L'infirmière Libérale Magazine n° 368 du 01/04/2020

 

DONS DE DISPOSITIFS, CONSOMMABLES ET MATÉRIEL MÉDICAL

DOSSIER

Isabel Soubelet  

Que faire des stocks de consommables qui envahissent une chambre après le décès d’un patient ? Quelle utilisation donner à un fauteuil livré par un prestataire lorsque le malade est rétabli ? Dans leur quotidien, les Idels sont confrontées à ces situations. Donner est une solution, mais attention, la vigilance s’impose.

Si la législation est très claire en ce qui concerne les médicaments non utilisés (MNU), comme le stipule la loi de 2008 (voir encadré ci-dessous), pour le reste, un certain flou subsiste. « À ma connaissance, il n’y a pas de filière organisée, c’est une situation qui se gère au cas par cas, c’est vraiment le système D ! », estime Lucienne Claustres-Bonnet, présidente de l’URPS infirmière en région Paca. Les actions reposent en grande partie sur la sensibilité et l’engagement personnels. Et seulement alors, grâce à une bonne dose de volonté et d’énergie, le professionnel de santé peut trouver dans sa région une association appropriée ou se tourner vers les réseaux existants pour donner des consommables, des dispositifs ou du matériel médical à celles et ceux qui en ont le plus besoin. À l’étranger, et aussi en France.

Une sélection drastique

« Nous pouvons refuser des matériels non adaptés à l’environnement du pays destinataire s’ils impliquent une alimentation électrique par exemple, explique Jean-Marie Pons, coprésident d’Humanis, un collectif d’associations de solidarité internationale dans le Bas-Rhin. Les lèvemalades mécaniques, les lits d’hôpitaux et les fauteuils roulants sont utiles, car ils sont souvent en nombre insuffisant là où nous nous rendons en raison de leur coût élevé. De manière générale, nous essayons toujours de privilégier tout ce qui est mécanique. » La préparation d’un convoi est une étape longue et laborieuse qu’Humanis réalise grâce aux personnes qui travaillent au sein de son chantier d’insertion. Dans tous les cas, il faut faire preuve de méthode afin d’optimiser le chargement des camions. « Nous récupérons du matériel médical auprès du CHU, de l’hôpital psychiatrique Sainte-Marie et du centre Jean-Perrin de lutte contre le cancer de Clermont-Ferrand, mais aussi des Ehpad de la région et, de plus en plus, du matériel d’hospitalisation à domicile des particuliers, souligne Michèle Mermet, vice-présidente de Pharmaciens humanitaires d’Auvergne matériel médical (Phamm). Nous recevons des béquilles, des fauteuils roulants, des lits médicalisés avec matelas, des tables gynécologiques, des kits de chirurgie ou d’orthopédie, des gants, des champs opératoires, des consommables stériles et non stériles, etc. Tout est trié, vérifié, emballé, numéroté, étiqueté et organisé dans les bâtiments de notre entrepôt de plus de 2 000 m². La procédure est informatisée et nous pouvons ainsi proposer aux associations qui nous contactent ce dont elles ont besoin. »

Coller aux besoins

Plusieurs containers partent chaque année en Afrique, au Laos ou en Amérique du Sud. Pour la France, des dons en petites quantités sont faits aux services d’accueil et d’hébergement des personnes migrantes. Tous sont le résultat du travail des 35 bénévoles issus des milieux médical, paramédical et de la logistique que compte Phamm, une association active dans le Puy-de-Dôme. « Nous adaptons le matériel selon la demande ou les lieux de destination, ajoute Marie-José Payard, secrétaire de l’association et ex-infirmière de bloc opératoire en chirurgie cardiaque . Si un chirurgien part sur le terrain, il a besoin du nécessaire pour réaliser une décontamination, des pansements et des petites interventions simples avec un porteaiguille, du matériel de suture, un écarteur. Les dispensaires pratiquent de la chirurgie de base. Nous essayons le plus possible de connaître le projet final pour coller à ses spécificités. C’est aussi un moyen d’éviter la revente de plateaux de matériel sur place. »

En effet, la traçabilité des dons constitue une question centrale car la corruption dans les pays destinataires peut facilement détourner les convois de matériels de leur objectif d’origine. Pour tenter d’y remédier, il est judicieux de travailler directement avec un village ou de réduire au maximum les intermédiaires.

C’est le cas de l’association Les Amis de Diongol, à Orléans, qui a tissé des liens particuliers avec le village éponyme situé en Casamance, au Sénégal, à 450 km de Dakar. « Nous sommes en contact direct avec des Sénégalais pour nous assurer que nos colis arrivent à destination et sont remis à un infirmier, explique Nicole Thébault, la présidente. Chaque année, nous constatons sur place le travail accompli, les améliorations concrètes apportées au niveau des soins, mais aussi de l’aménagement de l’école, car nous envoyons aussi des livres. Avant le départ, tout est stocké dans mon garage en France. C’est le bénévolat dans toute sa splendeur ! » L’association a en projet la construction d’un dispensaire, avec une maternité.

Depuis plus de dix ans, Insertion Handicap, basé à Paris (13e), collecte de son côté du matériel orthopédique, des déambulateurs, des lits médicalisés et des fauteuils roulants en France pour les envoyer au Sénégal. « La récupération des dons demande beaucoup d’énergie, souligne Ndieme Lame, la présidente. Depuis 2011, nous parrainons des enfants. Nous avons ainsi appareillé une jeune fille amputée du Centre Talibou Dabo à Grand Yoff, une institution publique d’éducation et de réadaptation pour les enfants handicapés physiques. Nous prenons également en charge la scolarité de plusieurs enfants handicapés et nous amenons des produits d’hygiène pour les nouveau-nés dans les pouponnières. »

Des structures essentielles

Certains organismes ont acquis une notoriété liée à leur spécificité. C’est le cas de Tulipe, créé en 1982 par Les Entreprises du médicament, qui a distribué 32 tonnes de médicaments dans 22 pays en 2019. « Nous jouons un rôle d’interface entre les besoins des organisations non gouvernementales et les produits de santé que nous leur livrons, précise Alexandre Laridan, responsable des opérations. Nous assurons la traçabilité des médicaments et des dispositifs médicaux. Nous intervenons en situation d’urgence et dans les pays où le système sanitaire est défaillant. » Préparé à l’entrepôt, le kit global de 50 kg, composé d’un kit pédiatrique, d’un kit adulte et d’un kit d’urgence, couvre l’ensemble des molécules préconisées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« Faire un don de matériel est quelque chose de complexe, il faut apporter une réponse adaptée aux besoins, s’inscrire dans la durée, et créer un échange dans la confiance, explique Cathy Blanc-Gonnet, directrice coordonnatrice d’Humaten, une association qui gère notamment, depuis 1999, une banque de matériel médical pour la solidarité internationale. Notre réseau de donateurs est constitué d’hôpitaux publics et privés, d’instituts médico-éducatifs, d’Ehpad, de cabinets médicaux, et aussi de particuliers. Nous sommes spécialisés dans les équipements médicaux (défibrillateurs, couveuses, respirateurs d’anesthésie, échographes, matériel de laboratoire), mais nous recherchons également du mobilier médicochirurgical, de l’instrumentation de soins, et du petit matériel. Nous pouvons parfois récupérer des consommables s’il s’agit d’un gros volume. Pour le petit matériel à usage stérile ou non stérile, nous exigeons une date de péremption de plus d’un an a minima pour avoir le temps de l’acheminer vers la structure qui en a besoin. Pour les consommables autonomes, nous poussons les associations à se les procurer sur place, via les centrales d’achat, de plus en plus souvent implantées dans les pays destinataires des dons. Nous travaillons avec un réseau de porteurs de projets qui doivent remplir un dossier de 40 pages pour obtenir le matériel. L’important est toujours de partir des besoins exprimés de la structure de santé bénéficiaire et de s’assurer de la maintenance du matériel sur place. »

Du neuf, peu d’occasion

Question de taille et de renommée, le recours à du matériel de seconde main est quasi inexistant chez les principaux acteurs de l’action humanitaire. La Croix-Rouge française ne le fait pas. « Avant d’acheminer du matériel, il faut vérifier qu’il est en bon état, explique le Dr Bernard Simon, coordinateur du pôle santé de la Direction des relations et opérations internationales de la Croix-Rouge française. Nous sommes engagés dans des projets importants pour lesquels nous achetons du matériel neuf, comme l’exigent nos bailleurs de fonds. La récupération du matériel, le transport, les droits de douane et les taxes constituent une démarche longue et ingrate, souvent plus compliquée que de passer directement une commande. Un autre problème se pose, celui de la maintenance du matériel. Il faut que dans les pays d’accueil des dons, en Afrique par exemple, les personnes soient formées à la maintenance des appareils, car les fournisseurs rechignent souvent à venir réparer sur place. »

Des initiatives individuelles à foison

Maria Péres, Idel à Fréjus et présidente de l’Association des infirmiers libéraux de l’est Var (Ailev), dispose d’un gros cabinet. « J’ai la possibilité de pouvoir stocker les surplus et de les réutiliser avec d’autre patients. Mais souvent le matériel, lui, reste en errance. Quand nous en avons connaissance, alors nous informons par sms les 300 Idels du réseau. Nous donnons aussi des consommables ou du matériel à Promo Soins, une association qui permet l’accès aux soins des plus démunis dans le Var. » Julien Urnel, Idel à Nice, est parti du constat que trop de matériel médical, ancien ou devenu inutile, est jeté sans être valorisé. Fin 2018, il a créé l’association Paradisanté dont les 28 adhérents (infirmiers, kinésithérapeutes, étudiants en Ifsi, etc.) récupèrent du matériel en bon état et des pansements stériles. « En 2019, nous avons collecté 2,2 tonnes de matériel à Nice et dans le département, précise le président de l’association. Nous avons envoyé 1 077 kg jusqu’au siège de l’association partenaire Guinée-ô, basée à Gouvieux dans l’Oise, qui a ensuite acheminé, grâce à son savoir-faire, le container à destination. Nous tissons en parallèle des liens étroits avec le Maroc. Nous redistribuons aussi le matériel à des bénéficiaires dans le besoin en France. Notre but est de faire connaître la démarche auprès des professionnels de santé libéraux afin qu’elle essaime ailleurs sur le territoire. » Pour l’heure, Paradisanté est à la recherche d’un espace de stockage. Selon Émeric Vaillant, Idel à Amboise et éco-infirmier, diplômé en 2019 de l’Institut de formation en santé environnementale, le don doit amener à se questionner sur ses propres pratiques et sur le système dans son ensemble. « J’essaie vraiment de réduire les consommables et les usages uniques quand cela est possible, souligne-t-il. L’objectif est de ne pas avoir de stock ni de surplus. Depuis dix ans, j’investit d’ailleurs dans du matériel médical en inox. Il faut également essayer de travailler en amont avec le médecin et le pharmacien. » Une vision partagée par Nicole Tagand, infirmière experte en plaies à Marseille qui précise : « Si on regarde la logique actuelle, tout est fait pour jeter. Pour les plaies chroniques, sans formation précise, une Idel va participer au gaspillage en refaisant une prescription sans avoir les moyens techniques de comprendre qu’il s’agit de la même famille de produits. Un changement de marque, ce n’est pas un changement de caractéristiques techniques. Et quand un laboratoire vous dit que son pansement est cicatrisant, cela ne veut rien dire ! » D’un côté, les prescriptions s’additionnent et les produits s’entassent chez le patient en France, de l’autre, la prise de conscience et les réglementations locales se développent dans les pays du Sud. Si don il y a, il ne peut se faire qu’en cohérence avec la réponse aux besoins.

LES MNU À DES FINS HUMANITAIRES : C’EST INTERDIT !

La redistribution humanitaire des médicaments non utilisés (MNU) s’est arrêtée le 31 décembre 2008, conformément à la loi du 15 avril 2008*. La France suit ainsi les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Depuis, les dons de médicaments à des fins humanitaires doivent respecter des bonnes pratiques et leur exportation est réalisée par un établissement pharmaceutique de distribution en gros à vocation humanitaire. Ces dons, entièrement constitués de médicaments neufs, proviennent directement de l’industrie pharmaceutique. De leur côté, les particuliers sont fortement incités à rapporter au pharmacien les MNU à usage humain, périmés ou non, entamés ou non. Ces derniers intégreront le dispositif de collecte de l’éco-organisme Cyclamed qui reprend les comprimés, pommades, crèmes, gels, sirops, ampoules, aérosols, sprays, inhalateurs. En revanche, il ne collecte pas les aiguilles et seringues usagées, les compléments alimentaires et les dispositifs médicaux, les produits chimiques et vétérinaires, les cosmétiques, les lunettes, les prothèses, les thermomètres et les radiographies. En 2018, 10 827 tonnes de MNU ont été collectées, soit 162 g par habitant. Recyclés à des fins énergétiques dans les 52 unités de valorisation réparties sur le territoire, ils permettent d’éclairer et de chauffer l’équivalent de 7 000 logements.

*https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000018649718 et

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000019329886

Chantal Bischoff, infirmière retraitée et bénévole depuis douze ans au sein du collectif Humanis à Schiltigheim (Bas-Rhin)

« Une aventure humaine incroyable »

« Je suis rentrée fin février d’un convoi humanitaire au Sénégal organisé par Humanis et l’association Raucca qui rassemble des amateurs d’utilitaires et de camions. Nous avons voyagé vingt-cinq jours avec deux semi-remorques et un camion plateau (près de 300 m3 au total), dont sept jours à attendre en douane pour les formalités aux différentes frontières du parcours. Cet aspect-là était éprouvant. J’étais la seule femme avec six hommes ! Nous avons vécu ensemble en bonne intelligence. Au départ, j’ai constitué la trousse médicale collective et j’ai soigné les petits bobos pendant le voyage. La période de préparation en France est longue. Il faut valider le matériel reçu et faire le tri. Par exemple, j’ai refusé les médicaments, les liquides de nutrition qui ne sont pas appropriés ou les poches de stomie qui sont amenées par les familles après un décès, mais sans leur support… Sur place, c’est une réelle satisfaction de voir que les dons arrivent directement aux personnes concernées, car nous n’avons pas d’intermédiaires locaux. Nous avons livré l’hôpital de Podor, au nord du pays, qui est un centre de référence assurant des consultations. Et aussi l’hôpital de N’dioum où des dispensaires viennent s’approvisionner. Nous avions apporté des tests VIH, hépatite B et hépatite C, déjà utilisés par le médecin de Podor, mais bienvenus car en nombre insuffisant. Puis nous avons livré l’hôpital de Louga au nord-ouest du Sénégal. Notre lot de fauteuils roulants a été très apprécié. Nous avons toujours été très bien accueillis par les équipes en place, le médecin, les infirmiers, et toute la communauté présente. Pour moi, à 71 ans, cela a été une aventure humaine incroyable ! »

3 questions à…

Kamran Yekrangi, directeur d’Humanis, un collectif de 100 associations actives, dont 60 en Afrique, dans le champ de la solidarité locale et internationale, créé en 1996.

« Il faut expliquer que l’Afrique n’est pas une poubelle ! »

1 Quelle évolution du secteur constatez-vous ? Je suis dans ce milieu depuis trente ans et je constate que le secteur se professionnalise. Nous acheminons davantage de matériel technique et beaucoup moins de consommables. Pour que toute la démarche ait du sens, il faut un approvisionnement adapté et en accord avec les pratiques culturelles du pays. Dans un premier temps, nous sommes là pour sensibiliser les gens ici, en expliquant que l’Afrique n’est pas une poubelle ! Je le dis souvent, mais la solidarité est un métier, même s’il est pratiqué bénévolement.

2 Qu’est-ce qu’un don réussi ? D’abord, l’envoi de matériel ne doit pas être une finalité. Pour qu’un don soit pertinent, il doit s’intégrer dans un projet global, comme la gestion d’un dispensaire. Livrer des cartons entiers de cathéters en pleine brousse, cela n’a pas de sens ! Nous privilégions le matériel à forte valeur ajoutée c’est-à-dire celui qui apporte une réponse durable à un besoin. Cela peut être une unité complète de boîtes à pansements en inox ou des seringues en verre stérilisables. Nous essayons d’avoir un minimum de produits jetables. Nous privilégions les unités d’échographie, même des modèles anciens que l’on peut coupler avec des panneaux solaires. Elles sauvent des vies.

3 Comment voyez-vous l’avenir du don ? Il faut sortir du vieux schéma de la culpabilisation. Cela passe par l’éducation, la sensibilisation, la formation et l’exemplarité. Une garantie à 100 % de l’utilisation à bon escient du matériel n’existe pas, mais la meilleure garantie, c’est que le matériel soit en adéquation avec le projet. C’est tout l’objet du travail réalisé en amont par nos équipes.

Caroline Morvan, Idel à Saint-Pryvé-Saint-Mesmin (Loiret)

« Il faut se questionner sur le gaspillage dans nos pratiques »

« Dans ma pratique professionnelle, je passe régulièrement en revue les stocks dont nous disposons à mon cabinet. En général, je donne deux fois par an, dans les périodes les plus creuses de mon activité, c’est-à-dire au début de l’été et lors des fêtes de fin d’année. Je passe par une amie qui connaît la présidente de l’association Les Amis de Diongol qui intervient au Sénégal. Quand je suis informée d’un futur départ dans l’année, je prépare ce que je vais donner. Cela va des seringues et des pansements avec une date de péremption à échéance de deux à trois ans aux aiguilles et aux bandes, en passant par les antiseptiques. En revanche, je ramène les médicaments à la pharmacie, bien entendu. Mais à mon sens, la véritable question est celle du gaspillage, des dépenses engagées pour des consommables qui ne sont pas utilisés. C’est notamment le cas lors d’un renouvellement de pansements avec un changement de protocole. On se retrouve alors avec des boîtes complètes. Il y aussi parfois un gros souci d’adéquation entre la prescription et la réalité. Il faut vraiment se questionner sur l’ensemble des pratiques. Les nôtres, celles des prestataires, et également l’attitude de certains patients qui souhaitent avoir des pansements d’avance, car ils ont peur de manquer. Tout cela a un coût économique non négligeable. »