CAHIER DE FORMATION
SAVOIR
La survenue d’un ulcère au niveau du pied est une complication fréquente chez les patients diabétiques. L’origine de ces ulcères est souvent mixte. Ils sont surtout dus à la perte de sensibilité aux déformations liées à la neuropathie, à laquelle peut s’associer une insuffisance artérielle ou une infection. Le fait que la grande majorité des amputations sont précédées d’un ulcère chez les patients diabétiques, rend primordiale la connaissance des facteurs de risque et de la prise en charge spécifique.
→ L’expression « pied diabétique » englobe toute infection, ulcération ou destruction des tissus profonds du pied survenant chez un sujet diabétique en lien avec une neuropathie et/ou une artériopathie oblitérante des membres. Les plaies peuvent concerner l’ensemble du pied mais environ la moitié se situe sur la face plantaire, les orteils compris. La pathologie « pied diabétique » « concerne de la même manière les diabètes de type 1 et de type 2. Elle est due aux complications de la maladie, à la neuropathie, à l’artérite des membres inférieurs et aux déformations du pied » rappelle le Dr Georges Ha Van, spécialiste en Médecine physique et de réadaptation dans l’unité de podologie du service de Diabétologie de l’Hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris.
Trois mécanismes contribuent à la survenue de plaies du pied diabétique chez les patients à risque : la neuropathie, l’artériopathie et l’infection. En 2014, la Haute autorité de santé (HAS)(1) indiquait que :
- une neuropathie est retrouvée dans au moins 60 % des plaies du pied diabétique ;
- en l’absence de neuropathie, une artérite est observée dans 15 % des cas ;
- une artérite est associée à une neuropathie dans 25 % des cas (plaies neuro-ischémiques).
La neuropathie diabétique est définie comme la présence de signes d’une dysfonction des nerfs périphériques chez une personne diabétique. Elle peut associer trois types d’atteinte : sensitive, motrice et végétative. La neuropathie diabétique peut être détectée en utilisant le test simple et fiable au monofilament de 10 g, le diapason (128 Hz), et/ou une mèche de coton (lire encadré infra).
→ L’atteinte sensitive
L’atteinte sensitive se manifeste par une disparition progressive de la sensibilité douloureuse superficielle. Cette perte de sensibilité expose les patients aux plaies cutanées dans la mesure où les « hyper-appuis » ou les blessures ne sont pas perçus et s’aggravent. C’est l’atteinte la plus fréquente. Elle est principalement en cause dans la problématique du pied diabétique. « La neuropathie est le critère majeur du pied diabétique qui devrait s’appeler « pied neuropathique ». Le pied ne devient « diabétique » qu’avec la neuropathie et la perte de sensibilité à l’origine des complications des plaies qui ne sont pas prises en charge à temps », estime le Dr Ha Van.
→ L’atteinte motrice
Cette atteinte correspond à un déficit moteur responsable d’une amyotrophie distale touchant la musculature intrinsèque du pied. Elle entraîne un déséquilibre entre muscles fléchisseurs et extenseurs, responsable à la longue de déformations de type orteils « en griffe ou en marteau », proéminence des têtes métatarsiennes, pied hypercreux, effondrement du médiopied. Ces déformations créent des zones au niveau desquelles surviendront les ulcérations : en regard de la tête des métatarsiens, sur la face dorsale des articulations interphalangiennes ou au niveau de la pulpe des orteils.
→ L’atteinte neurovégétative
Également appelée neuropathie autonome, l’atteinte neurovégétative entraîne :
- des anomalies de la sudation entraînant une sécheresse cutanée locale fragilisant le pied par l’apparition de crevasses ou de fissurations ;
- une altération de la régulation de la microvascularisation qui favorise œdèmes et troubles vasomoteurs avec une chaleur locale parfois augmentée, des pouls « bondissants » et la turgescence des veines du dos du pied ;
- des calcifications de la media des artères, mediacalcose, générant une rigidité artérielle qui gêne l’exploration et les gestes de revascularisation ;
- une fragilisation de la peau propice aux ulcérations.
Caractéristiques :
- une artériopathie des membres inférieurs est plus fréquente et de localisation plus diffuse et plus distale chez les personnes diabétiques que chez les non diabétiques ;
- l’artériopathie diabétique est caractérisée par une atteinte circulatoire liée à une athérosclérose précoce ;
- elle est le plus souvent associée à la neuropathie ;
- la perte de sensibilité due à une neuropathie rend l’artériopathie diabétique souvent indolore et sans claudication intermittente. Elle peut ne se révéler qu’à l’occasion d’une ulcération.
L’artériopathie diabétique est due à la macroangiopathie diabétique qui correspond à une atteinte des artères musculaires allant de l’aorte jusqu’aux petites artères distales d’un diamètre supérieur à 200 µm.
La macroangiopathie atteint l’intima des artères de gros et moyens calibres.
→ Deux grands types de lésions :
- l’athérosclérose : le dépôt de plaque d’athérome à l’intérieur des vaisseaux entraîne un rétrécissement des artères ;
- la médiacalcose : calcification de la média des artères de moyen et petit calibres (zone centrale de la paroi des artères).
→ Conséquences de l’artériopathie :
- état d’ischémie chronique responsable d’une mauvaise nutrition et d’un mauvais développement tissulaire (trophicité), d’une sensibilité accrue aux traumatismes et d’une diminution du potentiel de cicatrisation ;
- risque d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI).
→ Mesure de l’IPS (index de pression systolique) : c’est le rapport de la pression systolique mesurée à la cheville sur la pres sion systolique de bras. Interprétation des résultats :
- 0, 90 < IPS < 1,30 : normal ;
- IPS < 0,80 : AOMI ;
- IPS > 1,30 : ininterprétable. La fiabilité de l’IPS est limitée chez le patient diabétique en raison de la présence fréquente de médiacalcose, calcification d’une partie des artères qui entraîne une rigidité artérielle excessive et rend l’IPS ininterprétable.
→ Écho-doppler des membres inférieurs : il permet un bilan morphologique et hémodynamique complet pour le dépistage et le suivi de l’AOMI ou de la revascularisation.
→ Mesure de la pression transcutanée en oxygène (TcPo2) : c’est plutôt un élément pronostique de cicatrisation. Une valeur inférieure à 30 mmHg (seuil de l’ischémie critique) évoque un mauvais pronostic de guérison en l’absence d’une revascularisation (3).
→ Artériographie : elle rend possible un diagnostic lésionnel précis. Elle est indispensable avant toute revascularisation.
« Dans l’immense majorité des cas, l’infection n’est pas la cause première d’une plaie mais une complication d’une plaie du pied diabétique à risque [neuropathie, AOMI et/ou déformation]. Elle survient dans un contexte de plaie chronique souvent mal prise en charge », observe le Dr George Ha Van. « Dans un premier temps, la plaie s’infecte au niveau des parties molles. Puis, seulement dans un second temps, après quelques semaines, l’os est infecté par contiguïté avec le sepsis des parties molles. »
L’infection d’une plaie est plus fréquente chez les personnes diabétiques en raison du déficit des défenses cellulaires et des nombreuses anomalies des polynucléaires neutrophiles, ou granulocytes neutrophiles, qui ont pour fonction la défense non spécifique de l’organisme, notamment la lutte antibactérienne. Ces anomalies sont aggravées par l’hyperglycémie.
L’infection, qui n’est pas ellemême à l’origine de l’ulcération, peut en compliquer l’évolution et aggraver le pronostic quand elle se propage en profondeur aux structures sous-cutanées : muscles, tendons, articulations et os. Les infections modérées ne présentent pas de signe d’extension régionale ou générale. En revanche, la présence de symptômes généraux comme une fièvre, des frissons, une hyperleucocytose importante ou des troubles métaboliques majeurs reflètent une infection plus sévère associée à un risque pour le membre, voire pour la vie du patient (2). L’infection fait la gravité de la plaie.
Les plaies du pied chez un patient diabétique ne sont pas dues au diabète lui-même mais à une association de facteurs mécaniques externes sur un terrain associant une perte de sensibilité protectrice cutanée et, de plus en plus souvent, une insuffisance de la perfusion cutanée. Le traumatisme externe est très souvent en lien avec les chaussures. Ces facteurs mécaniques sont théoriquement le plus souvent évitables par des mesures de prévention bien observées (lire savoir faire).
La majorité des plaies du pied diabétique associent neuropathie diabétique et artériopathie périphérique ; elles sont dites neuroischémiques. Dans les autres cas, les ulcères neuropathiques sont beaucoup plus fréquents que les plaies purement ischémiques à cause d’une artériopathie.
Le « pied neuropathique » est chaud, sec, décharné, les veines du cou-de-pied (articulation du pied et de la jambe) sont turgescentes associées à un pouls qui donne l’impression de rebondir, « pouls bondissant ». Le pied est souvent très creux avec une hyperkératose en regard de la tête des métatarsiens. La sensibilité est nettement diminuée, voire abolie. Les réflexes achilléens sont souvent absents lors de la percussion du tendon d’Achille.
C’est l’ulcération neuropathique par excellence.
→ Description
Le mal perforant plantaire a un aspect dit à « l’emporte-pièce » et ressemble à un petit cratère avec des bords abrupts entourés d’un halo d’hyperkératose. Contrairement à ce que laisse penser son nom, la plaie n’est pas douloureuse. Elle a un aspect atone, grisâtre, sans dépôt fibrineux ni nécrose. Elle siège préférentiellement sous la tête des métatarsiens ou à la face plantaire des orteils, mais survient aussi au niveau de toute autre zone d’appui ou de cisaillement. Le principal risque est celui d’une infection se propageant rapidement aux parties molles et aux structures osseuses sousjacentes.
→ Mécanisme d’apparition
Le mal perforant plantaire a pour origine des zones d’hyperpression localisée et de cisaillement. Une hyperpression localisée provoque un épaississement de la peau. Un durillon se forme mais la marche n’est pas interrompue par la douleur à cause de la perte de sensibilité. La peau s’épaissit et la vésicule inflammatoire qui se forme sous cette hyperkératose s’agrandit avec la persistance de l’hyperpression, dissèque le tissu environnant et finit par s’ouvrir à l’extérieur. « C’est un durillon qui a mal tourné », résume le Dr Ha Van.
→ Description
L’ostéoarthropathie nerveuse, ou pied de Charcot, n’est pas consécutive à un traumatisme externe. C’est la conséquence ultime de la neuropathie. Elle aboutit à des déformations importantes et à une instabilité ostéo-articulaire, et peut conduire à une amputation. L’atteinte osseuse est relativement indolore et souvent unilatérale, et peut concerner un ou plusieurs os du pied. À la phase aiguë, un traumatisme minime de type entorse est souvent décrit.
→ Évolution
L’atteinte évolue en deux phases.
- À la phase aiguë : œdème intra-osseux et fissurations osseuses se transforment souvent, par absence de mise en décharge en urgence, en lyse osseuse et articulaire, fractures spontanées et subluxations. Des signes d’inflammation locale et un œdème souvent volumineux et chaud sont présents. À cette phase, le pied de Charcot ressemble à une algodystrophie, une fracture, une entorse, une crise de goutte ou une phlébite.
- À la phase chronique qui suit la phase aiguë, après 2 à 6 mois d’évolution, une reconstruction osseuse pérennise les déformations importantes du pied rendant le chaussage difficile et favorisant la survenue d’ulcérations. Par exemple, la convexité de l’arche plantaire du pied en « tampon buvard » favorise les ulcérations sur la face plantaire du médio-pied, région qui n’est normalement pas en contact avec le sol lors de la marche.
Le pied ischémique est froid, dépilé, cyanotique. Une érythrose de déclivité ou « signe de la chaussette » est observée en cas d’AOMI lorsque le malade laisse pendre la jambe atteinte. Cette érythrose est caractérisée par une rougeur de la peau au niveau de la cheville et du pied jusqu’au milieu du mollet. Les pouls sont amortis, voire absents, et il n’y a pas d’hyperkératose.
→ Description
Les ulcères ischémiques sont caractérisés par une plaie infectée qui, associée à l’ischémie, aboutit à une gangrène sèche et limitée ou à une gangrène humide avec extension vers les tissus profonds. La plaie ischémique peut être très douloureuse sauf si une neuropathie concomitante diminue la sensibilité à ce niveau. La zone de nécrose est entourée d’un halo érythémateux inflammatoire. Les plaies ischémiques surviennent le plus souvent sur les faces dorsales ou latérales du pied ou des orteils.
→ Mécanisme d’apparition
Ces ulcères ischémiques ont une origine essentiellement mécanique et peuvent survenir après un traumatisme minime. Par exemple, à cause d’un ongle incarné non soigné ou de soins des pieds traumatisants. Le plus souvent, ils sont dus à un frottement excessif entre le pied et la chaussure. Ceci explique leur localisation fréquente sur les bords du pied ou sur la face dorsale des orteils. La plaie ischémique peut aussi concerner le talon en cas d’alitement prolongé et d’hyperpression localisée sur un terrain d’insuffisance circulatoire. Ces ulcères passent souvent inaperçus à cause de la perte de sensibilité due à la neuropathie associée.
→ La nécrose ischémique distale
La nécrose tissulaire distale avec gangrène parcellaire (mortification des tissus, nécrose) survient brutalement après un traumatisme et touche habituellement un ou plusieurs orteils. Elle débute par une zone violacée qui évolue vers un noircissement de l’orteil. Deux situations se distinguent :
- en l’absence de surinfection ou à la suite de son traitement : la gangrène est sèche et l’atteinte reste limitée. La partie nécrosée se dessèche et tombe spontanément, on parle d’auto-amputation par momification ;
- en cas de surinfection : la gangrène est humide et la zone de nécrose est entourée d’un halo inflammatoire, voire purulent. La nécrose peut s’étendre et nécessiter une amputation chirurgicale.
La nécrose tissulaire distale avec gangrène parcellaire (mortification des tissus, nécrose) survient brutalement après un traumatisme et touche habituellement un ou plusieurs orteils. Elle débute par une zone violacée qui évolue vers un noircissement de l’orteil.
Deux situations se distinguent :
- en l’absence de surinfection ou à la suite de son traitement : la gangrène est sèche et l’atteinte reste limitée. La partie nécrosée se dessèche et tombe spontanément, on parle d’auto-amputation par momification ;
- en cas de surinfection : la gangrène est humide et la zone de nécrose est entourée d’un halo inflammatoire, voire purulent. La nécrose peut s’étendre et nécessiter une amputation chirurgicale.
(1) « Comment prévenir les rehospitalisations d’un patient diabétique avec plaie du pied ? », HAS, novembre 2014.
(2) « Consensus International et des Recommandations sur le pied diabétique », International Working Group on the Diabetic Foot (IWGDF), mai 2011.
(3) « Importance de la décharge dans le traitement des lésions du pied diabétique », Revue Médicale Suisse, juin 2011.
Si vous ne sentez pas bien la chaleur de l’eau ou la fraîcheur du sol avec vos pieds, si vous ne repérez pas tout de suite la présence d’un corps étranger ou d’une couture blessante dans votre chaussure, si vous ne sentez pas tout de suite que vos chaussures neuves sont trop petites ou serrées ou si vous vous êtes déjà blessé au pied sans l’avoir perçu. Consultez alors votre médecin traitant ou votre pédicure podologue pour évaluer votre risque podologique. Le déficit moteur dû à la neuropathie diabétique entraîne des déformations du pied sous forme d’orteils « en griffe ou en marteau », de proéminence des têtes métatarsiennes et de pied hypercreux.
En 2013, en France :
→ Les hospitalisations pour plaies du « pied diabétique » concernaient :
- 668 personnes diabétiques sur 100 000, avec un âge moyen de 71,5 ans ;
- 1 621 personnes diabétiques sur 100 000 âgées de 90 ans et plus ;
- 2,6 fois plus d’hommes que de femmes à tous les âges ;
- 1,4 fois plus les personnes diabétiques de moins de 60 ans bénéficiant de la Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).
Remarque : 30 % des personnes porteuses d’une plaie étaient rehospitalisées dans l’année.
→ Les hospitalisations pour amputation d’un membre inférieur concernaient :
- 252 personnes diabétiques sur 100 000 avec un âge moyen de 71 ans ;
- 428 personnes diabétiques âgées de 90 ans et plus sur 100 000 ;
- 2,6 fois d’hommes que de femmes à tous les âges ;
- 1,5 fois plus les personnes diabétiques de moins de 60 ans bénéficiant de la CMU-C.
Remarque : 20 % des personnes amputées étaient réamputées au moins une fois au cours de l’année.
En 2010, le suivi à 4 ans des personnes hospitalisées pour une plaie du pied montrait que :
- 53 % étaient rehospitalisées au moins une fois pour une plaie du pied ;
- 30 % étaient été hospitalisées pour au moins une amputation d’un membre inférieur ;
- 37 % étaient décédées.
« Les hospitalisations pour complications podologiques chez les personnes diabétiques traitées pharmacologiquement en France en 2013 », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, juillet 2015.
Docteur Ha Van, spécialiste en Médecine physique et de réadaptation dans l’unité de Podologie du service de Diabétologie de l’Hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris.
L’approche thérapeutique du pied diabétique est trop orientée sur la dermatologie par les soins locaux de la plaie, et métabolique par le contrôle de l’hyperglycémie. Alors que ce type de plaie devrait bénéficier d’une approche à 100 % mécanique. La plaie du pied diabétique a une origine mécanique : l’hyperpression. Elle est entretenue pour une raison mécanique par la persistance de l’hyperpression. Elle est traitée de façon mécanique par sa mise en décharge. Elle est aussi prévenue par des mesures mécaniques par la diminution ou l’évitement des pressions sur les zones à risque. La réponse à un problème mécanique par un contrôle de la glycémie, des soins locaux et des antibiotiques pour l’infection engendre souvent une perte de temps. Sans mise en décharge, la plaie devient chronique donc plus susceptible de s’infecter. Et, la persistance de l’hyperpression favorise la propagation de l’infection jusqu’à l’os avec un risque d’amputation.
En cas d’artérite associée, l’importance de la mise en décharge est démultipliée.