Tandis que la société tente d’amorcer un virage environnemental, de plus en plus de soignants se saisissent de la question pour réduire leur impact carbone tout en informant leurs patients. Avec à la clé une prise de conscience salutaire qui conduit vers un soin plus responsable et une prévention primaire accrue.
C ela a-t-il encore du sens de faire uniquement du curatif alors qu’on peut agir en faisant de la prévention ? », s’interroge Philippe Perrin, éco-infirmier et directeur pédagogique de l’Institut de formation en santé environnementale (IFSEN). Si la question se pose, c’est que de plus en plus de maladies liées à l’environnement émergent : l’OMS estime par exemple que 9 personnes sur 10 respirent un air pollué dans le monde. Si l’on ajoute à cela la question des perturbateurs endocriniens, des déchets, de l’alimentation ou encore de l’eau, on se rend compte que le problème a pénétré toutes les couches de la société et qu’il est difficile d’y échapper. Tous les secteurs sont concernés et, au premier chef, celui de la santé. Un domaine qui est censé maintenir, selon la définition de l’OMS, « un état complet de bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladies ou d’infirmité ». Comment dès lors parvenir à cet état de bien-être alors même que l’on agit avant tout sur les conséquences des maladies et non sur les causes ? Une interrogation que se posent de plus en plus de soignants pour sensibiliser leurs patients et s’interroger sur leurs propres pratiques : « cela fait deux décennies que je travaille sur le sujet, explique Olivier Toma, président du Comité développement durable en santé (cd2s) et pionnier dans le domaine. Les dix premières années ont été difficiles et j’ai rencontré de nombreux freins. Les dix années suivantes ont été une révélation : on n’essayait plus d’opposer des arguments, mais on me demandait comment faire. De nombreuses solutions existent et avec un engagement collectif des professionnels de santé, on peut faire beaucoup pour réduire les impacts environnementaux, ceux sur la santé humaine, tout en créant du lien social et en optimisant les dépenses de santé. Le meilleur reste à venir ! ».
De nombreux professionnels lui ont emboîté le pas, dans les établissements de santé mais aussi dans l’exercice libéral : « nous faisons partie des professionnels de santé qui ont le plus de proximité avec les patients, quasiment les seuls à aller à leur domicile ; nous avons un rôle important d’éducation et de prévention auprès d’eux », estime Ghislaine Sicre, infirmière libérale investie dans le développement durable et présidente de Convergence Infirmière. De son côté, David Deransart, infirmier à Lyon (69) veut agir pour mettre fin à un cercle vicieux : « on intervient au plus près des gens, on les voit souffrir de maladies liées à l’environnement, ne pas s’alimenter correctement, connaître des difficultés à avoir des enfants… On se dit alors que quelque chose ne tourne pas rond et qu’il faut aller plus loin pour la santé en tant qu’infirmier », déclare celui qui a choisi de rejoindre les rangs d’une promotion IFSEN (lire l’encadré « se spécialiser ») et qui est depuis devenu animateur « nesting au sein du « Women engage for a common future » (WECF), un réseau international d’organisations féminines et environnementales pour essaimer la bonne parole en la matière. Au quotidien, lors des soins, il s’attache à ne pas surconsommer, notamment en matière de sets de soins, à recourir à des produits sans perturbateurs endocriniens ou à rincer ceux qui en contiennent pour éviter les dommages collatéraux, conformément à la doctrine d’Hippocrate « primum non nocere ». Bien qu’engagé, il reconnaît qu’il n’est pas toujours facile d’être totalement vertueux, notamment du fait de la réglementation qui impose le recours à l’usage unique. Pourtant, les soignants peuvent changer la donne : « nous avons bien sûr des contraintes dans le choix des produits à utiliser, mais nous devons aussi en faire un bon usage et un bon dosage, notamment en ce qui concerne l’utilisation des solutions hydroalcooliques. Nous pouvons aussi adopter une éco-conduite pour consommer moins de carburant lors de nos déplacements, lutter contre le gaspillage, avoir un impact numérique également moindre », énumère Philippe Perrin. En somme, analyser l’impact environnemental de toute une pratique…
Une démarche engagée par le cd2s qui a travaillé sur l’impact carbone des soins et a, par exemple, analysé celui d’une prise de sang, en établissement de santé, au CH de Carpentras (84) : « tout a été détaillé ; le temps passé à réaliser l’acte, la quantité de ressources utilisées, au grammage près, les déchets générés… Tout a été passé au crible », explique Olivier Toma. Et les résultats sont édifiants ! Sur une année, plus de 40 000 prises de sang ont été réalisées, induisant l’utilisation d’un volume d’eau équivalent à une piscine olympique et générant un peu plus de CO2 que sept tours du monde en avion ! Sans compter l’épuisement des ressources fossiles et les toxicités humaine et environnementale. Un impact colossal qui rend compte de l’activité de soins au niveau d’un hôpital mais imaginable à l’échelle d’un exercice libéral. Pour autant, pas question de stigmatiser les soignants dans leur pratique, mais plutôt de les aider à évoluer, à se poser des vers les perturbaquestions et à inventer un nouveau modèle d’éco-conception du soin. « Le comportement de chacun peut faire évoluer les choses. Par exemple, les soins sont générateurs de nombreux déchets, dont les DASRI ; en ne dépensant pas plus que ce dont on a besoin, on peut réduire notre impact, estime Ghislaine Sicre. Au niveau des médicaments, le gaspillage est énorme, une nouvelle filière est à inventer pour le réduire. J’aimerais vraiment pouvoir travailler avec les collectivités pour diminuer cette gabegie et faire un travail de formation avec les infirmiers, pour que nos pratiques soient plus vertueuses : le juste soin au juste coût pour un impact climatique moindre ». Émeric Vaillant, infirmier à Amboise (37) et récent diplômé de l’IFSEN, compte distiller ses connaissances au plus près des patients : « à titre personnel, j’ai opté pour la voiture électrique pour ma tournée et j’évite au maximum tout ce qui génère des déchets, à l’instar des kits suremballés. Je fais également partie d’une CPTS dans laquelle je lance un projet de santé environnementale, qui vise à améliorer la prise en charge des patients et limiter l’impact sur l’environnement. Même lorsque j’interviens à domicile pour un soin lambda, si je vois l’aide à domicile utiliser un nettoyant qui ne me semble pas adapté en termes de perturbateurs endocriniens, j’interviens également : c’est donc en périphérie du soin. J’aimerais bien aller plus loin en proposant une consultation infirmière sur cette thématique ». Reste à voir comment ces initiatives individuelles peuvent porter leurs fruits et essaimer au niveau du territoire.
Dans certaines régions, le levier vient de l’ARS qui accompagne les professionnels au contact de la population pour informer sur les risques liés à l’environnement : « pour toucher un public comme les femmes enceintes ou les jeunes enfants, nous sommes en lien avec les acteurs institutionnels et donc tous les professionnels de santé qui sont au contact de ces populations », raconte Claire Morisson, ingénieure sanitaire au pôle Santé-environnement de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, une région qui a intégré un plan régional santé-environnement (PRSE) orienté aider à évoluer, à se poser des vers les perturbateurs endocriniens. « Nous avons réalisé un sondage et demandé à ces populations qui leur semblait le plus pertinent pour informer en matière de santé-environnement : plus de 70 % ont répondu que c’étaient les professionnels de santé », détaille Sabine Hautreux en charge du PRSE à l’ARS Nouvelle-Aquitaine et pilote de la formation des professionnels de santé. L’occasion de mettre sur pied des formations pour les soignants, notamment des infirmiers, qui n’ont pas de module spécifique au développement durable lors de l’enseignement initial : « nous formons des infirmiers à cette thématique pour qu’ils puissent ensuite être mis à disposition des IFSI et devenir des référents dans le domaine ». Une dynamique qui pourrait inspirer les pouvoirs publics, de l’avis d’Olivier Toma qui les juge encore trop frileux, regrettant notamment l’absence d’un interlocuteur spécifique au niveau ministériel. Reste que sur le terrain, les infirmiers-colibris font leur part ; le mouvement est en marche pour inscrire cette thématique de la santé environnementale dans de nouvelles missions de l’exercice libéral.
(1) CPTS : communauté professionnelle territoriale de santé
(2) En référence à la légende du colibri https://www.colibris-lemouvement.org/mouvement /legende-colibri
Depuis septembre 2013, l’Institut de formation en santé environnementale (IFSEN) accueille des promotions d’une quinzaine de personnes, soignants (sages-femmes, kinésithérapeutes, infirmières), spécialistes de la petite enfance, de l’industrie cosmétique ou de l’agroalimentaire pour leur dispenser une formation de près de 200 heures sur la thématique de la santé environnementale. À la clé ? « L’acquisition de solides connaissances qui confèrent un savoir-être et un savoir-faire autour de la santé environnementale », résume Philippe Perrin, à l’origine de cette formation. Pour faire converger les convictions des uns avec les pratiques de tous.