je suis installée depuis vingt ans à Caudéran. À l’origine, nous étions vingt ; aujourd’hui, nous sommes cent quatre-vingt-cinq. Je suis sur un secteur classé en zone intermédiaire. Il faudrait que nous passions en zone sur-dotée car cette arrivée d’Idels a eu un impact sur mon exercice. Le téléphone ne sonne plus autant qu’il y a quinze ans. Depuis sept ans environ, on ressent une baisse d’activité réelle. Nous devons donc travailler notre réseau. Les nouveaux installés travaillent sur le secteur mais aussi en zone sur-dotée. Ils prennent le travail partout. Sur ma zone, un infirmier s’est installé seul et, au fur et à mesure des années, il a réuni autour de lui quarante collaborateurs. Ce n’est pas possible ! Il a d’ailleurs une instruction à l’Ordre des infirmiers. Pour faire face à ces changements, nous avons évolué dans notre offre de soins : nous réalisons moins de soins techniques et plus de nursing. Mais heureusement, étant installée depuis vingt ans, j’ai une patientèle ancienne et le bouche-à-oreille fonctionne. Mais pour un nouvel arrivé, il est difficile d’exercer sur le secteur. Je conseille de faire une étude de marché car aujourd’hui certains s’installent sans que la zone n’ait de besoins particuliers. »
« J’exerce en zone sur-dotée et c’est vraiment problématique pour mon exercice car cela m’empêche d’avoir des collaborateurs. J’ai exercé pendant plusieurs années avec deux associées mais nous nous sommes séparées. J’ai alors rejoint une maison médicale, et j’ai pris une remplaçante. Elle a fait une première demande de collaboration qui a été refusée, mais sa seconde demande a été acceptée. Une autre remplaçante est arrivée fin 2016. Elle a aussi demandé la collaboration, qui lui a été refusée. Entretemps, ma collaboratrice est partie car l’exercice était trop stressant. Aujourd’hui, j’attends de voir le changement de zonage avant de chercher d’autres collaborateurs. On m’a informée que ma zone pourrait devenir sous-dotée. J’y vois deux raisons : la pénurie de professionnels de santé en Île-de-France et le fait que Fourqueux ait été rattachée à Saint-Germain-en-Laye, en zone intermédiaire. Un changement de zone est fondamental pour moi car je souhaite avoir des collaborateurs. À 61 ans, je veux pouvoir former des jeunes pour qu’ils prennent la suite de mon cabinet. C’est un patrimoine personnel et financier et je ne veux pas avoir à le brader. »
L’avenant 6 crée trois nouveaux contrats incitatifs applicables aux Idels exerçant dans les zones très sous-dotées. Le contrat d’aide à la première installation (37 500 euros sur cinq ans, non renouvelables) est destiné aux infirmières conventionnées s’installant en zone très sous-dotée et sollicitant pour la première fois leur conventionnement. Le contrat d’aide à l’installation pour les Idels conventionnées s’installant en zone très sous-dotée attribue 27?500 euros sur cinq ans non renouvelables. Enfin le contrat d’aide au maintien pour les infirmières déjà installées dans ces zones octroie 3 000 euros par an sur trois ans, renouvelables. Pour bénéficier de ces contrats, l’infirmière devra exercer entre trois et cinq ans dans la zone, y justifier d’un niveau d’activité suffisant, exercer en groupe et remplir la condition permettant de percevoir les indicateurs socles de l’aide à la modernisation et à l’information. Les Idels peuvent toucher 150 euros en plus par mois en s’engageant à accueillir un étudiant infirmier pour le stage de fin d’étude. « Les ARS vont pouvoir prendre des arrêtés régionaux pour décliner ces contrats incitatifs, fait savoir Sandrine Frangeul, adjointe au département des professions de santé à la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Elles peuvent, pour 20 % des zones, majorer de 20 % le montant des aides prévues dans la convention. » Ces arrêtés devraient être publiés début 2020.
« Aix-en-Provence a toujours été classée en zone sur-dotée. Les alentours sont des zones intermédiaires. Personnellement, cela ne me pose pas de problème dans le cadre de mon exercice, car lorsque j’ai rejoint ce cabinet de deux infirmières, elles avaient déjà leur patientèle et leur réputation. Nous sommes aussi connues des autres professionnels de santé, le bouche-à-oreille fonctionne. Mais des Idels contournent la législation en s’installant dans les zones intermédiaires pour ensuite exercer en zone sur-dotée. Avec les nouveaux critères APL, certaines de ces zones intermédiaires vont devenir des zones très sur-dotées. La CPAM devrait normalement vérifier le respect du zonage. Les Idels qui contournent la régulation se retrouvent aussi parfois avec un manque de travail et une patientèle très appauvrie. Le problème majeur, ce sont les infirmières qui se lancent en libéral sans avoir conscience qu’il s’agit d’une création d’entreprise. Il n’y a pas de formation sur le sujet, les Idels doivent faire les démarches elles-mêmes pour se former. Il faut protéger celles qui sont déjà installées mais aussi les futures infirmières afin d’éviter qu’elles se retrouvent dans des situations économiques dramatiques. »
1 Les Idels disposent d’un conventionnement à l’installation depuis plus de dix ans. Pourquoi pas les médecins ? Les médecins considèrent qu’il ne faut pas remettre en cause le principe de la libre installation. Mais je ne vois pas au nom de quoi on refuserait de remettre ce sujet dans le débat, surtout lorsque l’on constate la détresse des patients dans certains territoires, qui n’ont pas accès à des médecins généralistes ou spécialistes.
2 Pourquoi vouloir l’imposer aux médecins ? Aujourd’hui, de très nombreuses professions de santé répondent à des règles pour une juste répartition sur l’ensemble du territoire national. Outre les infirmiers, c’est le cas aussi des kinésithérapeutes ou encore des pharmaciens. Je porte l’idée d’un nouveau contrat entre la nation et les médecins. La nation prend en charge leurs études et, au travers de l’Assurance maladie, leurs revenus. Qu’y a-t-il de choquant à demander aux médecins d’organiser, avec la puissance publique, leur installation pour répondre aux besoins des patients et des territoires ?
3 Comment y parvenir ? L’objectif n’est pas de contraindre, mais de réguler, comme c’est le cas avec les infirmières. On peut imaginer un dispositif de conventionnement sélectif similaire, avec une installation pour un départ dans les territoires largement dotés en médecins. Ils pourraient alors s’installer partout ailleurs où ils le souhaitent. Nous avons besoin d’une cartographie fine des réalités médicales de nos territoires, via un indicateur territorial de l’offre de soins. Sur cette base, les ARS auraient la capacité de donner l’autorisation ou non de s’installer. L’urgence est devant nous. Il faut prendre des mesures car l’ouverture du numerus clausus ne produira des effets que sur le long terme. Mais les résistances sont fortes. Il ne s’agit pourtant pas d’imposer, mais bien de discuter autour de règles nouvelles. Je défendrai une nouvelle proposition de loi le 27 novembre en commission des affaires sociales, car le débat ne peut pas en rester là face à la détresse qui grandit dans les territoires.