L'infirmière Libérale Magazine n° 367 du 01/03/2020

 

DERMATOLOGIE

ACTUALITÉ

Caroline Bouhala  

docteur en pharmacie

La toxicomanie entraîne souvent des complications. Parmi elles, les manifestations dermatologiques sont fréquentes et sont à traiter alors que le patient toxicomane peut être difficile à suivre.

« ON OUBLIE BIEN SOUVENT QUE LES MANIFESTATIONS DERMATOLOGIQUES FONT PARTIE DE LA LONGUE LISTE DES COMPLICATIONS DE LA TOXICOMANIE », ANNONCE AMÉLIE SCHOEFFLER, DERMATOLOGUE AU CHR DE METZ-THIONVILLE LORS DU CONGRÈS PLAIES ET CICATRISATION 2020. « Or, elles sont très fréquentes et concernent 60 à 86 % des usagers de drogue ». Parmi les produits illicites, les trois plus consommés sont le cannabis (en tête, avec environ 700 000 usagers quotidiens), suivi, de loin, par la cocaïne et l’héroïne. Ces manifestations dermatologiques sont importantes à rechercher car elles sont parfois pathognomoniques, particulièrement chez les toxicomanes injecteurs, et permettent ainsi de suspecter une toxicomanie rarement avouée par le patient.

Manifestations dermatologiques hors plaies

On retrouve, par exemple, le Puffy Hand Syndrome qui touche 7 à 16 % des toxicomanes IV et correspond à un œdème souvent bilatéral des mains, indolore, lié à une toxicomanie IV ; les pop scars qui sont des cicatrices plutôt déprimées et arrondies, secondaires de l’injection intradermique de drogues, des cicatrices linéaires sur le trajet des injections appelées « Railroad Tracks », mais également des tatouages involontaires et des nodules qui sont la conséquence du dépôt des substances non solubles utilisées pour couper la drogue (ex. : talc, amidon, sucre, etc.), voire parfois des bouts d’aiguilles. La plupart de ces manifestations sont définitives, ce qui laisse au patient une trace de sa toxicomanie à vie.

Les particularités des plaies du toxicomane

Peu d’études existent dans la littérature mais elles estiment qu’environ 15 % des toxicomanes présentent des plaies de jambe. Ces plaies sont corrélées au profil des usagers de drogue, et concernent majoritairement une population masculine, avec une moyenne d’âge autour de la quarantaine.

« Les plaies aiguës sont essentiellement le fait de toxicomanie intraveineuse », explique Dr Schoeffler, « elles se situent soit au regard du site d’injection, soit en aval, et souvent dans des localisations atypiques ». Les plaies aiguës surviennent généralement rapidement, dans les heures qui suivent l’injection ; ce sont le plus souvent des manifestations ischémiques, associées à une douleur intense, une abolition du pouls, une cyanose, une nécrose, etc.

Les plaies chroniques sont également principalement observées lors de toxicomanies intraveineuses (80 % des cas), mais peuvent pour leur part également être observées chez les toxicomanes utilisant la voie inhalée ou nasale. « Quand vous avez un ulcère chronique chez un homme jeune, il faut chercher une cause rare, comme la toxicomanie », recommande le Dr Martin « et si, en plus, vous avez une localisation atypique, cela doit faire tilt ». Ces plaies se retrouvent essentiellement dans le territoire d’injection ou en aval mais l’injection dans les jambes est beaucoup plus à risque que dans le bras. « Il existe à peu près dix fois plus de risques de développer des ulcères chroniques suite à une injection intraveineuse dans les jambes que dans les bras », explique le Dr Martin. Ces plaies sont essentiellement liées à l’insuffisance veino-lymphatique : complication connue de la toxicomanie IV. D’autres mécanismes physiopathologiques peuvent être en cause : la chronicisation des plaies aiguës, une atteinte microcirculatoire ou des vascularites.

Dans le cas de toxicomanies inhalées, les plaies sont très différentes. Elles sont majoritairement situées au niveau des extrémités (55 % aux pieds). Elles sont nécrotiques dans 100 % des cas, de petite taille et dans un contexte d’artériopathie clinique (90 % des cas).

Une prise en charge compliquée

Les toxicomanes sont des patients particulièrement difficiles à prendre en charge. « Ils ont des plaies récidivantes dans près d’un cas sur deux, évoluant depuis plus d’un an, et quasiment un tiers sont perdus de vue, ce qui est énorme », partage Hélène Martin. « Ils ont également comme spécificité de s’injecter la drogue dans leur plaie quand ils n’ont plus de réseaux veineux ou artériels leur permettant l’injection et c’est vraiment la principale source de retard de cicatrisation », ajoute le Dr Schoeffler.

Une prise en charge multidisciplinaire est préférable, associant notamment dermatologue, addictologue, psychiatre, assistante sociale… mais la place de l’infirmière semble également complexe : « je me suis rendue compte que beaucoup de toxicomanes faisaient leur pansement tout seul et renvoient toutes les infirmières », explique le Dr Martin.

*H. Martin, H. Bursztejn, A.C. Albuisson, E. Leguern, A. & Mahé, Emmanuel Villemur, Beatrice & Blaise, Sophie Perceau, G. Goujon, Elisa Lok, Catherine Philippe, Modiano Debure, C. Guillot, B. Maillard, H. Say, M. Carvalho-Lallement, P. Dompmartin, A. Journet-Tollhupp, J. Schmutz, J.-L Schoeffler, P. Senet. (2019). Caractéristiques des plaies chroniques chez les toxicomanes : étude rétrospective de 58 patients. Annales de Dermatologie et de Vénéréologie. 146. 10.1016/j.annder.2019.09.004.

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