RECHERCHE EN SOINS PRIMAIRES
Sur le terrain
Enquête
La recherche en soins primaires prend de l’ampleur en France. Elle est principalement portée par les médecins généralistes qui appellent les infirmières à se lancer, mais pas seules. Cette pratique se doit d’être encadrée pour être entérinée.
La recherche paramédicale libérale va suivre le même chemin que celui des médecins généralistes libéraux lorsqu’ils se sont rapprochés des universités pour effectuer de la recherche en soins primaires dans les territoires », estime le Dr Antony Chapron, médecin généraliste, maître de conférences des Universités en médecine générale (Rennes). Aujourd’hui, la majorité des départements de médecine générale ont des projets de recherche financés par la Direction générale de l’offre de soins (lire encadré). Ils sont mis en œuvre par des équipes de recherche dont les infirmières libérales (Idels) peuvent faire partie. Néanmoins, se lancer dans la recherche ne se fait pas sur un coup de tête. Cette pratique requiert une certaine culture et approche que « les infirmières en pratique avancée (IPA), par exemple, vont avoir puisqu’une activité de recherche est prévue dans leur formation, rappelle le Dr Chapron. Elles vont pouvoir être moteurs et instigatrices de projets de recherche ». Les infirmières « généralistes », en revanche, ne détiennent encore que trop rarement cette culture notamment parce que leur formation initiale n’aborde pas cette pratique.
Aucun préalable n’est demandé aux paramédicaux pour se lancer dans un projet de recherche. C’est le type d’appel à projet qui conditionne le niveau de complexité. Néanmoins, il est vrai que « le niveau d’étude concourt à la réussite des professionnels qui s’engagent dans un projet de recherche, souligne Frédérique Decavel, directrice des soins et directrice adjointe à la recherche au CHU de Toulouse. Les diplômes universitaires comme les Master 1 et 2 sont très opérationnels et révèlent bien souvent des idées de projets de recherche. Ils peuvent être suivis par un doctorat, parcours de recherche à lui seul, qui va de pair avec des publications scientifiques. » Les infirmières ne peuvent cependant pas encore s’engager dans un doctorat de sciences infirmières – à moins de l’avoir fait à l’étranger – puisqu’il n’existe pas en France. Elles peuvent néanmoins effectuer un doctorat en sciences de l’éducation, sciences humaines, anthropologie, épidémiologie, santé publique… La situation est cependant loin d’être bloquée puisque la mise en place, le 30 octobre dernier, d’un Conseil national des universités en Sciences infirmières va permettre d’ouvrir des postes de maîtres de conférences pour les infirmiers titulaires d’une thèse de sciences. « Nous espérons que le CNU va contribuer au développement de la recherche chez les soignants », reconnaît Caroline Berbon, infirmière coordinatrice dans une équipe régionale du Gérontopôle prévention et recherche sur le vieillissement au CHU de Toulouse. Par ailleurs, les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), les Équipes de soins primaires (ESP) ou les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) affichent comme objectif d’offrir un mode d’exercice permettant aux Idels d’être moins isolées. Cette structuration faisant émerger la notion d’équipe, elle permettrait ainsi d’envisager la participation des libéraux à des projets de recherche. « Une Idel peut tout à fait être l’investigatrice principale d’un projet de recherche et cela me paraît davantage possible dans le cadre d’une MSP ou d’une MSP universitaire (MSPU) », estime Caroline Berbon. Et d’expliquer : « La recherche, c’est contraint ; certains n’osent pas se lancer. La notion de temps est importante, tout comme le fait d’oser dire “j’ai cette idée et je souhaite la transformer en projet de recherche”. Le soutien d’une équipe permet de déjouer certains freins. » « Le monde libéral est le pilier de la recherche car les soignants peuvent suivre les patients sur le long terme, rapporte Sylvie Palmier, IDE référente Plaies et cicatrisation au CHRU de Montpellier. Mais pour tout ce qui concerne la recherche paramédicale, même en libéral, un soutien doit être cherché auprès du CHU. »
« Un professionnel libéral doit se faire aider s’il veut se lancer dans la recherche, renchérit Frédérique Decavel. Car la recherche, c’est d’abord une bonne idée, une revue de littérature solide et des soutiens experts à chaque étape avant de répondre à un appel à projet. » L’objectif est d’enrichir le corpus des connaissances sur le sujet étudié pour en faire bénéficier les patients. Impossible donc de faire l’impasse sur la méthodologie qui joue sur la validité du travail et le règlementaire. « Les appels d’offre édités requièrent l’élaboration d’un dossier, qui luimême nécessite une culture de recherche minimale, l’usage d’un langage scientifique permettant d’être crédible pour ainsi obtenir des financements », précise le Pr Jean-Yves Le Reste, médecin généraliste, professeur de médecine générale, directeur de l’équipe Soins primaires, Santé publique, Registre des cancers de Bretagne Occidentale (SPURBO). Ce n’est pas encore vraiment connu mais les CHU détiennent, dans leur mission, l’accompagnement méthodologique à la recherche des libéraux. De fait, au sein des directions de la recherche, des Unités de soutien méthodologique à la recherche (USMR) ou des Centres d’investigation cliniques (CIC), des professionnels experts dans tous les domaines de la recherche sont disponibles pour aider l’investigateur principal d’un projet de recherche. Ils peuvent l’orienter sur les appels d’offre, les financements, la méthodologie. « Aujourd’hui, en dehors des CHU, il n’existe pas de structure officielle, reconnue et dédiée aux libéraux, indique Frédérique Decavel. Une CPTS, par exemple, aura des difficultés à recruter une spécialiste en biostatistique ou en étude médico-économique. » Cette aide du CHU est d’autant plus précieuse que le temps consacré à monter le projet de recherche n’est pas financé. « La question de l’indemnisation se pose aussi car en libéral, qui dit recherche, dit moins de patients, le temps dédié à la recherche ne pouvant pas l’être aux soins », rappelle le Dr Chapron.
Au sein des établissements hospitaliers, des structures dédiées se mettent en place pour accompagner les professionnels libéraux.
Au CHU de Toulouse, Frédérique Decavel a monté la Plateforme CARES (Cellule d’appui à la recherche en soins). « Nous commençons à communiquer sur son existence pour les hospitaliers et les libéraux », fait-elle savoir. Via une adresse email unique (recherchesensoins@ chu-toulouse.fr), l’équipe répond en moins de 48 heures à toutes les questions. La plateforme peut être sollicitée par tous les professionnels soignants souhaitant faire de la recherche, et embrasse la pédagogie, le terrain et même l’intégration des données probantes dans les pratiques cliniques. La Plateforme CARES est à l’initiative, avec l’université Paul Sabatier de Toulouse, de la création d’un DU Recherche en soins. Il devrait ouvrir pour la rentrée universitaire de septembre. Il permettra aux étudiants issus du secteur libéral de trouver le soutien et la méthode personnalisés, pour construire leurs projets de recherche.
L’équipe SPURBO (EA 7479) accueille de son côté des infirmiers, des kinésithérapeutes, des aides-soignants en thèse, qu’ils soient libéraux ou salariés. « Pour le moment, nous n’avons pas d’infirmiers libéraux car l’investissement en temps est très important, rapporte le Pr Le Reste. Il faut pouvoir libérer un jour par semaine pendant trois ans au minimum sur un projet de recherche, en plus du temps personnel. » Et de conseiller : « Les Idels peuvent démarcher notre structure sans avoir de thématique mais juste une volonté forte de faire de la recherche. Nous pourrons alors les associer à des projets financés. » La volonté de ce groupe est d’intégrer des Idels « car nous savons que nous ne ferons jamais de protocole pluriprofessionnel correct tant que nous n’aurons pas d’infirmiers formés au langage et à la recherche, estime le Pr Le Reste. Les infirmiers doivent discuter de leurs contraintes d’autant plus qu’en recherche, tous les chercheurs sont sur un pied d’égalité. » Aujourd’hui, ils sont dans l’attente d’avoir une première génération d’infirmiers qui se lance dans ces travaux. « Nous pouvons être optimistes, le développement est dans les tuyaux car des équipes comme la mienne sont prêtes à accueillir des infirmiers. Des places sont aujourd’hui à prendre alors qu’il y a cinq ans, il n’y avait rien », conclut-il.
Marie-Hélène Lassallette, Idel à Toulouse et trésorière de l’Association de recherche en soins infirmiers (Arsi).
« Il est compliqué pour les Idels de faire de la recherche car elles ont énormément de travail au niveau structurel et organisationnel. Nos jours de congés nous servent à effectuer notre comptabilité, nos papiers. Certes, nous exerçons en cabinet, souvent en groupe, mais chacun a ses horaires, ses jours de repos. Il est difficile de faire équipe. Sur notre territoire toulousain, nous avons mis en place des associations chapeautées par Sidéral Santé pour nous structurer, avoir une charte qualité et nous engager à nous former. De nombreuses Idels sont aujourd’hui titulaires de DU et Master, ce qui pousse à la recherche. Mais encore faut-il pouvoir le faire, se former pour avoir la maîtrise du langage, savoir travailler en équipe, chercher une problématique. Tout cela ne s’invente pas. Pour nous, libéraux, les CPTS peuvent être un support intéressant à la recherche car c’est le moyen de se structurer en équipe. Mais il faudra toujours demander un accompagnement à l’hôpital ou à l’université. »
Comment la recherche en soins primaires est-elle financée aujourd’hui ?
Les différents appels d’offre du ministère de la Santé financés par la DGOS via l’Objectif national des dépenses de l’Assurance maladie (Ondam) hospitalier sont ouverts à la recherche en soins primaires. En cas de succès à ces appels à projets, les fonds sont versés via les Agences régionales de santé (ARS) aux établissements de santé ou au Groupement interrégional de recherche clinique et d’innovation (GIRCI) dans le cadre de convention. Les professionnels de santé libéraux peuvent, bien entendu, participer et collaborer à ces recherches sans toutefois être gestionnaires des financements. Une réflexion doit cependant être menée pour faire évoluer la recherche clinique notamment en soins primaires parce qu’avec le virage ambulatoire, les parcours des patients changent. Ces derniers sont moins pris en charge à l’hôpital où ils restent moins longtemps. C’est tout le sens de la stratégie de transformation du système de santé (Ma santé 2022). Dans ce cadre, un objectif majeur est de favoriser les liens d’équipe, les collaborations interprofessionnelles, et de fluidifier les liens ville-hôpital en créant des relations entre les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) et les libéraux via notamment les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), afin qu’ils puissent mieux travailler ensemble. La recherche en soins primaires doit évoluer pour se calquer sur cette réorganisation territoriale.
Un financement de la recherche en libéral est-il possible ?
L’idée qu’un financement soit versé directement aux libéraux pour faire de la recherche n’est pas la solution. La recherche en santé, incluant la recherche en soins primaires, ne peut pas se concevoir sans un travail d’équipe avec des chercheurs et des structures d’aide et d’appui, ne serait-ce que pour chercher des financements et être en mesure de répondre avec succès à des appels à projets compétitifs. Il ne faut donc pas opposer la recherche qui pourrait être faite par des professionnels de santé exerçant dans des établissements de santé, et le libéral. Ces exercices sont complémentaires. Les directions de la recherche clinique et de l’innovation (DRCI) et les Unités de recherche clinique (URC), structures d’appui et d’aide à la recherche présentes dans les CHU notamment, doivent pouvoir s’adapter en créant des URC mobiles destinées à aider les libéraux à participer activement à la recherche en soins primaires. Il ne sert à rien de recréer en libéral des structures existant déjà à l’échelle hospitalière. Mieux vaut mettre en place des réseaux. Ces URC mobiles permettraient ainsi de répondre à cette évolution du parcours patient.
Grégory Lépée, infirmier libéral à Gerzat (Puy-de-Dôme) et doctorant au Québec.
« On a souvent tendance à considérer que les infirmiers sont les petites mains des médecins et qu’on ne peut rien faire d’autre. Or, nous avons de nombreuses possibilités, notamment de formation. Il faut les saisir ! Faire de la recherche peut paraître très éloigné de notre métier de technicien. Or, cela permet de mieux appréhender notre profession et certaines problématiques majeures comme, dans mon cas, le suicide, ma thématique de recherche. En France, après avoir terminé mon Master 2 en droit, direction, organisation et accompagnement des structures sanitaires, sociales et médico-sociales, j’ai voulu poursuivre avec un doctorat mais c’était le parcours du combattant. Ce n’est pas dans les mœurs, en France, que les infirmiers fassent de la recherche. Nous ne sommes pas valorisés. Je me suis donc tourné vers le Québec, j’ai déposé une demande de candidature à l’Université du Québec à Montréal (Uqam) avec un pré-projet de thèse et j’ai été accueilli à bras ouverts. J’effectue mon doctorat en quatre ans et ensuite, il sera valable en France. »
Les professionnels de santé peuvent répondre aux appels d’offre de cinq programmes de recherche soutenus par le ministère de la Santé.
Deux programmes à visée directement « thérapeutique » :
– le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) a pour objectif d’améliorer la santé humaine et le progrès des techniques de soins ;
– le programme de recherche translationnelle (PRT) permet d’appliquer à la recherche clinique les découvertes issues de la recherche fondamentale.
Trois programmes autour de l’organisation de travail des équipes médicales :
– le programme de recherche médico-économique (PRME) a pour objet d’évaluer l’efficience des technologies de santé ;
– le programme de recherche sur la performance du système des soins (PREPS) évalue les organisations professionnelles améliorant la qualité des soins et des pratiques ;
– le programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) accompagne les démarches innovantes qui favorisent l’amélioration des pratiques et la qualité des soins.