À Marseille, la Pass de ville inclut les professionnels de santé libéraux pour endiguer le renoncement aux soins.
LE LOGO DE MÉDECINS DU MONDE (MDM) HABILLE LA FAÇADE DE CE GRAND IMMEUBLE AUSTÈRE DU 3E ARRONDISSEMENT DE MARSEILLE, L’UN DES QUARTIERS LES PLUS PAUVRES D’EUROPE. Depuis un an, la Pass de ville accompagne des patients étrangers sans droits ouverts à la Sécurité sociale et réoriente vers les généralistes qui ont accepté de suspendre la facturation jusqu’à l’obtention de l’AME par les patients.
Les personnes qui se rendent à la Pass, via le bouche-à-oreille ou orientées par des centres d’hébergement d’urgences ou des maraudes, sont des personnes étrangères sans papiers n’ayant pas de droits ouverts dans un système où l’accès aux soins est régulièrement modifié ou compliqué. Près de mille personnes y ont transité en 2019 : la moitié pour des soins dentaires, le reste venant pour une prise en charge de soins généralistes ou, à la marge, gynécologiques. L’URPS Médecins libéraux Paca est coporteur de cette première Pass de ville hors Île-de-France. « Nous avons passé des annonces pour trouver des médecins prêts à intégrer la Pass de ville, reçu des candidatures et orienté vers MDM », se souvient le Dr Saccomano, président de l’URPS ML.
Pour l’instant, les soins paramédicaux sont pris en charge par les salariés de MDM présents ou par l’hôpital. Si le nombre de prises en charge de malades chroniques augmente, la recherche de partenaires infirmières pourraient se justifier. L’expérimentation durera trois ans.
Aujourd’hui, une trentaine de médecins libéraux et pharmaciens, un cabinet dentaire, trois dentistes, un cabinet d’imagerie médicale ont accepté d’« utiliser leur tampon magique ». La Dr Brieussel, médecin libérale dans le 14e arrondissement de Marseille est enchantée de sa décision d’avoir rejoint la Pass de ville. « J’ai accepté des patients au cabinet. Cela ne gêne pas du tout mes consultations. Nous utilisons un tampon “MDM” sur les ordonnances. Cela permet un fléchage vers les autres professionnels de santé comme la pharmacie qui attendra aussi pour facturer au patient », explique-t-elle. La généraliste reçoit essentiellement des femmes en début de grossesse ou des patients avec des douleurs ou infections ORL. De nombreux médecins effectuaient déjà des actes gratuitement avant la Pass mais le dispositif favorise l’accès aux médicaments, à l’imagerie ou aux spécialistes.
Quant à la facturation des actes, « je ne l’ai pas encore demandée. Honnêtement, ce n’est pas le principal… », poursuit la Dr Brieussel. Les professionnels de santé mettent en stand-by la facturation des actes jusqu’à ce que la situation administrative des patients soit régularisée. « 70 % des patients sont éligibles à l’AME mais n’en sont pas bénéficiaires. Dans 30 % des cas non éligibles à l’AME, MDM dispose d’une enveloppe pour rendre possible l’accès aux soins de personnes restant sans droit. En France, 80 % de personnes éligibles ne demanderaient pas l’AME, selon les expériences relevées sur le terrain. Les embûches sont nombreuses : barrières administrative et linguistique, demande de preuve de domiciliation « abusive » pour des personnes n’ayant parfois pas de toit ou qu’un logement précaire. D’autres ont peur du refus ou ne savent pas se diriger dans l’espace de la ville.
Pour ces personnes déjà précarisées, la situation pourrait empirer avec le vote de la Loi de financement de la Sécurité sociale 2020 (LFSS). « Alors qu’aujourd’hui, un demandeur d’asile a un accès immédiat à l’AME, la réforme instaure un délai de trois mois de carence sans prise en charge. Chez des personnes fragiles et malades, retarder l’accès à l’AME, c’est retarder le soin. Il y a un risque de renoncement aux soins important et un risque de santé publique. Cette réforme technique fait peser une épée de Damoclès sur les dispositifs Pass. La santé des migrants est une variable d’ajustement du budget de la santé et de la politique migratoire », déplore Jermain Roqueplan, assistant social de la Pass de ville.
En marge, c’est tout un système qui risque d’être ébranlé. « À l’heure où les urgences sont débordées, c’est faire reposer sur ce service des cas que l’on peut aisément prendre en charge en ville. C’est contradictoire avec le bon sens et cela coûte plus cher », poursuit l’assistant social. Les libéraux et salariés de MDM attendent les décrets d’application de la LFSS pour mieux appréhender l’avenir…