Cette année, tous les pharmaciens de France et de Navarre pouvaient vacciner contre la grippe. Les retours du terrain et les premiers chiffres disponibles montrent qu’ils ne s’en sont pas privés, effectuant environ un quart des injections… au grand dam des Idels.
1 vaccin = 1 café offert. C’est ce qu’on pouvait lire sur une affiche placardée à l’entrée d’une pharmacie du Var à l’automne dernier. Face à la fronde qui s’était alors levée sur les réseaux sociaux, l’officine en question avait retiré le message litigieux. Mais l’affaire a matérialisé les craintes nourries par de nombreuses Idels face à la vaccination antigrippale en officine : la profession devait désormais faire face à la concurrence des pharmaciens sur une activité considérée comme faisant partie du cœur de métier d’infirmière. La vaccination antigrippale en officine a fait, en 2017-2018, l’objet d’une expérimentation en Nouvelle-Aquitaine et en Auvergne-Rhône-Alpes qui a été étendue aux Hauts-de-France et à l’Occitanie en 2018-2019. Mais l’hiver 2019-2020 fait figure de moment de vérité, car l’expérimentation, jugée concluante par les pouvoirs publics malgré des chiffres peu spectaculaires (lire encadré), a été généralisée sur l’ensemble du territoire. On attend encore les premiers résultats officiels pour connaître l’ampleur de l’activité des pharmaciens-vaccinateurs. Mais des estimations précoces semblent indiquer que celle-ci est substantielle.
Car si l’on ne dispose pas encore des données du ministère de la Santé ou de Santé publique France sur la campagne vaccinale, on peut se tourner vers celles d’OpenHealth Company, société spécialisée dans l’analyse de données en temps réel qui suit notamment un panel de 11 700 pharmacies françaises représentatives du secteur. En extrapolant à l’échelle du pays entier ce qu’elle observe dans cet échantillon, OpenHealth Company estime que les pharmaciens avaient, au 1er janvier 2020 (soit un mois avant la clôture de la campagne de vaccination), effectué 2,8 millions des 10,9 millions de vaccinations réalisées sur l’ensemble du territoire. Soit, 26 % du total.
Par ailleurs, OpenHealth Company note que son estimation du taux de couverture vaccinale des personnes de plus de 65 ans était, au 7 janvier 2020, de 57 %, soit 6 points de plus qu’en 2019 à la même date. Faut-il voir là un effet direct de la vaccination en officine ? « Nous ne sommes pas en mesure de le démontrer », tempère Patrick Guérin, président d’OpenHealth.
D’autant plus significatif que sur le terrain, les Idels ressentent concrètement les effets de la vaccination en officine. « En 2017, avant la mise en place de la vaccination en officine, j’avais vacciné 49 personnes, et seulement 27 cette année », raconte, par exemple, Delphine Debaud, installée à Parthenay, dans les Deux-Sèvres. Sa collègue, Coralie Chassot, qui travaille dans le même cabinet, a connu une baisse similaire : 30 vaccinations en 2019, contre 46 en 2017. Et le cas de ce cabinet est loin d’être isolé.
Sur le groupe Facebook de l’Union nationale des Idels (Unidel), les témoignages d’infirmières ayant perdu des patients au profit des pharmaciens se comptent par dizaines. « De nombreuses personnes mettent en cause des pharmaciens qui font du “forcing” auprès des patients, en disant par exemple que l’Idel n’a pas le temps de les vacciner », dénonce Marieke Motto, présidente de l’association. Mais au fait, que représente exactement la vaccination dans l’activité d’une Idel ? « Pas beaucoup d’argent ! », sourit Delphine Debaud. « C’est même parfois une perte de temps, il faut prendre la tension, remplir beaucoup de papiers, tout cela pour 6,30 euros… » Mais il s’agit, selon la soignante, d’un lien avec de potentiels nouveaux patients. « Si la personne a par la suite besoin d’un bilan de sang ou d’injectons, elle nous appelle. »
Reste que les Idels vont devoir s’adapter à la nouvelle donne créée par la vaccination en officine. « Nous avons toujours un secret espoir que la mesure soit retirée, mais sincèrement, je n’y crois pas », avoue Marieke Motto. La présidente d’Unidel appelle donc les professionnels à « mettre leurs compétences en avant », et à « mieux éduquer les gens ». Il s’agit toutefois d’une tâche difficile : les patients doivent passer par la pharmacie pour aller chercher leur vaccin avant d’aller chez l’Idel, et il leur faut une bonne dose de loyauté envers leur infirmière attitrée pour résister à l’aspect pratique de la vaccination en officine.
Aussi, certains en appellent plutôt à la coopération qu’à la confrontation avec les pharmaciens. « Nous sommes complémentaires, nous ne touchons pas forcément les mêmes populations, et quand les professionnels savent se parler, les choses se passent bien », plaide, par exemple, Isabelle Varlet, présidente de l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) infirmiers de Nouvelle-Aquitaine. Celle-ci dénonce toutefois la médiatisation de la campagne de vaccination, qui a, cette année, été dans la presse généraliste presque exclusivement centrée sur la vaccination en officine. Elle entend donc pour l’année prochaine mettre l’accent sur la communication.
Du côté des pharmaciens, d’ailleurs, on ne demande pas mieux que de coopérer avec les Idels. « Quand les infirmières se sont mises à faire des piluliers ou du conseil de médication, les pharmaciens auraient pu dire que c’était leur cœur de métier. Mais il vaut mieux avancer ensemble et faire avancer la santé publique. », estime Pierre Béguerie, président du Conseil central A de l’Ordre des pharmaciens.Et l’officinal de rappeler que la couverture vaccinale recommandée par l’Organisation mondiale de la santé est de 75%. Encore un effort.
Si l’on en croit les données de Santé publique France, le bilan de l’expérimentation de la vaccination antigrippale en officine dans les quatre régions cobayes est loin d’être spectaculaire. En Auvergne-Rhône-Alpes, la couverture vaccinale était, en 2016-2017, avant le démarrage, de 44,8 %. Elle est passée à 46,5 %, en 2018-2019. En Nouvelle-Aquitaine, les chiffres sont respectivement de 47,5 et 48,7 %. Dans les Hauts-de-France et en Occitanie, où l’expérimentation a démarré en 2018-2019, on n’a noté qu’une augmentation de respectivement 1,1 et 1,0 point par rapport à l’année précédente, quand l’augmentation pour l’ensemble de la France était d’1,2 point.