« Une absurdité » pour les médecins libéraux - L'Infirmière Libérale Magazine n° 366 du 01/02/2020 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 366 du 01/02/2020

 

URGENCES : UN FORFAIT DE RÉORIENTATION VERS LA VILLE

ACTUALITÉ

Sandrine Lana  

Pour désengorger les urgences, le ministère des Solidarités et de la Santé propose d’expérimenter un forfait de réorientation des patients des urgences vers les médecins libéraux. Mauvaise solution pour les professionnels de ville qui préfèrent miser sur d’autres solutions comme les CPTS.

« À PARTIR DU 1er AVRIL 2020, UNE TRENTAINE DE SERVICES D’URGENCES POURRONT PARTICIPER À L’EXPÉRIMENTATION DE 24 MOIS D’UN FORFAIT DE 60 EUROS VERSÉ PAR L’ASSURANCE MALADIE pour réorienter les patients, dont l’état le permet, vers la médecine libérale », indique l’arrêté publié fin décembre au Journal officiel le 3 janvier dernier.

Face au constat d’une « croissance continue depuis 15 ans de l’activité des services d’urgences hospitalières (2 millions de passage) [qui] a des impacts multiples sur l’organisation des soins, la charge de travail des professionnels et sur les délais d’attente des patients », l’expérimentation devrait proposer un rendez-vous à environ 5 à 10 % des patients “inadequats” chez un praticien de ville, une maison médicale ou une maison médicale de garde. Selon les établissements, cela pourrait concerner entre 45 000 et 90 000 patients par an.

« Le forfait de réorientation, pour les patients concernés, se substitue à tous les autres éléments de rémunération de l’établissement (ATU, actes et consultations) sans avoir, en revanche, d’impact sur le FAU. Pour les praticiens libéraux, le forfait de réorientation ne peut déclencher la facturation de la majoration d’urgence (MU) en plus de la consultation et/ou des actes. Par ailleurs, le patient est exonéré de reste à charge sur le forfait de réorientation. Ce dernier peut, à tout moment, refuser la réorientation », peut-on lire dans l’arrêté.

Du côté du syndicat des médecins libéraux, MG France, la mesure passe mal : « C’est une mesure absurde. Cela prendra autant de temps de réorienter les patients que de les prendre en charge et cela va donc coûter 85 € [60 € du forfait et 25 € de consultation chez le médecin libéral, NDLR] au lieu de 25 € si le patient était venu directement nous voir », explique Dr Calmes, vice-président du syndicat pour qui le maillage des territoires est la clé du désengorgement. « On est en train de s’organiser dans les territoires avec les Idels, les pharmaciens pour la création des CPTS. C’est ça la solution pour la prise en charge de soins non programmés. Il faut agir en amont mais il faut nous laisser le temps de nous organiser. »

La décision de réorientation devra être prise par un médecin senior à la suite d’un processus qui doit encore être développée « dans chaque service d’urgence » et qui impliquera certainement la mise en place d’un questionnaire et la formation des professionnels. Les ARS pourront prendre en charge les besoins d’accompagnement, tandis que les besoins de formation du personnel le seront dans le cadre des actions de formation en interne.

Cette phase de test est prévue pour 24 mois à compter de la prise en charge du premier patient et « le forfait de réorientation aura un coût annuel de 5,8 millions d’euros en substitution d’une facturation “classique” de 4 millions d’euros ». S’il était étendu à tous les établissements, cela « entraînerait un surcroît des dépenses de l’ordre de 30 millions d’euros ».

Le ministère indique que « ce surcoût devra être pris en compte dans une réforme plus globale du mode de financement des urgences : avec une moindre rémunération pour la prise en charge des cas les plus légers aux urgences » et « des rémunérations plus élevées pour les cas les plus importants – par exemple personnes âgées et patients psychiatriques – ».

En 2019, la Cour des comptes saluait « la pertinence de cet incitatif financier » qui reste à évaluer(1). En 2014, les sages avaient déjà estimé qu’un tel forfait pouvait permettre de réaliser des économies de « 300 à 500 millions d’euros » à l’hôpital, alors que la DREES avait évalué qu’un passage aux urgences sur cinq étaient évitable(2). La réorientation est recommandée par différents organismes anglo-saxons, tels que la NHS (États-Unis) ou le Collège Royal des médecins urgentistes (Royaume-Uni).

(1) Les urgences hospitalières : des services toujours trop sollicités », rapport annuel 2019 https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/08-urgences-hospitalieres-Tome-2.pdf

(2) Rapport sur la Sécurité sociale 2014 « Chapitre XII : Les urgences hospitalières : une fréquentation croissante, une articulation avec la médecine de ville à repenser » https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/rapport_securite_sociale_2014_urgences_hospitalieres.pdf