Beaucoup de bruit et peu d’informations fiables circulent sur la cigarette électronique (ou e-cigarette). Le vapotage est devenu l’un des moyens privilégiés par les Français pour arrêter de fumer. Le Pr Daniel Thomas, cardiologue et porte-parole de la Société francophone de tabacologie (SFT) fait le point sur la situation.
Daniel Thomas : Oui et non. Il n’existe pas encore d’évaluation scientifique précise. On a remarqué une baisse importante du nombre de fumeurs depuis 2016 (1,6 million de fumeurs de moins) mais il est difficile de savoir à quoi attribuer cette baisse : démarche de prévention, paquet neutre, augmentation du prix du paquet et/ou vapotage. L’apparition de la cigarette électronique est antérieure à cette diminution, puisqu’elle a été lancée sur le marché français en 2012. Or, on n’avait pas vu de diminution avant 2016. Son rôle est donc difficile à déterminer mais elle a certainement contribué à l’arrêt de la cigarette chez un certain nombre de fumeurs.
D.T. : Ces études coûtent cher. Ni l’industrie de la vape, ni l’industrie pharmaceutique n’ont trouvé un intérêt à mener des études. Certains pouvaient d’ailleurs être soucieux que ce produit vienne concurrencer leurs médicaments sur le marché. Jusque-là, nous avons aussi pu estimer que cela n’était pas nécessaire et, comme la e-cigarette n’est pas un médicament, une étude n’est pas obligatoire à sa mise sur le marché. Une première étude est en cours en France et elle est indépendante de l’industrie.
D.T. : L’étude ECSMOKE est une étude randomisée en double aveugle. Elle devra déterminer si la cigarette électronique est efficace au même titre que d’autres substituts du tabac. Des sujets fumeurs vont être soumis à l’utilisation de la cigarette électronique avec nicotine et à la varenicline (champix) et d’autres à la cigarette électronique sans nicotine. Cette étude est totalement objective et montrera si oui ou non la e-cigarette pourra être mise en avant comme d’autres substituts.
D.T. : Les tabacologues respectent la liberté de choix des patients sans mettre le vapotage spécifiquement en valeur. On accompagne les fumeurs qui l’ont adopté car la réussite du sevrage tabagique repose en partie dans la confiance qu’ils auront dans le produit. D’une part, il ne faut pas de double usage (tabac et e-cigarette) même si une phase de transition est normale. Pratiquer un double usage revient à ne pas arrêter de fumer. D’autre part, il semblerait que cette association soit plus toxique que de fumer uniquement. La sensibilisation à la toxicité de la cigarette est très importante dans la prévention des risques cancéreux notamment. Quand le fumeur deviendra vapoteur exclusif, il diminuera le temps de vape pour arrêter progressivement.
D.T. : Il y a plus d’avantages pour un fumeur qui vapote car il se protège même s’il maintient un risque potentiel du fait qu’il a été fumeur. D’où l’importance d’un usage exclusif et de la perspective de sortie du tabagisme. On sait que le vapotage présente une toxicité moindre par rapport à la cigarette et il existe une réduction des risques importante par rapport au fait de fumer du tabac, selon le Royal College of Physicians britannique. Mais on note la présence de nicotine, de glycérine et/ou de propylène glycol ainsi que des arômes qui contribuent à prendre la cigarette électronique attractive, plus agréable. On connaît ces derniers dans leur usage alimentaire mais on ne dispose pas de données à long terme sur leur absorption pulmonaire.
D.T. : Aux États-Unis, des décès et des accidents pulmonaires en raison d’un mésusage de la cigarette électronique et de liquides non appropriés (souvent contenant du cannabis) sont survenus. Il faut faire attention à ces mésusages, notamment chez les adolescents et non-fumeurs. Par ailleurs, certains médias ont répandu des fausses informations à ce sujet. Quand une alerte indue sur le vapotage intervient, certaines personnes reviennent au tabac. C’est dommageable.
D.T. : On connaît la dépendance aux gommes et à d’autres formes buccales de substituts. On peut entretenir une dépendance même si c’est très rare. On peut imaginer une dépendance avec la vapoteuse car la pharmacocinétique y est comparable à la cigarette, comprenant des pics d’absorption de nicotine. Mais, en général, la dose de nicotine de la cigarette électronique est réduite jusqu’à arriver à un vapotage sans nicotine. Cette dépendance pourrait être plutôt conditionnée à la gestuelle, à la convivialité du vapotage entre pairs, c’est davantage un facteur psychologique ou comportemental qui est en jeu.
D.T. : Aux Etats-Unis, l’industrie du tabac s’est précipitée sur le marché des cigarettes électroniques tandis qu’en France, le marché est majoritairement indépendant. La e-cigarette américaine « Juul » qui arrive en France a fait des ravages chez les jeunes Américains chez qui l’on trouve jusqu’à 25 % d’utilisateurs de cigarette électronique (contre 10 % de fumeurs). Juul utilise des sels de nicotine à un dosage élevé. Par ailleurs, au même titre que la cigarette « légère », l’industrie du tabac promeut le tabac chauffé et non brûlé (iQos). C’est un nouveau leurre et sa moindre nocivité n’a pas été prouvée. Il faut éviter de promouvoir ces nouveaux produits de l’industrie du tabac, surtout auprès des jeunes et des non-fumeurs.
La cigarette électronique est apparue en France en 2012. Il s’agit d’un produit de consommation et non d’un médicament. En France, cette « cigarette » rechargeable en liquide aromatisé (ou non), à la nicotine (ou non) est fortement utilisée pour le sevrage tabagique. Entre 2010 et 2016, le tabagisme quotidien des Français a diminué, parmi les hommes de 25-34 ans de 47,9 % à 41,4 % et parmi les femmes de 15-24 ans de 30,0 % à 25,2 %. En 2016, 3,3 % des 15-75 ans utilisaient l’e-cigarette. C’est moins qu’en 2014. En 2019, des cas de maladies pulmonaires et de décès ont été signalés aux États-Unis et au Canada, possiblement dus à un mésusage de la cigarette électronique.
Source : Santé publique France