L'infirmière Libérale Magazine n° 367 du 01/03/2020

 

LA VIE DES AUTRES

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Laure Martin  

Aide-soignant, Yvan Hacherez travaille au sein du Centre psychothérapeutique de l’Orne (CPO) à Alençon (Normandie). Il a développé une approche thérapeutique non médicamenteuse pour les patients.

Enfant, j’habitais à côté du pavillon des enfants d’un hôpital psychiatrique et je les entendais crier » raconte Yvan Hacherez. Par empathie, il souhaite suivre une formation rapide pour effectuer un stage derrière ces murs. Il choisit celle d’aide-soignant. « Pendant mon école primaire, j’ai subi des maltraitances physiques et verbales, confie-t-il. Cela m’a limité dans mes apprentissages pendant mon cursus scolaire. » Sa formation d’aide-soignant lui permet cependant d’obtenir, comme souhaité, un stage au CPO.

La découverte de l’univers psychiatrique

À l’issue de son stage, Yvan est embauché par l’établissement. À l’époque, les aides-soignants sont cantonnés dans les pavillons de soins de suite, en psychiatrie de type « asilaire ». Les patients pris en charge souffrent de pathologies chroniques lourdes, de type psychoses infantiles, maladies liées à l’alcoolisme, autisme, schizophrénie. À ce poste, il effectue quasiment le même métier que les infirmiers car « en tant qu’aide-soignant, nous n’avions pas de tâches spécifiquement définies ». « Nous étions confrontés à des populations qui avaient peu accès à la verbalisation et qui ne bénéficiaient que de peu d’outils thérapeutiques autres que les médicaments », regrette-t-il. Yvan souhaite alors contribuer au développement des thérapies non médicamenteuses. « J’ai suivi des formations courtes, longues, universitaires ou non, un Diplôme universitaire en pratiques psychocorporelles, des formations de massage ; je suis aussi devenu professeur de yoga, fait-il savoir. Ensuite, j’ai fait le tri et adapté ces nouvelles compétences au secteur du soin psy, dans une visée intégrative basée sur des références théoriques. » Il monte alors des projets de médiation autour du corps, portés par d’autres professionnels pour « me tourner vers le vivant et la créativité, dans cet univers de chronicité ».

L’organisation de séances de pratiques psychocorporelles

Avec ses projets, il se fait repérer et soutenir par les encadrants et la communauté médicale de l’établissement. Résultat : « la direction m’a attribué un poste en lien avec les pratiques psychocorporelles, au Centre de traitement de l’anxiété, d’abord à temps partiel, puis, depuis plus de dix ans, à temps plein », se félicite-t-il. Il reçoit, sur prescription médicale, en majorité des adultes (70 %), ainsi que des adolescents (20 %) et des enfants (10 %) qui souffrent de troubles anxieux et ayant vécu des traumatismes ou des burn out. Son objectif ? Les aider à apaiser leur mal-être en leur proposant des outils de relaxation, de méditation, de cohérence cardiaque ou encore de yoga. Ces outils, dans un cadre défini et une relation spécifique, deviennent ainsi des supports thérapeutiques. « Dans mes premières années d’exercice, je ne recevais que des personnes hospitalisées, puis progressivement des personnes non hospitalisées, qui composent aujourd’hui la majorité des usagers que j’accompagne », précise Yvan. Ce sont les psychiatres de l’établissement, les médecins généralistes de ville ou des spécialistes en lien avec la douleur et les pathologies chroniques qui les envoient en consultation auprès d’Yvan. Au cours du premier entretien, il collecte des informations sur le parcours de vie du patient, son diagnostic s’il existe, il s’intéresse à ses canaux sensoriels, ses ressources et ce sur quoi il souhaite travailler. « J’ai généralement suffisamment d’éléments pour proposer un cycle de cinq séances de 45 minutes chacune, à raison d’une par semaine, à l’issue desquelles un bilan est effectué », explique Yvan. Et d’ajouter : « je conçois ces séances comme une coconstruction avec l’usager. Je peux aussi proposer une cothérapie avec des infirmiers, des arts-thérapeutes, des psychologues, des médecins, des ergothérapeutes. Mon travail est une source d’épanouissement professionnel certain, et le travail interprofessionnel à destination des usagers reste un atout majeur. » Yvan est auteur de plusieurs publications sur son exercice. Il a également obtenu un diplôme de formateur professionnel d’adultes et dispense des formations initiales ou secondaires auprès de professionnels de santé ainsi que des vacations en milieu universitaire. Seul ombre au tableau : « je suis thérapeute mais mon statut n’est pas reconnu dans la fonction publique hospitalière. Professionnellement, je suis un cas à part et, pour le moment, seul mon diplôme initial d’aide-soignant est considéré financièrement. » L’établissement se penche sur cette situation.

La réingénierie de la formation d’aide-soignant

Depuis le mois de mai 2019, le ministère de la Santé a lancé le chantier de la « réingénierie » du métier d’aide-soignant. Pour le moment, les mesures tardent à voir le jour. Néanmoins, il est envisagé de modifier l’accès à la formation. Si jusqu’à présent, les futurs aides-soignants devaient passer un concours d’entrée pour intégrer les Instituts de formation d’aide-soignant (IFAS), ce concours devrait éventuellement être supprimé en 2020, les nouvelles modalités d’accès aux IFAS étant en discussion. La réingénierie du métier vise, par ailleurs, à attribuer de nouveaux actes à cette profession qui exerce sous l’autorité des infirmières. L’occasion d’attirer des nouveaux étudiants ? Le nombre d’inscrits en formation baisse pour la deuxième année consécutive (- 6 % entre 2016 et 2018), d’après les chiffres publiés en décembre 2019 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).

Il dit de vous !

« Je rencontre les infirmières libérales (Idels) dans le cadre des formations que je dispense ou lors de congrès. Elles ont une place vraiment importante par rapport à la possibilité d’être en interaction avec l’environnement direct du patient. Elles ne sont pas confrontées au biais de l’institution. Les Idels ont une aisance à verbaliser les difficultés qu’elles rencontrent. D’ailleurs, elles sont souvent à la recherche d’outils concrets pour gagner en confort dans les zones relationnelles inconfortables auxquelles elles peuvent être confrontées avec leurs patients. Elles sont très motivées pour acquérir des compétences dans l’usage d’outils relationnels et de thérapies non médicamenteuses dont elles savent rapidement tirer le meilleur. »