L’Académie nationale de médecine a commandé un grand sondage sur les attentes des Français vis-à-vis de la médecine et des médecins. Et le moins que l’on puisse dire est que nos concitoyens ne font pas preuve de la plus grande sérénité.
C’EST L’HISTOIRE D’UNE VIEILLE DAME QUI, COURAGEUSEMENT, A DÉCIDÉ DE SE REGARDER DANS LE MIROIR : à l’occasion de la célébration de son bicentenaire, l’Académie nationale de médecine a, en partenariat avec l’institut OpinionWay et le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), demandé aux Français ce qu’ils pensaient de la médecine, des médecins et plus généralement du système de santé. Les résultats de ce sondage, effectué en ligne à l’automne dernier auprès de 1 530 personnes, ont été présentés au mois de février, lors d’une séance spéciale de l’Académie.
Premier constat, assez rassurant : les personnes interrogées aiment les professionnels de santé. Les plus plébiscités sont ceux que l’institut OpinionWay a choisi d’appeler « les personnels soignants »(infirmières, sages-femmes, aidessoignantes…), dont 95 % des sondés disent avoir une « très bonne » ou une « assez bonne » image. Viennent ensuite les chercheurs (93 %), ceux que le sondage qualifie de « paramédicaux » (podologues, kinés… : 93 % également), les médecins généralistes (92 %), les médecins spécialistes (91 %). « Je connais beaucoup d’hommes et de femmes politiques qui donneraient leur chemise pour avoir des taux de popularité pareils », commente Bruno Cautrès, chargé de recherches CNRS au Cevipof qui a travaillé sur l’enquête.
Mais tout en exprimant leur satisfaction vis-à-vis des soignants, les sondés se montrent largement conscients des difficultés que les blouses blanches rencontrent au quotidien. Ainsi, si les répondants estiment à 84 % que les pharmaciens sont « tout à fait » ou « plutôt » reconnus à leur juste valeur, ce chiffre tombe à 70 % pour les médecins généralistes, et il chute à 31 % pour les infirmières. Les aides-soignantes, elles, ferment la marche, avec seulement 25 % de personnes jugeant qu’elles sont reconnues à leur juste valeur.
Une vision du futur assez sombre
Plus inquiétant encore, les Français semblent préoccupés quant à l’évolution de leur système de santé. S’ils restent 80 % à considérer que celui-ci est « un des meilleurs du monde », ils estiment à 73 % que la médecine est « aujourd’hui moins humaine que par le passé », et sont 61 % à déplorer un système de soins « moins performant que par le passé ». La question de l’accès aux soins inquiète aussi beaucoup les sondés : seulement 64 % d’entre eux considèrent qu’il est « facile d’accéder aux soins en France, quel que soit son revenu ». Un chiffre qui tombe à 41 % lorsqu’on considère la possibilité d’accéder aux soins « quel que soit son lieu de résidence ».
Quand on les interroge sur le futur du système de santé, les sondés se montrent avant tout anxieux à propos de la question de la démographie médicale. Ils sont 70 % à citer le fait « qu’il y ait moins de médecins » comme l’une de leurs principales craintes pour la médecine de demain, et 69 % à évoquer la perspective de temps d’attente plus longs pour obtenir un rendezvous. Et s’ils sont 93 % à croire que la médecine de demain sera « plus technologique » et 77 % à estimer qu’elle sera « plus performante », ils sont aussi 90 % à prévoir qu’elle sera « plus chère ». Seulement 26 % estiment qu’elle sera « plus humaine ».
Des regards contrastés
Reste que ces résultats doivent être interprétés en tenant compte de l’origine sociale des répondants. « Il y a une pluralité de regards, articulés à des segmentations sociologiques assez fortes », décrypte Bruno Cautrès. « Les Français les mieux dotés en capacités économiques, en compétences culturelles, en niveau de diplôme, ont tendance à être plus optimistes. Inversement, ajoute-t-il, les moins bien lotis ont un regard plus sombre sur le système de santé ».
« Ce sondage définit davantage la limite entre les gens qui sont heureux et ceux qui ne le sont pas que la limite entre les gens qui sont malades et qui ne le sont pas », a d’ailleurs commenté le Pr Jean-François Mattei, président de l’Académie nationale de médecine, lors de la présentation des résultats. Et c’est justement l’une des difficultés pour l’avenir. « La médecine de demain va devoir gérer cette mosaïque d’attitudes et d’attentes contrastées, contradictoires, qui ne font pas toujours sens entre elles », analyse Bruno Cautrès. Un beau défi pour les futurs soignants..